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« Mini-abus de droit » : publication du BOFiP

Photo du Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie

Par une instruction publiée le 31 janvier 2020, sous la référence BOI-CF-IOR-30-20, l’administration fiscale a commenté les dispositions relatives à l’article L. 64 A du LPF, que les fiscalistes désignent désormais par « mini-abus de droit ».

Introduit par l’article 109 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, ces dispositions s’appliqueront aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 et portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.

L’article L. 64 A du LPF précise que l’Administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Les commentaires contenus dans le BOFiP apportent plusieurs enseignements intéressants. Ils suscitent par ailleurs de nombreuses interrogations, à la fois sur le champ d’application du dispositif, son articulation avec les autres dispositions anti-abus, l’application des pénalités et l’opposabilité de cette doctrine.

Plusieurs commentaires rassurants

L’Administration précise que l’article L. 64 A du LPF, tout comme l’abus de droit visé à l’article L. 64 du LPF, n’a pas pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal, pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité.

En outre, aussi bien pour apprécier un but exclusivement que principalement fiscal, l’Administration rappelle que lorsque la charge fiscale normalement applicable n’est pas modifiée par l’acte en cause, ce dernier ne saurait constituer un abus de droit. Le BOFiP fait expressément référence à la jurisprudence Pharmacie des Chalonges (CE, 5 mars 2007, n° 284457), que le Conseil d’État a d’ailleurs réaffirmée tout récemment (CE, 24 juillet 2019, n° 411382).

Enfin, l’instruction énonce clairement que l’article L. 64 A du LPF ne concerne pas l’IS, pour lequel l’article 205 A du CGI a déjà prévu un dispositif anti-abus.

La caractérisation du « mini-abus de droit » suppose, comme pour l’abus de droit prévu à l’article L. 64 du LPF, de réunir deux éléments :

Une conception large du champ d’application

Selon l’instruction, la notion de « texte » englobe à la fois les conventions fiscales internationales, les lois nationales, les décrets et arrêtés et, dans certains cas, les instructions administratives publiées au BOFiP.
Il convient toutefois de préciser que la jurisprudence n’est pas encore stabilisée sur ce dernier point. Le Conseil d’État doit en effet se prononcer sur un pourvoi formé contre un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris le 20 décembre 2018 (CAA Paris, 20 déc. 2018, n° 17PA00747). Il faut espérer qu’il retiendra une solution conforme à la sécurité juridique, et jugera qu’on ne peut pas abuser de la doctrine.

Selon l’instruction commentée, la notion de « motif principalement fiscal » est plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du LPF. Elle renvoie, pour la définition de ce motif, aux commentaires parus sur l’article 205 A du CGI le 3 juillet dernier (BOI-IS-BASE-70 du 3 juillet 2019). Nous relevons cependant que, littéralement, le texte est rédigé différemment, l’article 205 A évoquant l’obtention d’un avantage « à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux », tandis que l’article L. 64 A du LPF retient la notion de « motif principal ». Est-ce-à dire que, pour l’article 205 A, l’Administration recherchera l’existence d’un « objectif principal », et pas « l’un des objectifs principaux » ? Ce serait heureux, car s’il n’est pas toujours aisé de définir le « motif principal fiscal », il l’est encore moins de déterminer « l’un des motifs principaux ».

De nombreuses interrogations sur l’articulation avec les autres dispositifs anti-abus

D’autres précisions sont sujettes à question. Sans prétendre à l’exhaustivité, trois méritent d’être relevées.

En premier lieu, l’Administration indique, au point 80 de l’instruction, que, contrairement à la procédure d’abus de droit, la procédure prévue à l’article L. 64 A du LPF ne permet pas d’écarter un acte au seul motif qu’il est fictif. Littéralement, cela signifie qu’elle pourrait retenir la fictivité d’un acte parmi un faisceau d’indices pour caractériser un « mini-abus de droit ». Une telle affirmation est très surprenante dès lors que la fictivité permet d’aller sur le terrain de l’abus de droit, plus lourdement sanctionné que le « mini-abus ».

