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Article 123 bis du CGI : régime spécial des fusions et appréciation du caractère « privilégié » d’un régime fiscal

Dans le cadre de l’application du dispositif anti-abus de l’article 123 bis du CGI, la CAA de Versailles juge que l’appréciation du caractère « privilégié » d’un régime fiscal, au sens de l’article 238 A du CGI, doit se faire en considération de l’impôt sur les bénéfices ou les revenus dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, lesquelles n’incluent pas le régime spécial des fusions.

Rappel

L’article 123 bis du CGI prévoit que les personnes physiques domiciliées en France, qui détiennent directement ou indirectement au moins 10 % dans une entité étrangère à prépondérance financière et soumise à un « régime fiscal privilégié », sont imposées à raison de leurs droits sur les bénéfices ou revenus positifs dans cette entité au titre des RCM.

Pour les entités établies dans l’UE ou dans un État ayant signé une convention d’assistance avec la France, ce dispositif est uniquement applicable lorsque la détention des titres ou des droits dans l’entité étrangère peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont l’objet serait de contourner la législation fiscale française (clause de sauvegarde).

La notion de « régime fiscal privilégié » est définie par renvoi à l’article 238 A du CGI. Dès lors, une personne est réputée soumise à un tel régime dans un État étranger lorsqu’elle n’y est pas imposable, ou lorsqu’elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices ou les revenus inférieurs de 40 % ou plus à ceux dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France si elle y avait été domiciliée ou établie.

L’histoire

Un contribuable fiscalement domicilié en France et détenteur de la quasi-totalité du capital d’une société française a décidé, en mai 2012, de transférer le siège social de cette société au Luxembourg. Quelques mois après le transfert de son siège, la société a apporté à l’une de ses filiales, également localisée au Luxembourg les titres qu’elle détenait dans une SCI, propriétaire de biens immobiliers en France.

A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société française portant notamment sur l’exercice 2012, l’administration fiscale a entendu imposer la plus-value d’apport de titres entre les mains du contribuable français sur le fondement de l’article 123 bis du CGI, estimant que la société luxembourgeoise était soumise à un « régime fiscal privilégié ». A ce titre, elle a considéré que la société avait supporté au Luxembourg un impôt correspondant à 0,21 % de la plus-value d’apport – soit très largement inférieur à la charge fiscale qu’elle aurait supportée en France, le taux normal de l’IS étant de 33,1/3 % à la date des faits.

La décision

A titre liminaire, rappelons que la charge de la preuve du « régime fiscal privilégié » incombe à l’Administration (voir en ce sens CE, 24 avril 2019, n°413129, Sté Control Union Inspections France (CUIF)).

Pour contester la qualification de « régime fiscal privilégié » devant la CAA, le contribuable français a fait valoir (i) d’une part que l’exonération dont la société a bénéficié au Luxembourg résultait de l’application des règles conventionnelles et (ii) d’autre part que le résultat de la société luxembourgeoise n’aurait pas été soumis à l’IS en France dans la mesure où l’opération aurait pu bénéficier du régime spécial des fusions défini aux articles 210 A et 210 B du CGI.

Dans un premier temps, la CAA de Versailles juge que la plus-value réalisée à l’occasion de l’apport de titres d’une société propriétaire de biens immobiliers en France, par une société n’exploitant pas d’ES en France n’est pas imposable « en France mais au Luxembourg, où elle n’a supporté qu’une imposition minime de ses résultats » (ancienne convention franco-luxembourgeoise de 1958 dans sa rédaction issue de l’avenant signé le 24 novembre 2006, art. 4).

Puis, après avoir rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article 238 A du CGI le caractère « privilégié » d’un régime fiscal doit être apprécié au regard de l’impôt sur les bénéfices ou sur le revenu dont la personne aurait été redevable en France dans les conditions de droit commun, elle précise que ces conditions de droit commun ne sauraient toutefois inclure le régime spécial des fusions (CGI, art. 210 A et suiv.).

Notons que le Conseil d’Etat avait récemment jugé, à l’inverse, que l’appréciation du caractère « privilégié » du régime fiscal auquel est soumis l’entité étrangère, et conditionnant l’application de l’article 123 bis du CGI, devait se faire en considération de l’impôt dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, lesquelles incluent le régime fiscal des sociétés mères (CE, 14 février 2022, n°442061).

D’après l’interprétation faite par les juges du fond, cette divergence de raisonnement entre « régime mère-fille » et « régime spécial des fusions » découlerait des caractéristiques propres de ces régimes. En effet, le régime spécial des fusions est un régime de sursis d’imposition optionnel, soumis à des conditions de pourcentage et de durée de détention, à la souscription de certains engagements, et, éventuellement, à un agrément préalable à l’opération.

Tandis que, comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sous la décision, le régime mère-fille, lui, « doit être pris en compte dans la comparaison entre les poids respectifs d’imposition dès lors (i) qu’il a une vocation très large à s’appliquer à toutes les entreprises éligibles, et (ii) qu’au demeurant, il s’agit d’un régime pérenne harmonisé au sein de l’Europe » quand bien même il s’agit d’un régime spécial.

« Or, le régime de l’article 210 B n’a pas vocation à s’appliquer à tous : son intérêt ne s’impose pas de lui-même mais dépend de la taxation en régime de droit commun. Dans certains cas, il peut être limité. Il peut nécessiter, selon les configurations, un agrément préalable. On est loin de l’économie de l’article 145 et de l’option « évidente » ».

« Enfin et surtout, le régime spécial des fusions est un régime de sursis d’imposition, et non d’exonération définitive […] ».

La Cour retient pour finir que la société en cause était bien soumise à un régime fiscal privilégié du fait d’un montage artificiel destiné à contourner la législation fiscale française, en considération notamment du fait que :

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