Le Conseil d’État vient de juger, dans 3 décisions rendues le même jour et publiées au recueil Lebon, que les gains de « management package » (tirés en l’espèce de cessions de bons de souscription d’actions et d’actions acquises en exécution d’une option d’achat d’actions) doivent être imposés à l’IR dans la catégorie « traitements et salaires » lorsqu’ils résultent de l’exercice des fonctions de dirigeant ou de salarié, et non en plus-value de cession de valeurs mobilières.
Par 3 décisions rendues en formation plénière, le Conseil d’État se prononce sur le régime d’imposition applicable aux gains de management package. La 1re affaire concerne des gains tirés de la cession d’actions acquises en exécution d’une option d’achat d’actions et les 2 autres portent sur des gains résultants de la cession de bons de souscription d’actions (BSA).
Les 3 affaires en question
1re affaire : CE, 13 juillet 2021, n°428506
En février 2006, le directeur financier de la société Financière Prov s’est vu consentir, contre le versement d’une indemnité d’immobilisation de 15 000€, une option d’achat d’actions de la société, au prix unitaire de 1€, lui permettant d’acquérir, en sortie de LBO, un certain nombre d’actions en fonction du taux de rendement interne (TRI) réalisé. Le 21 septembre 2008, après avoir été informé par les investisseurs du projet de cession des titres de la société conformément aux stipulations de la convention d’option d’achat, celui-ci a exercé l’option d’achat de ces actions, et les a cédées 4 jours plus tard pour un gain net d’environ 500 k€ tiré de la vente des actions.
L’administration fiscale a remis en cause l’imposition des gains nets réalisés dans le cadre de cette cession dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières (CGI, art. 150-0 A), estimant que ceux-ci auraient dû être imposés dans la catégorie des traitements et salaires.
2e affaire : CE, 13 juillet 2021, n°435452
En juillet 2005, un contribuable s’est associé dans une société holding en vue de l’acquisition par cette dernière de la totalité du capital social d’une société cible (la société Chaussures Cendry). En septembre 2005, la société holding procède (i) à une augmentation de capital par l’émission de 453 127 actions nouvelles et (ii) à la nomination du contribuable en tant que président de la société holding. Ce dernier a ensuite souscrit d’une part, des actions ordinaires et d’autre part, des BSA de cette même société holding. Puis, à l’occasion de la reprise du groupe en juin 2007, il a cédé l’intégralité de ses actions et BSA.
L’administration fiscale a requalifié en salaire le gain réalisé sur la cession des BSA, estimant qu’il devait être rattaché à ses fonctions de directeur de développement exercées au sein de la filiale opérationnelle Chaussures Cendry.
3e affaire : CE, 13 juillet 2021, n°437498
En 2002, l’un des dirigeants de la société G7 a acquis des BSA de cette société. Il a ensuite conclu avec la société Copag – actionnaire majoritaire de la société G7 – dont il était également directeur général, une convention d’option croisée d’achat et de vente portant sur la totalité des BSA qu’il détenait. En vertu de cette convention, la société Copag disposait d’une option d’achat des BSA à un prix unitaire convenu à l’avance alors que le dirigeant en question bénéficiait d’une option de vente de ses BSA à un prix unitaire inférieur. En janvier 2005, la société Copag a finalement acquis l’ensemble des BSA de la société G7 détenus par ce dirigeant pour le prix unitaire convenu.
Le gain net réalisé par le dirigeant lors de cette cession a fait l’objet d’une imposition en tant que plus-value de cession de valeurs mobilières. L’administration fiscale a cependant requalifié ce gain en salaire à l’occasion d’un ESPF dont le contribuable a fait l’objet.
Les décisions
Dans ces 3 affaires, le Conseil d’État précise que les gains de « management package » tirés de BSA ou d’options d’achat ou de souscriptions d’actions sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires dès lors qu’ils ont essentiellement leur source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié.
À ce titre, le Conseil d’État prend le soin de distinguer :
- L’avantage préférentiel (i.e. la différence entre le prix payé et la valeur d’acquisition ou de souscription) imposable sous cette condition comme salaire au titre de l’année d’acquisition ou de souscription de BSA ou d’options
- Le gain net de cession des BSA (en cas de BSA « non exercés »), en tenant compte de l’avantage éventuellement imposé au moment de l’acquisition ou de la souscription
- En cas d’exercice de BSA ou de levée d’options ultérieurs, le gain d’exercice, qui correspond à la différence entre la valeur réelle des actions et leur prix d’achat – lui-même majoré du montant acquitté pour acquérir l’option voir de l’avantage préférentiel déjà imposé – et imposable sous cette même réserve comme salaire
- Le gain de cession de titres tiré de l’exercice d’un BSA ou d’une option, soit l’écart entre le prix de cession et le prix de revient du titre, qu’il estime également l’Administration fondée à imposer, en intégralité, comme salaire lorsque l’action est cédée dans des délais tels que sa valeur réelle n’a pas évolué depuis la levée de l’option
Sur la base de ces principes le Conseil d’État procède, dans chacune de ces affaires, à une analyse circonstanciée des éléments portés à sa connaissance. Ainsi, en fonction des faits spécifiques propres à chacune d’entre elles, il prend le soin de déterminer si les gains de management package sont, au cas d’espèce, effectivement susceptibles d’être imposés dans la catégorie des traitements et salaires – et non en tant que plus-values de cession de valeurs mobilières.
