Le Conseil d’État clarifie le délai de réclamation applicable à la demande de restitution de retenues à la source formulée par une société non-résidente.
Rappel
L’article R. 196 du LPF prévoit les délais dont disposent les contribuables pour faire valoir leurs droits par voie de réclamation.
Délai général
Lorsque l’impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement, les réclamations doivent, de manière générale, être présentées à l’administration fiscale au plus tard le 31 décembre de la 2e année suivant celle du versement de l’impôt contesté (LPF, art. R. 196-1 al. 1 b).
Délai spécial
Le législateur a également prévu un délai spécial, plus court, concernant les contestations relatives à l’application de retenues ou prélèvements à la source, pour lesquelles les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle ces retenues ont été opérées (LPF, art. R. 196-1 al. 2 b). Une extension de ce délai a été prévue par la LF 2022 dans le cadre de la mise en place du nouveau mécanisme de restitution de retenues à la source destiné à prendre en compte les charges supportées pour l’acquisition et la conservation des revenus auxquels ces retenues s’appliquent (ainsi que dans le cadre bien spécifique des demandes de restitution temporaire prévu pour les sociétés étrangères déficitaires).
Dans ce cadre, en matière de retenue à la source, l’administration fiscale effectue une distinction de délai selon la qualité de la personne procédant à une réclamation (BOI-CTX-PREA-10-40, 25 juin 2014, n°260 et 270) :
- le délai général s’applique lorsque la réclamation émane de la partie versante,
- alors que le délai spécial plus court s’applique en cas de réclamation par le contribuable.
Le Conseil d’État a jugé, dans une décision de principe (CE, 5 juillet 2010, n°310945, Serater), que le délai spécial (2nde partie de l’article R. 196-1 du LPF) présente un caractère subsidiaire par rapport au délai général (1re partie de l’article R. 196-1 du LPF) et qu’une réclamation n’est donc pas tardive dès lors que le délai général de 2 ans prévu par la 1re partie des dispositions en question n’est pas clos.
Il a ensuite décliné cette solution dans le cadre de demandes de restitution du prélèvement prévu à l’article 244 bis A du CGI (CE,15 avril 2016, n°385737 et 17 mars 2017, n°391668), avant de l’étendre à une demande de restitution de RAS sur dividendes formée par un fonds américain (CE, 24 janvier 2018, n°402167, CALPERS).
L’histoire
Il s’agit ici de l’un des derniers rebondissements dans la saga « Sofina », dans le cadre de laquelle des sociétés avaient contesté devant le CE, puis devant la CJUE, le fait qu’une retenue à la source soit prélevée sur des dividendes versés à une société non-résidente déficitaire (aff. C-575/17, 22 novembre 2018, Sociétés Sofina, Rebelco et Sidro SA).
La CJUE avait considéré que la législation française était, sur ce point, incompatible avec la liberté de circulation des capitaux, et le législateur en a tiré les conséquences, en introduisant un mécanisme de restitution temporaire de RAS en faveur des non-résidents se trouvant en situation déficitaire (LF 2020, art. 42, article 235 quater du CGI, application aux exercices ouverts depuis le 1er janvier 2020, avec une extension des délais déclaratifs par la loi de finances pour 2022).
Ainsi, la société belge Sofina a obtenu la restitution de la retenue à la source acquittée au titre des années où elle était déficitaire, mais non pour l’année 2008, la réclamation déposée par la société le 22 décembre 2011 ayant été considérée comme tardive (CAA Versailles, 27 février 2020, n°19VE00738).
La CAA de Versailles (jugeant sur renvoi), a suivi la position exprimée par l’Administration dans ses commentaires au BOFiP et considéré que le délai de réclamation de 2 ans s’appliquait seulement à l’établissement payeur, tandis que le bénéficiaire (la société belge Sofina) était tenu par le délai d’un an.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État pose, en 1er lieu, le principe selon lequel les réclamations contestant l’application de retenues à la source doivent être déposées dans le délai spécial (prévu au b) du 2e alinéa de l’article R. 196-1 du LPF) et donc au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle ces retenues ont été opérées.
Il en conclut que le délai de réclamation dont disposait la société Sofina pour contester les retenues à la source litigieuses prélevées en 2008 expirait, en application de ces dispositions, le 31 décembre 2009. Autrement dit, il semble – sur le plan des principes – revenir clairement sur sa décision CALPERS précitée.
En revanche, il va admettre, au cas d’espèce, l’application du délai général de 2 ans, en se fondant sur le principe d’équivalence, lequel impose que les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l’exercice d’une liberté garantie par le droit de l’UE ne soient pas moins favorables que celles concernant le traitement de situations purement internes. Ainsi, lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, de lui appliquer des règles procédurales de nature à rétablir une équivalence de traitement.
Il juge dès lors que l’application aux contestations de retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française perçus par une société non-résidente, d’un délai de réclamation d’une durée inférieure à celui dont dispose une société résidente contestant l’IS dû à raison de ces mêmes dividendes (délai général prévu au 1er alinéa de l’article R. 196-1 du LPF), méconnaît le principe d’équivalence garanti par le droit de l’UE, dès lors que cette différence n’est pas justifiée par une différence objective de situation.
Le délai de réclamation dont disposait la société Sofina expirait dès lors au 31 décembre 2010.
Le Conseil d’État conclut à la tardivité de la réclamation présentée le 22 décembre 2011, après avoir rejeté les autres arguments présentés par la société Sofina.
Celle-ci contestait notamment l’existence d’un point de départ du délai de réclamation différent selon qu’il s’agit de sociétés résidentes (paiement de l’impôt) ou de sociétés non-résidentes (prélèvement de la retenue à la source). Le Conseil d’État considère qu’il s’agit simplement d’une technique d’imposition liée à des modalités de recouvrement différentes, qui ne confère aux sociétés résidentes aucun avantage constitutif d’une entrave à la libre circulation des capitaux.