La Cour de cassation apporte des précisions éclairantes sur le délai de mise en œuvre de l’action en responsabilité fiscale solidaire du dirigeant d’une société.
Pour mémoire, lorsque le dirigeant d’une société s’avère responsable des manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, il peut être déclaré solidairement responsable de leur paiement (LPF, art. L. 267).
Si l’article L. 267 du LPF n’enferme, en lui-même, l’action en responsabilité fiscale, dans aucun délai, la Cour de cassation juge de longue date que l’Administration peut l’exercer tant que les poursuites tendant au recouvrement des dettes fiscales de la société ne sont pas atteintes par la prescription quadriennale fixée par l’article L. 274 du LPF (Cass. com., 9 mars 1993, n°91-10.654, solution reprise au BOFiP, BOI-REC-SOLID-10-10-30, 19/08/2020, §10).
Cette action en responsabilité fiscale, doit, de surcroît, être engagée dans un « délai satisfaisant ». A cet égard, la Cour de cassation a indiqué que ce délai satisfaisant est nécessairement inférieur au délai de prescription quadriennale encadrant l’action et doit être souverainement apprécié par les juges du fond (BOI-REC-SOLID-10-10-30, 19/08/2020, §10 ; Cass. com., 26 mai 2004, n°01-02.838).
L’histoire
Une société a été placée en redressement, puis en liquidation judiciaire au cours de l’été 2008. Finalement, la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actifs en 2016.
En 2017, l’Administration a assigné le gérant de la société sur le terrain de l’article L. 267 du LPF, afin qu’il soit déclaré solidairement responsable de la dette fiscale de la société (TVA due au titre des années 2006 à 2008).
Celui-ci a tenté de s’y opposer, en invoquant la prescription de l’action en responsabilité fiscale, ainsi que sa tardiveté.
Les juges du fond ayant déclaré l’action de l’Administration irrecevable, celle-ci s’est pourvue en cassation.
La décision de la Cour de cassation
Sur la prescription
Après avoir rappelé le principe désormais bien établi selon lequel l’action en responsabilité solidaire du dirigeant de société peut être exercée tant que l’action en recouvrement de la dette fiscale de la société n’est pas elle-même prescrite, la Cour de cassation s’est prononcée sur la computation du délai de prescription.
Elle censure, à cet égard, le raisonnement retenu par la Cour d’appel, selon lequel les causes d’interruption de la prescription à l’encontre de la société (débiteur principal) ne seraient pas opposables au dirigeant, au motif que le principe de solidarité n’est pas de droit, mais établi par une décision de justice.
Elle juge, au contraire, que l’interruption de la prescription par l’ouverture de la procédure collective était bien opposable au dirigeant (voir aussi, Cass. com., 10 février 2015, n°13-21.953 : « la déclaration de la créance au passif de la liquidation judiciaire du débiteur principal interrompt la prescription à l’égard de la caution solidaire, cet effet interruptif se prolongeant jusqu’à la clôture de la liquidation »).
Au cas d’espèce, elle considère que la prescription n’avait donc recommencé à courir qu’à compter de la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d’actif – en 2016 – de sorte que l’action en responsabilité fiscale exercée par l’Administration en 2017 n’était pas prescrite.
Sur la notion de « délai satisfaisant »
La Cour de cassation rappelle que l’action en responsabilité solidaire du dirigeant doit être engagée dans un délai satisfaisant à compter du constat de l’impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société.
En l’espèce, pour juger que l’Administration n’avait pas engagé l’action prévue par l’article L. 267 du LPF dans un délai satisfaisant, la Cour d’appel avait considéré que celle-ci savait en réalité depuis longtemps que sa créance était irrécouvrable :
- Dès 2008 – puisqu’elle a été informée du redressement judiciaire de la société et de sa situation financière largement dégradée ;
- Ou, en tout état de cause, au plus tard en 2010 – lorsque le gérant a été condamné à combler partiellement le passif de l’entreprise.
La Cour de cassation fait cependant grief à la Cour d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions de l’Administration soutenant que l’action n’avait pu être engagée « faute de connaître le solde de la créance fiscale et faute de savoir si cette créance serait apurée par réalisation de l’actif de la société » (le mandataire liquidateur avait indiqué à l’Administration en 2016 qu’il serait en mesure de lui verser un dividende – effectivement versé en 2017).
Elle casse, par conséquent, la décision.
Notons que cette décision ne nous semble pas, pour autant, faire échec au principe selon lequel l’action en responsabilité fiscale peut être engagée sans attendre la clôture de la procédure collective (BOI-REC-SOLID-10-10-20, 03/08/2016, §400 et s.), dès lors que le recouvrement sur la société elle-même est impossible.