Le Conseil d’État juge que, pour la reconstitution des résultats d’une entité étrangère dans le cadre de la mise en œuvre du dispositif anti-abus prévu à l’article 123 bis du CGI, le régime des sociétés mères est applicable, dès lors que ladite entité serait soumise totalement ou partiellement à l’IS au taux normal si elle était établie en France.
Le dispositif anti-abus de l’article 123 bis
Pour mémoire, l’article 123 bis du CGI prévoit l’imposition des avoirs détenus à l’étranger par une personne physique fiscalement domiciliée en France, par l’intermédiaire d’une entité établie hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié et dont les actifs sont principalement financiers. Les bénéfices et les revenus positifs de cette entité sont réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient dans cette entité et soumis à l’impôt sur le revenu sur une assiette majorée de 25 %.
Ce mécanisme anti-abus s’applique en cas de détention, directe ou indirecte, de 10 % dans l’entité étrangère. La détention de 10 % est présumée lorsque l’entité considérée est située dans un ETNC, ou pour le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant d’un trust au sens de l’article 792-0 bis du CGI.
Si l’entité étrangère est établie ou constituée dans un État lié à la France par une convention d’assistance administrative, alors les résultats étrangers sont déterminés selon les règles fixées par le CGI, comme si cette entité étrangère était passible de l’IS en France.
Enfin, le dispositif de l’article 123 bis ne s’applique pas si l’entité est établie dans l’UE ou dans un État ayant signé une convention d’assistance avec la France et que la détention des titres ou des droits ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont l’objet serait de contourner la législation fiscale française (clause de sauvegarde).
L’histoire
Un contribuable, de nationalité bulgare, détenait des participations dans des sociétés étrangères (notamment au Luxembourg et à Gibraltar).
À l’issue d’un ESFP, doublé d’un contrôle sur pièces, l’Administration a estimé qu’il était résident fiscal de France au titre des années 2008 à 2013, et non de Bulgarie comme il le prétendait, et a notamment imposé entre ses mains, en application du dispositif de l’article 123 bis du CGI, les bénéfices réalisés par la société établie à Gibraltar.
La décision du Conseil d’État
Sur la détermination de la résidence fiscale
Le Conseil d’État confirme d’abord, sans grande difficulté, le fait que le contribuable était bien résident de France au titre des années en litige (il y disposait d’un appartement à Paris où résidaient son épouse et son fils, né en France en 2009, d’une résidence secondaire, de plusieurs comptes bancaires et de nombreuses œuvres d’art, et y avait déclaré ses revenus).
Sur la reconstitution des résultats imposables de la société établie à Gibraltar
Le contribuable contestait la reconstitution des résultats de la société établie à Gibraltar, retenue par l’Administration.
Il faisait valoir, à cet égard, que le résultat de cette société comprenait des produits de participations, lesquels auraient bénéficié du régime mère-fille si la société étrangère avait été établie en France.
Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration précise en effet expressément que, « pour la détermination des résultats de l’entité étrangère, le régime des sociétés mères peut s’appliquer lorsque les conditions requises par l’article 145 du CGI sont remplies » (BOI-RPPM-RCM-10-30-20‑20, 12 septembre 2012, § 320).
C’est autour de cette notion de « conditions requises par l’article 145 du CGI » que le litige s’était cristallisé devant la CAA de Paris, celle-ci considérant que ces conditions n’étant pas remplies au cas d’espèce, dès lors qu’il ne résultait pas de l’instruction que la société établie à Gibraltar ait été soumise à l’impôt sur les sociétés au taux normal.
Le Conseil d’État censure cette analyse et juge qu’il convient de pousser un peu plus l’abstraction, en se concentrant sur le seul point de savoir si l’entité étrangère aurait été soumise totalement ou partiellement à l’IS si elle avait été établie en France.
Peu importe donc que l’entité étrangère ne soit pas soumise à l’IS en France ou qu’elle ne soit pas soumise à l’IS au taux normal dans son État d’implantation.
Il renvoie à la Cour le soin de trancher ce point.
On notera que cette solution vient compléter une toute récente décision du Conseil d’État, rendue s’agissant du champ d’application de l’article 123 bis du CGI.
Il y avait jugé que l’appréciation du caractère privilégié du régime fiscal auquel est soumis l’entité étrangère (conditionnant donc l’application de l’article 123 bis) doit se faire en considération de l’impôt sur les bénéfices ou les revenus dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, lesquelles incluent le régime fiscal des sociétés mères (CE, 14 février 2022, n°442061).