En deuxième lieu, les précisions apportées dans le BOFiP sur la frontière entre l’abus de droit et le « mini-abus de droit », en présence de motifs qui ne sont pas seulement fiscaux, ne sont pas nécessairement pertinentes.

L’instruction précise ainsi que l’article L. 64 A du LPF ne s’applique pas dans tous les cas où l’abus peut être caractérisé sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, c’est à-dire lorsque les effets économiques (patrimoniaux, commerciaux…) sont nuls ou négligeables. Elle s’appuie sur une jurisprudence qui a été rendue alors que le dispositif de l’article L. 64 A du LPF n’existait pas (CE, 17 juillet 2013, n° 352989, min c/ SARL Garnier Choiseul). Rien ne permet cependant d’affirmer que les juges du Palais-Royal, tout comme la Cour de cassation, n’auront pas une approche différente désormais.

En troisième lieu, le BOFiP réaffirme que lorsque c’est le législateur lui-même qui a souhaité encourager un schéma par une incitation fiscale, l’article L. 64 A du LPF ne peut en principe s’appliquer, quand bien même ce schéma aurait un but principalement fiscal. Une nuance de taille est apportée, sans être pour autant limpide : un tel principe ne vaut qu’à condition que l’avantage procuré par le texte ne soit « pas manifestement détourné de son objet ».

Une application des pénalités pas automatique mais plutôt systématique ?

En ce qui concerne les pénalités, l’Administration précise qu’il est possible que des rehaussements infligés sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF soient assortis de pénalités pour manquement délibéré (40 %) ou pour manœuvre frauduleuse (80 %). Sur le plan des textes, cette précision n’ajoute pas à la loi : l’article L. 64 A ne comporte pas d’alinéa relatif aux pénalités, il est donc tout à fait logique que le droit commun des pénalités puisse s’appliquer.

En revanche, si l’Administration rappelle que la mise en œuvre des pénalités ne revêt pas de caractère automatique, dans la pratique, leur application des pénalités sera probablement quasiment systématique.

L’avis du praticien : Sandrine Rudeaux

Un BOFiP opposable ? Articles 205 A du CGI et L. 64 A du LPF : de vrais « faux jumeaux » ?

Certaines précisions apportées par l’Administration dans son instruction apportent des commentaires que les contribuables seraient susceptibles de vouloir contester ou, au contraire, dont ils pourraient avoir intérêt à se prévaloir. Sur ce dernier point, il nous semble que l’instruction pourrait contenir des passages opposables au sens de l’article L. 80 A du LPF.

Chacun sait bien que les instructions relatives à la procédure d’imposition ne sont pas opposables. Pour autant, il n’est pas certain que l’ensemble des commentaires du BOFiP « mini-abus de droit » soient relatifs à la procédure d’imposition.

Certes, l’article L. 64 A est codifié au sein du livre des procédures fiscales, alors que l’article 205 A relatif à l’impôt sur les sociétés figure dans le code général des impôts. Certes aussi, l’instruction commentant le « mini-abus de droit » est insérée dans la rubrique « CF Contrôle fiscal » de la doctrine administrative, alors que le BOFiP relatif à l’article 205 A du CGI figure parmi la série « IS ». Certes enfin, le dispositif relatif au « mini-abus de droit » comporte des garanties procédurales (possibilités de demande de rescrit et, en cas de contrôle, de saisine du comité de l’abus de droit, rappelées aux points 140 à 160 de l’instruction).

Il n’y a toutefois selon nous aucune raison de s’en tenir aux apparences. A bien y regarder, les deux dispositifs prévus aux articles 205 A du CGI et L. 64 A du LPF définissent précisément tous deux un champ d’application et des modalités de détermination de la base imposable. Si nous osions, nous écririons que, sur le terrain de la doctrine, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’assiette.

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