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Apport de titres placé en sursis d’imposition suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes : Quel traitement fiscal retenir ?

Le Conseil d’État confirme que, dans l’hypothèse d’une réduction de capital non motivée par des pertes, réalisée par réduction de la valeur nominale des titres reçus dans le cadre d’un échange de titres (dont la plus-value a été placée en sursis d’imposition en application de l’article 150-0 B du CGI), le montant des apports doit être calculé par référence au coût d’acquisition des titres apportés. Mais il précise, de manière nouvelle, que la franchise d’impôt dont est alors susceptible de bénéficier l’associé doit être proratisée.

Rappel

Lors d’une réduction de capital non motivée par des pertes par annulation ou réduction de la valeur nominale des titres (sans rachat préalable de titres), les sommes mises à la disposition d’un associé ont en principe la nature de revenus distribués (CGI, art. 109, 1, 2°). Cependant, les remboursements d’apports ou de prime d’émission ne sont pas considérés comme des revenus distribués si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale ont été auparavant répartis (CGI, art. 112, 1°).

De la même manière, les répartitions faites aux associés d’une société étrangère au titre d’un remboursement d’apports ou de prime d’émission ne sont pas taxables en tant que revenus distribués si tous les bénéfices ou réserves ont été auparavant répartis (CGI, art. 120, 3°).

L’histoire

Un contribuable personne physique avait apporté en 2005 et 2007 les titres de 2 sociétés à une société de capitaux belge dont il détenait la quasi-intégralité des parts.

Conformément aux dispositions de l’article 150-0 B du CGI dans leur rédaction alors en vigueur, la plus-value d’échange des titres avait été placée en sursis d’imposition (aujourd’hui une telle opération tomberait dans le champ du report d’imposition applicable en cas d’apport à une société contrôlée par le contribuable, prévu à l’article 150-0 B ter).

En 2010, la société belge a procédé à une réduction de son capital, non motivée par des pertes, par le biais d’une réduction de la valeur nominale de ses titres. La somme reçue à l’issue de cette réduction de capital a été regardée par le contribuable comme présentant la nature d’un remboursement d’apport non imposable.

A l’issue d’un ESFP portant sur l’exercice 2010, l’Administration a, au contraire, considéré que cette somme constituait pour partie du revenu distribué (i.e. dividende imposable).

L’affaire a été portée devant la CAA de Paris, laquelle a considéré que la somme litigieuse était constitutive, dans son intégralité, d’un remboursement d’apport non imposable, au double motif que (i) à la date de la réduction du capital, aucun bénéfice ou réserve n’était en attente de distribution au niveau de la société réduisant son capital et que (ii) la somme mise à disposition de l’associé était inférieure à la valeur d’acquisition des titres apportés (CAA Paris, 15 décembre 2023, n°21PA01639).

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord le caractère intercalaire des opérations d’échanges de titres visées par l’article 150-0 B du CGI.

Aussi, les titres reçus en rémunération de l’apport sont réputés être entrés dans le patrimoine de l’apporteur aux conditions dans lesquelles y étaient entrés les titres dont il a fait apport.

Il en résulte que si la société bénéficiaire de l’apport procède à une réduction de son capital social non motivée par des pertes, par réduction de la valeur nominale de ses titres, les sommes ainsi mises à la disposition d’un associé ayant acquis ces titres en rémunération d’un apport de titres d’une autre société, ne constituent des remboursements d’apport que dans la limite du prix versé par cet associé pour acquérir les titres apportés (dans le même sens voir, CE, 7 mars 2019, n°420094, décision relative à une opération franco-française d’apport de titres placé en sursis d’imposition suivie d’une réduction de capital non motivée par les pertes, rendue au visa de l’article 112, 1° du CGI).

Mais le Conseil d’Etat précise ensuite, de manière nouvelle, les modalités de calcul de la fraction de ces sommes réputée constituer un remboursement d’apport.

Il indique ainsi que lorsque tous les bénéfices ou réserves de la société bénéficiaire de l’apport ont été auparavant répartis, de sorte que les sommes qu’elle verse aux associés en conséquence de la réduction de capital sont réputées constituer un remboursement partiel des apports qui lui ont été consentis, ces sommes ne sont réparties en franchise d’impôt au profit de l’associé qu’à concurrence du rapport formé par :

Le Conseil d’Etat casse l’arrêt d’appel, et renvoie l’affaire à la CAA de Paris pour règlement au fond.

Si cette décision concerne en l’espèce les modalités de calcul de la proportion des répartitions faites aux associés français d’une société étrangère (CGI, art. 120, 3°) pouvant être réalisées en franchise d’impôt, la méthode de calcul ainsi dégagée devrait pouvoir également être appliquée dans un contexte franco-français (pour l’application des dispositions de 112, 1° du CGI).

L’avis du praticien – Jérôme Zanetti

Cette décision du Conseil d’Etat s’inscrit dans le cadre d’opération de réduction de capital, non motivée par des pertes, par diminution de la valeur nominale des titres. S’y ajoute le cas particulier lié au fait que lesdits titres font l’objet d’un sursis d’imposition, suite à un apport de titres.

Le Conseil d’Etat instaure de façon inédite une nouvelle règle de détermination du montant qualifié de remboursement d’apport non imposable chez les associés et introduit la qualification de « remboursement partiel des apports » :

« lorsque tous les bénéfices ou réserves de la société bénéficiaire de l’apport ont été auparavant répartis, de sorte que les sommes qu’elle verse aux associés en conséquence de la réduction de capital sont réputées constituer un remboursement partiel des apports qui lui ont été consentis, ces sommes ne sont réparties en franchise d’impôt au profit de l’associé qu’à concurrence du rapport formé :

En l’occurrence cette nouvelle règle se révèle être globalement défavorable au contribuable dans la mesure où elle devrait conduire dans la plupart des cas (i) à déterminer un ratio inférieur à l’unité (sauf hypothèse dans laquelle la valeur d’apport des titres correspondrait au prix d’acquisition de ces mêmes titres) et, par conséquent, (ii) à ce que les sommes versées aux associés ne correspondent que partiellement à un remboursement d’apport.

Allant plus loin, cette décision, rendue en matière de fiscalité des personnes physiques, pose la question de sa portée en matière de fiscalité des entreprises, notamment lorsqu’une société A apporte à une société B les titres d’une société C en faisant application du régime fiscal de faveur des apports partiels d’actifs (210 A du CGI).

Outre la décision qui sera rendue ultérieurement par la Cour administrative d’appel de Paris suite à la décision de cassation et renvoi rendue ici par le Conseil d’Etat, nous suivrons avec intérêt la position qu’adoptera l’administration fiscale sur la reprise de cette jurisprudence dans sa propre doctrine administrative. En toute hypothèse, pour toute opération en cours ou envisagée de réduction de capital – non motivée par des pertes, par diminution du nominal – il est conseillé d’envisager chaque scenario en fonction de cette décision du Conseil d’Etat, afin d’anticiper les impacts fiscaux y afférents.

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