A contrecourant de la totalité des pays industrialisés, la France a décidé d’augmenter le taux d’impôt sur les sociétés, qui est pourtant déjà le deuxième plus élevé au monde. Ce singularisme français tente de se justifier en accusant les entreprises internationales de ne pas payer assez d’impôts en France et en insistant sur la lutte contre les paradis fiscaux. Maintes fois répétée par les tenants du dogme fiscal, cette hypothèse mensongère cache une réalité bien plus grave : dans la guerre fiscale entamée avec le nouveau siècle, la France se trompe de bataille. Le combat se déroule entre Etats et non contre les entreprises.
Les prix de transfert, c’est-à-dire la politique de prix établie pour les transactions au sein des entreprises internationales, sont un sujet majeur pour l’économie. En effet, ces échanges intragroupes représenteraient selon l’OCDE environ 60% du commerce international, et leur part semble progresser d’année en année, le taux dépasserait même les 70% au sein de l’Union européenne. L’émergence de l’immatériel mais aussi la sophistication de l’économie rendent de plus en complexe leur valorisation, faisant des prix de transfert le premier sujet fiscal de toute entreprise internationale. En revanche, il est faux d’affirmer que les prix de transfert concernent les paradis fiscaux : ils touchent les flux entre les puissances économiques, aussi bien établies qu’émergentes.
Chaque Etat livre un combat acharné pour attirer le centre de gravité des profits liés au commerce international, et renvoyer chez les autres les pertes réalisées. Or cette compétition n’est pas un jeu à somme nulle pour les entreprises. Elles sont de plus en plus victimes des doubles et multiples impositions sur leur prix de transfert. Celles mal défendues par leurs Etats d’origine voient leur compétitivité, et parfois leur survie, menacée. La faillite de Chrysler était, entre autre, liée à un redressement prix de transfert de 1 milliard de dollars entre les USA et le Canada !
A quoi sert d’augmenter le taux d’impôt et d’inciter à une meilleure répartition des bénéfices avec les salariés, lorsque ces bénéfices sont captés par les Etats étrangers à coups de redressements fiscaux dits « prix de transfert » ? Comment ne pas comprendre que les entreprises françaises sont avant tout les alliées de l’Etat dans sa lutte pour protéger sa souveraineté fiscale ? On ne sanctionne pas ses alliés, on les protège. C’est pourtant bien l’inverse que fait la politique fiscale actuelle, comme si nous étions le seul pays à ne pas nous soucier la guerre fiscale qui fait rage.
Car, sur ce sujet autrement plus important que la taxation des résidences secondaires, le silence de la France est assourdissant. Dans la profusion de chiffres fiscaux communiqués, certains restent étrangement cachés. Qui sait que seules 6% des entreprises européennes n’ont jamais rencontré de cas de double imposition transfrontalière, que le plus grand nombre de cas de double imposition décelés concerne la France et l’Allemagne et que plus grand nombre de cas de double imposition rapportés concerne… les prix de transfert ?1
Quand une entreprise française subit une double imposition, ce qui est fréquent, c’est sa compétitivité qui est menacée. Elle peut certes la résoudre grâce aux Traités fiscaux que la France honore toujours avec qualité et honnêteté. Mais dans ce cas, si l’autre pays ne renonce pas à son redressement, c’est la France qui doit dégrever l’entreprise, et donc transférer de la recette fiscale à l’étranger !
Les prix de transfert sont donc le nouveau visage du protectionnisme et l’arme ultime des Etats pour appréhender la plus grande part possible de recettes fiscales liées au commerce intragroupe et international. Comme dans toute bataille, il y aura des perdants et ceux-ci verront disparaître leur souveraineté fiscale, non pas du fait des charmes fantasmés des paradis fiscaux, mais à cause de leur impréparation à affronter le nouveau visage de la guerre économique.
Espérons donc qu’il ne faudra pas attendre un Chrysler français pour changer de cap.