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Qualification des rémunérations de prestations artistiques perçues par l’intermédiaire d’une GbR allemande

Le Conseil d’État juge que les rémunérations perçues par des personnes physiques résidentes d’Allemagne au titre de concerts réalisés en France, par l’intermédiaire d’une GbR allemande (Gesellschaft bürgerlichen Rechts) sont imposables à l’IR en France dans la catégorie des BNC.

L’histoire

En 2015, un groupe de musiciens allemands a assuré une série de concerts en France.

La société de production française a versé les recettes correspondantes à une société de droit allemand (une « Gesellschaft bürgerlichen Rechts » – « GbR »), dont les membres du groupe (des personnes physiques résidentes d’Allemagne) étaient les associés.

Ces associés ont déclaré en France les revenus correspondants dans la catégorie des traitements et salaires, après application de la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels, ainsi que la RAS prévue à l’article 182 A bis du CGI.

Ils ont ensuite sollicité par voie de réclamation la déduction des frais professionnels réels engagés au titre de ces concerts (charges de personnel, frais de transport, etc., nettement supérieurs au forfait de 10 %).

Les juridictions du fond ont refusé de faire droit à cette demande, au motif que les factures fournies étaient libellées au nom de la société allemande qui s’est acquittée de leur paiement, sans que les membres du groupe ne parviennent à démontrer dans quelle mesure ces frais étaient nécessaires à leurs activités salariées personnelles.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État s’est, lui, placé sur un terrain différent, considérant que la catégorie d’imposition des revenus (traitements et salaires) était erronée (pour rappel, il s’agit d’un moyen d’ordre public, pouvant être soulevé d’office par le juge de l’impôt).

Recours à la théorie de l’assimilation

Le Conseil d’État rappelle d’abord que, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, le juge de l’impôt doit identifier au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable, afin de déterminer le régime applicable à l’opération par la loi fiscale française (méthode dite de « l’assimilation », élaborée par le Conseil d’État dans sa décision du 24 novembre 2014, n°363556, Sté Artémis).

Le Conseil d’État juge ensuite que la GbR allemande est assimilable à une société civile de droit français, relevant de l’article 8 du CGI (régime des sociétés de personnes).

Dans ses conclusions, le rapporteur public soulignait, à cet égard, qu’en droit allemand, la GbR est la forme la plus commune des sociétés de personnes, qu’elle est dotée d’une personnalité propre, et d’un patrimoine propre constitué par les apports de ses associés, lesquels sont personnellement, indéfiniment, et solidairement responsables des dettes et obligations de la société. De plus, la cession des parts de la GbR est soumise à l’approbation de l’ensemble des associés.

Qualification du revenu au regard du droit français

Pour rappel, les bénéfices réalisés par une société relevant du régime des sociétés de personnes (CGI, art. 8) sont imposés entre les mains de ses associés à raison de la quote-part correspondant à leurs droits respectifs, soit à l’IR soit à l’IS, en fonction de l’impôt auquel ils sont eux-mêmes soumis.

En application des dispositions de l’article 238 bis K, II du CGI, la quote-part des bénéfices de chaque associé est déterminée en tenant compte de la nature de l’activité et du montant des recettes de la société. Selon l’administration fiscale, la profession d’artiste est une activité libérale dont les bénéfices sont imposables dans la catégorie des BNC (BOI-BNC-CHAMP-10-10-10, n°30, 12 septembre 2012).

Au cas d’espèce, le Conseil d’État juge qu’eu égard à l’activité artistique exercée par la société civile de droit allemand assimilable à une société civile de droit français, la part de bénéfices revenant à ses associés doit être déterminée selon les règles applicables aux revenus relevant de la catégorie des BNC (CGI, art. 92 et s.).

Il relève que les dispositions de la convention franco-allemande, dans sa rédaction en vigueur, ne faisaient, de surcroît, pas obstacle à l’imposition en France des revenus ainsi qualifiés. Il annule donc pour erreur de droit la décision de la CAA de Paris, et lui renvoie l’affaire pour règlement au fond.

Les faits d’espèce relevaient de l’ancienne convention mais l’analyse devrait être identique sous l’empire de l’actuelle rédaction de la convention franco-allemande (complétée par un avenant du 31 mars 2015 introduisant des dispositions spécifiques aux revenus des artistes), l’article 13 b prévoyant expressément l’imposition dans l’Etat de la source des revenus, qu’ils soient perçus directement ou par l’intermédiaire d’une autre personne que l’artiste.

On peut relever que la solution retenue par le Conseil d’État diverge d’une de ses positions plus anciennes dans le cadre de laquelle il avait jugé que l’Administration s’était régulièrement fondée sur la présomption de salariat des artistes du spectacle posée par l’article L.7121-3 du Code du travail pour imposer dans la catégorie des traitements et salaires en France les gains perçus par un joueur de tennis professionnel allemand via un mandataire (CE, 22 juin 2011, n°319240, Boris Becker). Mais, ainsi que le souligne le rapporteur public dans ses conclusions suivies, la configuration n’était pas tout à fait identique.

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