L’Administration commente au BOFiP le renforcement des obligations déclaratives relatives aux cessions de participations dans une personne morale à prépondérance immobilière, initié par la LF 2024. Elle profite de l’occasion pour réorganiser (à droit constant) ses commentaires administratifs relatifs aux règles applicables en matière de droit d’enregistrement sur les mutations de propriété à titre onéreux de biens meubles.
Eléments de contexte
Pour mémoire, les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière, y compris lorsque ces cessions sont réalisées à l’étranger, doivent obligatoirement être soumises à la formalité de l’enregistrement, à un taux fixé à 5%, dans le délai d’un mois à compter de la date de l’acte (CGI art. 635, 2, 7° bis). Les personnes morales à prépondérance immobilière sont définies comme les personnes morales, françaises ou étrangères non cotées, dont l’actif brut total est principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés en France, ou de participations dans des personnes morales remplissant ces mêmes critères.
En outre, lorsqu’elles sont réalisées à l’étranger, ces opérations doivent être constatées dans un délai d’un mois par un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant son activité en France (CGI, art. 726, I, 2°).
Enfin, conformément aux dispositions de l’article 728 du CGI, les cessions d’actions ou de parts conférant à leurs possesseurs le droit à la jouissance d’immeubles ou de fractions d’immeubles sont réputées avoir pour objet lesdits immeubles ou fractions d’immeubles pour la perception des droits d’enregistrement.
La LF 2024 est venue renforcer les obligations déclaratives relatives aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière en matière de DMTO.
Ainsi, les actes et déclarations ayant pour objet de telles cessions (que celles-ci soient réalisées en France ou à l’étranger) doivent désormais indiquer expressément si :
- La personne morale à prépondérance immobilière dont les participations sont cédées est une société immobilière d’attribution « transparente » (CGI, art. 1655 ter) ;
- Les participations cédées confèrent au cessionnaire, direct ou indirect, le droit à la jouissance d’immeubles ou de fractions d’immeubles au sens de l’article 728 du CGI ;
- Le cessionnaire a acquitté directement ou indirectement ou s’engage à acquitter des dettes contractées auprès du cédant par cette personne morale (précision du montant de ces dettes, le cas échéant).
L’idée sous-tendant cette mesure est de permettre à l’Administration de s’assurer que l’opération de cession ne porte pas sur des droits conférant, en réalité, la jouissance d’un bien immobilier. Sur la base des travaux parlementaires, l’objectif de la nouvelle mesure est également d’éviter « des comportements d’optimisation fiscale pénalisant les comptes publics de l’Etat et des collectivités locales ».
Nouvelles précisions administratives
L’Administration apporte des précisions sur la notion de participations cédées conférant au cessionnaire, direct ou indirect, le droit à la jouissance d’immeubles ou de fractions d’immeubles ainsi que sur la notion de prise en charge de passif par l’acquéreur (BOI-ENR-DMTOM-40-10-20, 24 avril 2024, § 320 et suivants)
S’agissant de la notion de droit à la jouissance, elle se réfère expressément à deux décisions de la Cour de cassation, dans le cadre desquelles il a été jugé que :
- Une cession de droits sociaux est notamment réputée conférer à l’acquéreur le droit à la jouissance d’immeubles ou de fractions d’immeubles lorsqu’elle conduit à lui conférer la parfaite maîtrise juridique des organes de la personne morale dont les droits sont cédés (Com., 14 novembre 2006, n°05-13.870).
- La cession de la totalité des parts sociales d’une société civile immobilière ayant pour unique actif un immeuble destiné à être affecté à l’habitation à titre de résidence secondaire des acquéreurs est également réputée conférer à ces derniers la jouissance de celui-ci (Com., 10 décembre 2003, n°01-16.589)
L’Administration indique, en outre, que la cession d’une partie seulement des participations dans une personne morale à prépondérance immobilière est susceptible de conférer à l’acquéreur le droit à la jouissance d’immeubles dont elle est propriétaire.
Elle ajoute, par ailleurs, que l’existence d’un état de division et d’affectation des parts sociales est sans incidence sur l’application du régime prévu par l’article 728 du CGI.
