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Statuts et pacte d’associés : les nullités des clauses des statuts ne s’appliquent qu’aux cessions librement consenties

La Cour de cassation restreint le champ d’application de l’article L.227-15 du code de commerce lequel ne comporte pourtant aucune limitation (Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-25.952, PB).

La Cour régulatrice a eu l’occasion d’adopter cette position en étant saisi d’un pourvoi relatif à l’articulation entre deux clauses : une clause statutaire d’exclusion et une clause de roulette russe figurant dans un pacte d’associés.

La clause de roulette russe, également dite shot gun, buy or sell ou de sortie alternative, illustrant l’imagination de la pratique pour désigner les stipulations contractuelles qui permettent à un associé de sortir de la société en vendant ses titres d’associé à un autre associé qui, s’il refuse, est alors lui-même tenu de céder sa participation. L’intérêt pratique d’une telle stipulation est de forcer les associés avec lesquels il y a un désaccord soit de racheter les titres et de permettre la sortie de l’un, soit de sortir eux-mêmes. Dans les deux hypothèses, le désaccord entre associés est éliminé, puisque les associés ne sont plus… associés !

L’affaire

En l’espèce, un litige est né entre des associés d’une société d’exercice libéral organisée sous forme de SAS. La clause d’exclusion statutaire prévoyait la possibilité d’exclure un associé en cas de manquement à ses obligations professionnelles. La clause de roulette russe présente dans le pacte conclu entre les associés, beaucoup plus large, pouvait jouer en cas de tout manquement à ses obligations par une partie au pacte, et non exclusivement dans le cas d’un manquement aux obligations professionnelles.

C’est un manquement aux obligations du pacte qui a été reproché à l’un des associés, également Président de la société, par un autre associé.  La clause invoquée comportait une double promesse, de vente ou d’achat, un associé s’engageant envers l’autre, soit à lui acheter ses droits sociaux, soit à lui vendre les siens, à un prix convenu.

L’associé Président, contestant le jeu de la clause du pacte, obtint gain de cause devant la Cour d’appel avant que l’arrêt soit cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Les juges d’appels avaient, en effet, considéré que la clause de roulette russe encourait la nullité sur le fondement de l’article L.227-15 du code de commerce (qui dispose que toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle) parce qu’elle contrevenait à la clause d’exclusion des statuts.

Cette solution est écartée par la Cour de cassation pour deux raisons. D’une part, la clause de roulette russe n’est pas en contradiction avec les statuts, les deux clauses ayant des objets différents. D’autre part, et c’est là l’apport principal de cette décision, la clause de roulette russe implique, pour la Cour de cassation, une cession volontaire potentielle, ce qui fait obstacle à l’application de l’article L.227-15 du code de commerce à une cession consécutive à une exclusion.  Une telle cession est en effet imposée au cédant alors que cet article ne peut s’appliquer qu’aux cessions librement consenties par le cédant.  

Compatibilité de la clause d’exclusion statutaire avec la clause de roulette russe dans un pacte

La Cour de cassation sanctionne une confusion de la Cour d’appel qui a assimilé la clause de roulette russe à une clause d’exclusion. Bien que le résultat soit en effet similaire du point de vue de l’associé qui doit céder ses titres par le biais de la clause de roulette russe, l’objet de la clause d’exclusion statutaire et l’objet de la clause de roulette russe ne doivent pas être confondus car ils sont bien distincts.

L’arrêt prend soin de préciser que la clause d’exclusion n’est pas relative aux cessions d’actions : « l’article 2-9 des statuts ne concerne pas la cession des actions de la société [Y] mais régit le cas d’exclusion d’un associé pour violation des règles de fonctionnement ».

En effet, la clause de roulette russe n’a pas pour objet d’exclure l’associé au sens du droit des sociétés, mais de permettre d’appliquer un mécanisme de dénouement d’une situation conflictuelle par une promesse de cession, ou d’acquisition, sous condition suspensive. Il s’agit donc d’une cession librement consentie.

N’ayant pas le même objet, ces deux clauses reposent également sur une différence majeure, expressément énoncée par la Cour de cassation :  la volonté, ou non, de l’associé de céder ses titres.  

Application des nullités de L.227-15 du code de commerce aux seules cessions librement consenties

La disposition litigieuse ne s’applique qu’aux cessions librement consenties énonce l’arrêt dans un attendu de principe. Comme les cessions consécutives à une exclusion par le jeu d’une clause statutaire sont des cessions forcées, l’article L.227-15 ainsi appréhendé ne peut servir de fondement à la nullité d’une cession effectuée en violation d’une clause d’exclusion. 

L’arrêt ne se prononce pas sur les raisons qui poussent à réduire ainsi le champ d’application de l’article L.227-15 du code de commerce dont rien dans la (brève) formulation ne laissait deviner une application aussi restrictive.

On peut en déduire deux éléments a contrario. D’une part, une nullité était évidemment invocable sur le fondement de l’article en cause mais à condition de démontrer que la stipulation du pacte aboutissait à la violation d’une clause statutaire régissant les cessions librement consenties et non imposées ; et, d’autre part, en l’absence de violation des statuts, la nullité de la clause de roulette russe était également invocable, en théorie, sur un autre fondement que cet article.

Plusieurs fondements sont envisageables pour peu que la clause visée prête flanc à la critique. La question de la présence d’un prix déterminable. Ou d’une condition purement potestative qui déclencherait le mécanisme.

Compte tenu des précautions dont use la pratique, faire prospérer de tels fondement ne sera pas chose aisée. Dans ce contexte, la Cour de cassation rend ainsi une décision protectrice des clauses de roulette russe alors que l’article L.227-15 du code de commerce paraissait être le fondement privilégié pour tenter de contester la validité d’une cession intervenue en application d’une clause de buy or sell en cherchant à démontrer une contrariété aux statuts.

Voici donc les nullités des cessions contraires aux statuts des SAS coupées en deux : celles qui relèvent de l’article L.227-15 du code de commerce, pour les cessions librement consenties (dont les clauses de roulette russes par exemple), et les autres, pour les cessions imposées (notamment consécutives à une exclusion). Ces dernières doivent voir leur nullité recherchée sur le fondement du droit commun faute d’un fondement spécifique dans le code de commerce.

Ce principe vient bousculer la rédaction de certaines clauses statutaires de SAS qui indiquent de manière générale que les cessions effectuées en violation des statuts sont nulles en vertu de cet article du code de commerce. Cela invite également à s’assurer de la compatibilité entre les pactes et les statuts, qu’ils soient, ou non signés, le même jour par les mêmes parties. 

La subtile, et toujours incertaine, interrogation quant à la validité des clauses du pacte par rapport aux statuts n’est pas près d’être tranchée !

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