La CAA de Paris écarte la localisation au UK du siège de direction effective d’une société, en raison de l’absence de substance de cette société britannique, ainsi que de la localisation, de manière quasi-exclusive depuis la France, de la gestion des affaires commerciales, juridiques, fiscales, comptables et logistiques. Elle refuse, de plus, le droit à l’erreur invoqué par la société pour faire obstacle aux conséquences découlant de la qualification d’activité occulte résultant de la remise en cause du siège de direction effective au UK.
L’histoire
En 2015, l’Administration a engagé une visite domiciliaire (LPF, art. L. 16 B), dans les locaux d’une société de droit anglais et d’une société française, appartenant au même groupe. A l’issue de ces opérations, elle a considéré que la société britannique disposait de son siège de direction effective en France et non au Royaume-Uni.
Elle lui a, par conséquent, réclamé le paiement de l’IS et des impôts locaux exigibles au titre des années 2009 à 2015, et a assorti le redressement de la majoration de 80 %, prévue en cas de découverte d’une activité occulte par les dispositions de l’article 1728, c, du CGI.
La décision de la CAA de Paris
Sur la détermination du siège de direction effective
La Cour rappelle, en 1er lieu, qu’en application de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 (conforme, sur ce point, au modèle OCDE), la détermination de la résidence conventionnelle d’une personne morale s’effectue d’abord par référence au droit interne, puis, si ce critère est inopérant, selon le critère subsidiaire du siège de direction effective.
La convention ne contient toutefois pas de définition de la notion de « siège de direction effective ».
De son côté, la jurisprudence du Conseil d’Etat définit généralement la notion de siège de direction effective comme le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques en matière de gestion et de politique industrielle ou commerciale qui déterminent la conduite des affaires de cette entreprise dans son ensemble (voir notamment CE, 16 avril 2012, n°323592).
Cette qualification relève donc essentiellement d’une question de fait qui, loin d’être évidente, repose sur la réunion d’un ensemble d’indices.
Au cas d’espèce, la CAA de Paris juge que la société britannique avait son siège de direction effective en France (et non au Royaume-Uni), en se fondant sur les éléments suivants :
- Tous les dirigeants de la société britannique (exerçant de surcroît les mêmes fonctions au sein des entités françaises du groupe) étaient des résidents fiscaux français, n’ayant disposé que de rémunérations intermittentes et limitées de la société britannique, et dont la présence effective sur le sol britannique n’était pas établie ;
- Les décisions stratégiques étaient prises en France ;
- Une gestion quasi-exclusive depuis la France des affaires commerciales, juridiques, fiscales, comptables et logistiques (étayée par la saisie lors des visites domiciliaires dans les locaux français, de nombreux contrats, factures, documents comptables et juridiques, courriers adressés à l’administration fiscale britannique, bulletins de salaires relatifs à la société britannique) ;
- L’absence de substance de la société britannique – domiciliation, au titre des années contrôlées, au bureau de son expert-comptable britannique et absence de salariés. On notera qu’il importe peu que cette société britannique se soit ensuite dotée d’une substance incontestable au titre des années suivantes (plus de 130 salariés au Royaume-Uni en 2019, notamment).
Cette solution est à rapprocher de 2 récentes décisions du Conseil d’Etat et de la CAA de Douai, qui avaient remis en cause le siège de direction effective de sociétés luxembourgeoises, compte-tenu de la faiblesse des moyens humains et matériels de ces sociétés au Luxembourg, ainsi que de la prise des décisions stratégiques en France (CE, 15 mars 2023, n°449723, Société CA Animation, et CAA Douai, 17 août 2023, n°21DA02808, SARL Clan’s World).
Sur la caractérisation d’une activité occulte et l’absence de droit à l’erreur
Pour mémoire, la découverte d’une activité occulte est susceptible d’entraîner le recours à la procédure de taxation d’office (LPF, art. L. 66), l’application de la prescription allongée à 10 ans (LPF, art. L. 169), ainsi que d’une majoration de 80 % (CGI, art. 1728).
La preuve du caractère occulte est présumée apportée dès lors que le contribuable ne s’est pas acquitté de ses obligations déclaratives, sans que l’Administration ne soit tenue de démontrer que son comportement révélait son intention de dissimuler son activité (CE, 7 décembre 2015, n°368227, Frutas y Hortalizas SL).
Le contribuable peut toutefois renverser cette présomption, en faisant valoir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives (solution d’abord limitée à l’application de la majoration pour activité occulte, CE, 7 décembre 2015, n°368227, Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL, puis transposée à l’application du délai spécial de reprise de 10 ans, CE, 21 juin 2018, n°411195).
Dans ce cas, la justification de l’erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d’imposition dans l’autre État, que des modalités d’échange d’informations entre les administrations fiscales des 2 États (pour une application récente, CE, 18 mars 2021, n°410573, Sté Ediprint).
La société se prévalait en l’espèce d’une telle erreur, arguant qu’elle avait déclaré son activité au Royaume-Uni et y avait souscrit ses déclarations fiscales.
La CAA de Paris écarte l’existence d’une telle erreur, en soulignant qu’il résulte des éléments saisis lors de la visite domiciliaire que la société britannique avait « une claire connaissance de son absence de substance au Royaume-Uni et du risque de requalification correspondant », faisant dès lors obstacle à la reconnaissance d’une erreur de bonne foi. Il nous semble que la Cour institue ici une nouvelle condition d’application du droit à l’erreur.
Elle juge qu’il importe dès lors peu à cet égard qu’il existe dans la convention franco-britannique une clause d’assistance administrative destinée à lutter contre l’évasion fiscale, et que la différence d’imposition entre la France et le Royaume-Uni était réduite à la date de création du siège social au Royaume-Uni.