La CAA de Douai vient de prendre une nouvelle décision qui fait pencher un peu plus la balance en faveur de l’Administration et rend le contrôle fiscal informatique encore plus sensible pour les entreprises. Décryptage et perspectives par Olivier Dias, responsable du contrôle fiscal informatique chez Deloitte Société d’Avocats.
Rappel des faits
Une SARL ayant fait l’objet d’un contrôle fiscal au titre de l’exercice 2016 notamment, conteste plusieurs éléments de ce contrôle, et en particulier plusieurs points de procédure concernant le contrôle informatique réalisé par l’administration fiscale. Le Tribunal Administratif de Rouen ayant rejeté sa demande, elle porte l’affaire devant la Cour Administrative d’Appel de Douai. Elle soutient ne pas avoir pu formuler en toute connaissance de cause le choix de l’option pour réaliser les traitements (article L. 47A-2 du LPF), ne pas avoir eu d’explications détaillées dans la motivation de l’administration fiscale dans la proposition de rectification, et avoir constaté la réalisation de traitements par le vérificateur sans respecter la procédure de l’article L47A-2 du LPF.
En réponse, le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que les moyens soulevés par la SARL ne sont pas fondés.
Décision de la cour
Le juge d’appel rejette l’ensemble des arguments avancés par la société. Si cette décision n’est pas étonnante pour certains arguments, elle est plus inattendue pour certains autres.
Comme fréquemment depuis plusieurs années, la cour considère que la description de la nature des traitements envisagés est suffisante et n’a pas empêché la société de choisir, en toute connaissance de cause, l’option pour réaliser les dits traitements.
Malgré la tentative de scinder les traitements pour argumenter sur le choix (ou le non-choix) de l’option, le juge considère qu’il ne s’agit pas de demandes de traitements distinctes, et rejette le point.
Enfin, le juge considère que l’Administration n’a pas commis d’erreur en exploitant un fichier informatique d’inventaire remis par l’entreprise en dehors de la procédure L47A-2.
Décryptage et commentaires
Concernant la nature des traitements, l’Administration avait précisé vouloir contrôler « la validation du chiffre d’affaires déclaré par analyse des montants relevés dans le fichier des encaissements clients et par rapprochement avec les écritures comptables ; – la valorisation [des] stocks de marchandises au 01/08/2013, au 31/07/2014, au 31/07/2015 et au 31/07/2016 ; – la provision pour dépréciation des marchandises en stocks à la clôture des exercices [à partir] des fichiers issus du progiciel de gestion utilisé par la société et intitulés » historique des tickets par articles » et » historique des achats par articles « . ». Depuis l’arrêt Carlotta (CE, 9e et 10e ch., 18 janv. 2017, n°386458), une attention particulière est apportée à l’examen de la description par l’Administration de la nature des traitements dans ses demandes de traitements informatiques. En effet, cet arrêt précise que le contribuable devait connaître le nombre, la complexité et le temps nécessaire aux traitements envisagés pour décider de la méthode de réalisation des traitements. En l’absence d’information précise, cela peut conduire à la remise en cause de la procédure. Toutefois au cas présent la description utilisée est assez complète, elle précise les objectifs du vérificateur, les périodes et les fichiers nécessaires pour réaliser les traitements. Son rejet par le juge n’est donc pas tout à fait surprenant.
La cour traite dans ce jugement d’un point relativement nouveau, la tentative de scinder les traitements. Pourquoi le conseil de la société est-il allé sur ce terrain ? Certainement pour mettre en avant le fait que les options n’ayant pas été correctement présentées, l’option retenue aurait été faite sans les informations nécessaires pour un choix éclairé. Si l’idée est intéressante, le juge est resté sur une application stricte de la loi (qui prévoit que « les investigations » (au pluriel) donnent lieu à « un » choix) qui ne prévoit pas un choix du contribuable objet par objet. On retiendra que la forme de la présentation de la demande de traitements est importante, dans les faits certaines demandes de traitements distinguant parfois des traitements spécifiques (traitement 1, traitement 2…), notamment lorsqu’elles concernent des pans de la fiscalité très différents (prix de transfert, provision pour stock et étude des immobilisations par exemple) avec des natures et objectifs de traitements différents. Au cas d’espèce, l’Administration n’avait présenté qu’une seule demande de traitements.
Mais le point le plus important de cet arrêt concerne les traitements réalisés par l’Administration sur les fichiers remis par la société, sans appliquer la procédure définie à l’article L47A-2 du LPF. La définition d’un « traitement » et de ce qui relève ou non de la procédure L47A-2 est un serpent de mer. La définition même de ce qu’est un « traitement » n’est pas constante selon les textes et la jurisprudence. En l’occurrence, l’Administration s’est placée sous l’angle de la pièce justificative comptable et de l’article 54 du CGI, ce qui est assez fréquent. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est l’argumentaire de la cour qui met de côté la problématique du traitement, pour revenir sur une notion étonnante concernant la présentation des options en considérant qu’à partir du moment où le matériel de la société ou les fonctionnalités de son système d’information n’ont pas été sollicités, l’Administration avait tout à fait le droit de réaliser tous les traitements qu’elle souhaitait sur les fichiers remis. Cette interprétation surprenante revient en quelque sorte à imposer aux sociétés une option c « de fait », et conduit à un affaiblissement significatif des droits et garanties du contribuable dans le cadre des contrôles fiscaux informatiques. Réduire ainsi l’esprit de l’article L47A-2 du LPF à l’objectif « d’éviter [pour l’entreprise] une utilisation de son matériel et des fonctionnalités de ses applications » pose de vrais problèmes en matière de maîtrise des données et de contrôle de l’action des administrations.
On constate depuis une dizaine d’années une multiplication des textes ou des jugements qui imposent aux entreprises de communiquer aux administrations des données numériques, avec de plus en plus de moyens d’exploitation de ces données par les uns, et de moins en moins de contrôle sur ces données par les autres. La mise en place du Fichier des Ecritures Comptables (FEC – Article L47A-1 du LPF) en est l’exemple le plus significatif. Si sa forme standardisée et sa remise systématique renforcent les moyens de contrôle de l’Administration, son exploitation est toutefois encadrée et son usage par l’Administration ne doit consister qu’en des tris et classements simples qui doivent permettre de renforcer le dialogue et le débat oral et contradictoire, et non pas permettre des rappels automatiques.
Nous attendrons avec attention des éventuelles précisions sur ce point par le Conseil d’Etat, devant lequel un pourvoi a été formé…
Conclusion
Le principal point de cette jurisprudence repose sur l’interprétation du juge concernant le périmètre du L47A-2 et l’origine de la présentation des trois options.
Si la lutte contre la fraude est évidemment complètement légitime, il ne faut pas pour autant supprimer les droits des contribuables. Les données des systèmes d’information des entreprises sont de plus en plus nombreuses, et complexes. Donner un accès non encadré à ces données aux administrations multiplie le risque d’erreurs dans l’exploitation et l’interprétation de ces données.
On ne saurait trop recommander aux sociétés faisant l’objet d’un contrôle fiscal informatique de soupeser longuement leurs choix en cours de contrôle, de la communication de fichiers (PDF, Excel…), à la vérification de leurs données (archivage, cadrage, audit préalable…) en passant bien entendu par le choix de l’option pour réaliser les traitements.
Les procédures devant le juge Administratif nécessitent beaucoup de pédagogie à partir du moment où l’on est souvent contraint de rentrer dans des sujets techniques. L’élaboration d’une vraie stratégie de gestion du contrôle dans l’entreprise permet souvent d’éviter des déconvenues dans les différentes voies de recours.