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Perquisition fiscale : la nécessité d’être vigilant durant la saisie

Perquisition fiscale : la nécessité d’être vigilant durant la saisie

La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation limite très fortement les possibilités de contestation des saisies massives et indifférenciées. Elle incite donc le contribuable à être particulièrement attentif lors du déroulement des opérations de saisie pour qu’il puisse contester document par document les saisies irrégulières.

Dans un arrêt du 8 mars 2016, la Cour de cassation refuse une nouvelle fois de retenir le moyen relatif aux saisies massives et indifférenciées (Cass. Com. 8 mars 2016 n°14-26929).

Si le présent arrêt ne vient pas révolutionner la jurisprudence en matière de perquisition fiscale, il constitue une parfaite illustration du verrouillage opéré par la Cour de cassation sur les possibilités de contestation des saisies massives et indifférenciées.

Nous rappellerons que l’article L.16 B du LPF, qui régit le droit de visite et de saisie, prévoit très clairement que les agents de l’Administration ne peuvent saisir que les pièces et documents se rapportant à la fraude présumée. Ainsi, le Juge des Libertés et de la Détention peut « autoriser les agents de l’administration des impôts (…) à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support ».

En toute logique, la lecture de cet article nous conduit à considérer que l’Administration ne peut saisir des documents sans lien avec la fraude présumée. De la même façon que les correspondances d’avocat ne peuvent être saisies. C’est donc en principe à l’Administration de s’assurer qu’elle saisit des documents en lien avec la fraude présumée.

Toutefois, en pratique, nous constatons que l’Administration réalise des saisies massives sans véritables analyses des documents saisis. Ceci est particulièrement vrai s’agissant des documents informatiques et des correspondances électroniques. Les fichiers sont généralement saisis globalement après une rapide recherche par mot clef pour tenter d’écarter, notamment, les correspondances entre l’avocat et son client.

La Cour de cassation a depuis longtemps développé une jurisprudence validant ce type de saisie.

Le présent arrêt en est une parfaite illustration. Au cas particulier, l’Administration avait saisi l’intégralité de la messagerie Outlook de la société au motif que ce type de fichier est unique, indivisible et insécable.

Le requérant a alors tenté de soutenir, à juste titre, le caractère massif et indifférencié de cette saisie : l’Administration, en saisissant l’intégralité de la messagerie de l’entreprise, avait nécessairement saisi des documents sans lien avec la fraude présumée.

Il soutenait notamment que l’administration, à défaut de pouvoir extraire informatiquement les emails en question du fichier Outlook indivisible, pouvait faire des impressions papiers des documents en lien avec l’autorisation du Juge des Libertés et de la Détention.

La solution de la Cour de cassation, si elle nous semble contestable, a l’avantage de la clarté :
« Lorsqu’un support de documents est indivisible, l’administration est en droit d’appréhender tous les documents qui y sont contenus si certains d’entre eux se rapportent, au moins en partie, aux agissements visés par l’autorisation de visite ».

On notera la formulation du « certains d’entre eux … au moins en partie » qui laisse présager que la Cour de cassation sera favorable à ce type de saisie même si le nombre de document en rapport avec la fraude présumée est très limité par rapport à la masse de documents saisis. Nous comprenons que les saisies massives et indifférenciées ne seront que rarement retenues en France.

Nous rappellerons toutefois que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a déjà condamné la France pour des saisies massives et indifférenciées de fichiers informatiques dans la mesure où il était apparu que le Juge des Libertés et de la Détention n’avait pas réalisé un examen concret et effectif de la régularité des saisies pratiquées1 . Dans la pratique, il nous semble difficile pour le juge de réaliser un tel examen lorsque les saisies portent sur des milliers de documents. L’argument est donc intéressant à soulever devant les juridictions.

L’arrêt de la Cour de Cassation est dans la lignée de la jurisprudence actuelle qui valide de façon constante les saisies portant sur des fichiers considérés comme non divisibles2 . Par ailleurs, nous rappellerons que la Cour de cassation a validé en début d’année une perquisition qui avait consisté à saisir pour l’équivalent de 817 cd-rom de fichiers informatiques au motif que les agents de l’Administration « n’ont pas l’obligation de justifier de ce que chacun d’eux est en relation avec la fraude présumée, ni même à s’expliquer sur leur quantité »3 .

La seconde partie du considérant est également intéressante, bien que non nouvelle, dès lors qu’elle apporte une solution inverse à ce que la lecture de l’article L.16 B du LPF laisse intuitivement penser :
« il appartient ensuite au demandeur au recours de préciser et produire les éléments du fichier qui seraient insaisissables en en indiquant la raison pour chacun des éléments ».

Non seulement l’Administration peut procéder à des saisies massives et indifférenciées sans avoir à se justifier mais il appartient au contribuable qui souhaite les contester de produire ces documents en donnant pour chacun d’eux la justification de leur caractère insaisissable ou sans lien avec la fraude présumée.

C’est donc le contribuable qui se trouve dans l’obligation de réaliser un travail qui, à la lecture de l’article L.16 B, semblait incomber à l’Administration lors de la perquisition.

De plus, une telle position aboutit à une situation totalement paradoxale puisqu’il appartient au contribuable de produire devant le Premier Président de la Cour d’appel, et donc de communiquer à l’Administration, des documents qui n’avaient normalement pas vocation à être rendus publics, soit qu’il s’agisse de documents sans lien avec la fraude présumée, soit qu’il s’agisse de documents couverts par le secret des correspondances entre l’avocat et son client.

L’état de cette jurisprudence nécessite une forte expertise pour obtenir la restitution ou l’annulation des documents saisis.
Le contribuable doit en effet être attentif, lors du déroulement des opérations, aux documents saisis par l’Administration. Il a la possibilité de demander à l’Administration de ne pas saisir certains documents. L’Administration n’est pas tenue de faire suite à ces demandes, mais il est alors possible de solliciter leur mise sous scellés.
Le contribuable peut également présenter des observations dans le cadre du procès-verbal et y contester la saisie de certains documents. Il lui appartiendra ensuite, devant le premier président de la Cour d’appel d’établir la liste des documents dont il conteste la saisie et de justifier de leur caractère insaisissable.

L’objectif de ces démarches est d’obtenir la restitution ou l’effacement (pour les fichiers informatiques) de ces documents pour qu’ils ne puissent pas être exploités par l’Administration dans le cadre de la procédure de vérification qui s’ouvrira certainement à l’issue de la perquisition.

 


 

1 CEDH, 5e sect., 2 avril 2016, n°63629/10 et n°60567/10, Vinci Construction et GTM Génie civil et services c/ France : arrêt rendu en matière de concurrence
2 Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-85.479
3 Cass. com. 5 janvier 2016 n°14-24.666, S Mondelez Europe GmbH et a.
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