S’agissant des cessions de participations avec prise en charge par l’acquéreur de dettes de la personne morale à prépondérance immobilière (BOI-ENR-DMTOM-40-10-20, 24 avril 2024, § 330), l’Administration indique que les actes et déclarations concernées doivent préciser distinctement si la cession s’accompagne de l’acquittement ou de l’engagement à acquitter par le cessionnaire, directement ou indirectement, des dettes contractées auprès du cédant par cette personne morale. Le cas échéant, le montant de ces dettes est à préciser.
L’Administration mentionne que l’acquittement est indirect notamment lorsqu’il est effectué par une société interposée contrôlée par le cessionnaire ou lorsque ce dernier met à disposition de la personne morale à prépondérance immobilière un montant destiné au remboursement d’une dette contractée auprès du cédant.
Les dettes visées sont celles dont la personne morale est débitrice envers le cédant. Il peut s’agir notamment des comptes courants d’associés dont le cédant est titulaire, ou de dettes dont le cédant s’est porté garant personnellement (par exemple par un cautionnement).
Lorsque l’acquittement de ces dettes fait l’objet d’un acte distinct, il convient de porter mention de ces dettes dans l’acte de cession des participations, en précisant leur montant.
Il est intéressant de noter que le texte n’établit pas de sanction spécifique pour le non-respect de cette nouvelle exigence déclarative. Par conséquent, les sanctions prévues par le droit commun devraient en principe être applicables, en particulier celles mentionnées à l’article 1729 du CGI. A cet égard, les commentaires de l’Administration précisent que « sans préjudice du pouvoir de contrôle de l’administration fiscale, l’absence de mention équivaut à constater ou déclarer que la cession ne relève pas, pour le cessionnaire, des situations mentionnées ». Il pourrait être considéré, dans ces conditions, que l’absence des mentions requises dans l’acte n’est pas systématiquement sanctionnée mais équivaut à une présomption que la cession ne correspond à aucune des trois situations susvisées. Reste à clarifier les conséquences d’une situation où, en l’absence de mentions dans l’acte, il s’avérerait que la cession correspond à l’une des situations susvisées traduisant ainsi une fausse déclaration.
L’avis des praticiens : Sarvi Keyhani et Soufiane Jemmar
Les trois situations visées par les nouvelles obligations déclaratives soulèvent plusieurs zones d’ombre non clarifiées par les commentaires de l’Administration.
La déclaration visant les sociétés de copropriété et la jouissance des actifs sous-jacents, semble justifiée par l’objectif d’informer l’administration fiscale de l’existence d’une transaction soumise à des règles d’assiette particulières en matière de droits d’enregistrement. Ainsi la cession de parts dans des sociétés de copropriété est assimilée à une cession des actifs sous-jacents pour les droits d’enregistrement.
S’agissant de la déclaration visant la prise en charge de passif, l’objectif semble être de permettre à l’Administration d’identifier plus facilement des situations relevant de l’abus de droit (e.g. mise en place d’une dette en vue de réduire l’assiette des droits d’enregistrement).
Plusieurs incertitudes demeurent.
En premier lieu, le système de sanctions mentionné ci-dessus.
En second lieu, s’agissant de la jouissance des actifs sous-jacents, les motifs et dispositifs de la jurisprudence citée dans le BOFIP retiennent comme critère le contrôle par l’acquéreur des organes de gestion de la cible. Cet arrêt déjà ancien a soulevé des inquiétudes quant à un risque d’interprétation extensive amenant à généraliser la présomption de jouissance des actifs sous-jacents, alors que les faits de l’espèce étaient spécifiques. La reprise littérale des termes de l’arrêt d’espèce par le BOFIP, dans le cadre du nouveau dispositif de renforcement d’obligations purement déclaratives, semble obliger le contribuable à une prise de position préalable quant à une interprétation potentiellement extensive de cette jurisprudence.
En troisième lieu, sur la base des commentaires administratifs, la notion d’acquittement indirect de passif ne viserait pas les cas où celui-ci est réalisé par une entité contrôlant le cessionnaire ou une entité « liée » au cessionnaire au sens large. Cela étant, dit le « notamment » utilisé dans les commentaires de l’administration fiscale laisse subsister un doute sur ce point et une clarification serait la bienvenue.
Enfin, il serait légitime de se questionner sur le fait de savoir si ces nouvelles obligations déclaratives ne seraient pas les prémices d’une refonte plus fondamentale des règles régissant l’assiette des droits d’enregistrement après une évaluation comparative des recettes générées par les asset deals vs les share deals.