Dans la 1re affaire (option d’achat d’actions), le Conseil d’État casse ainsi l’arrêt d’appel au motif que la Cour, pour exclure la taxation dans la catégorie des salaires du gain de management package réalisé :
- s’est bornée à relever que le contribuable n’était pas prémuni contre le risque d’une perte totale de son investissement initial de 15 000 euros ;
- a regardé comme sans incidence la circonstance que l’option d’achat consentie aurait été liée à son contrat de travail ; et
- s’est abstenue de rechercher si le gain de levée d’option réalisé trouvait essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de salarié.
Dans la 2e affaire (BSA), en gardant le même prisme de lecture, le Conseil d’État relève que :
- Le contribuable était désigné comme le futur » manager de reprise » du groupe et devait exercer les fonctions de PDG de la structure sachant que les modalités d’intéressement restaient encore » à affiner sur la base des formules habituelles « ,
- Le pacte d’actionnaires prévoyait que les investisseurs avaient pour intention d’accompagner la société pendant une durée comprise entre 3 à 7 ans, et ce afin de participer à l’accomplissement du projet de développement notamment élaboré avec le contribuable ;
- Le pacte d’actionnaire déterminait les modalités d’exercice des fonctions du contribuable dirigeant et ses obligations envers la société, ainsi que les conditions d’incessibilité temporaire des titres qu’il détenait (obligation de » loyauté – exclusivité » envers les sociétés du groupe, engagement de non-concurrence, promesse de vente et d’achat de ses titres en cas de décès, départ ou de violation de ses engagements pour un montant global de 1€) ;
- Le contrat de souscription des BSA prévoyait qu’ils avaient uniquement été attribués au contribuable dirigeant, chargé de la définition et de la mise en œuvre de la politique de développement de l’entreprise, par un contrat de travail ;
- Les modalités de réalisation des BSA étaient conditionnées par l’obtention d’un TRI minimum à l’issue de l’opération de rachat par un repreneur et par la réalisation par les investisseurs d’un multiple supérieur à 2 lors de la revente de leurs titres et ce afin, selon les termes du contrat de souscription de ces bons, d’opérer une « rétrocession » au « Manager » d’une « super plus-value » ;
- Enfin le « Manager » s’engageait à ne pas céder les bons en dehors des cas limitativement prévus par le pacte d’actionnaires.
Dès lors, il déduit de l’ensemble de ces circonstances que le mécanisme des BSA visait à associer le contribuable, en raison de ses fonctions de dirigeant, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession de la société – alors même que l’intéressé détenait, par ailleurs, des actions ordinaires de cette société – et que le gain qu’il a réalisé en cédant ses bons « avait essentiellement la nature d’un versement à caractère incitatif, par lequel les actionnaires ont décidé de rétribuer ensemble l’exercice effectif de ses fonctions de manager et les résultats et performances ayant résulté de cet engagement professionnel ».
Il en conclut que la Cour d’appel a pu juger sans erreur de qualification juridique des faits que l’Administration établissait qu’il ne s’agissait, non pas d’un gain en capital taxable dans la catégorie des plus-values, mais d’un complément de rémunération taxable en salaire.
Enfin, dans la 3e affaire (BSA), le Conseil d’État souligne que, pour juger que le gain réalisé par les requérants devait être imposé dans la catégorie des traitements et salaires, la Cour s’est bornée à relever les éléments suivants :
- à la suite de la convention, signée peu de temps après l’acquisition des BSA, le contribuable disposait de la garantie de pouvoir les revendre à des prix fixés à l’avance, supérieurs en toute hypothèse aux prix auxquels il les avait lui-même acquis et
- l’émission des BSA était liée à la mission de ce dernier, qui avait été chargé, à son arrivée à la direction de la société, d’engager une démarche de restructuration et de redressement du groupe.
Par conséquent, il juge qu’en décidant sur ces seuls motifs que le gain réalisé lors de la cession de ces bons litigieux devait être regardé comme un complément de salaire, sans rechercher si la convention avait été conclue dans des conditions constituant une contrepartie des fonctions de dirigeant exercées par le contribuable dans une société du groupe, la Cour a commis une erreur de droit.
Avis des praticiens : Alexis Fillinger et Caroline Wiesener
Plus que jamais, les investissements des dirigeants et des salariés dans leurs groupes ou sociétés, devront être structurés pour sécuriser leur qualité d’investisseur. La qualification fiscale dépend d’un large faisceau d’indices, dont la frontière demeure encore très ambigüe. Les plans existants devraient également être revus à l’aune de ces décisions. Par ailleurs, le recours à des outils encadrés fiscalement, comme l’attribution gratuite d’actions, pourra permettre de réduire ces incertitudes.