La CAA de Paris juge que l’enchaînement des opérations d’acquisition des titres d’une société ayant auparavant cédé ses principaux actifs, suivie d’une distribution des dividendes sous le régime mère-fille au profit de la cessionnaire, puis de la constitution d’une provision pour dépréciation de ces mêmes titres, n’est pas constitutif d’un abus de droit, au sens de l’article L. 64 du LPF (« montage coquillard »), dès lors qu’en l’espèce cette acquisition lui a permis d’acquérir indirectement les titres d’une filiale présentant un enjeu économique important – i.e. chaînon manquant au contrôle d’une chaîne de fabrication.
En 2006, une société holding, tête d’un groupe d’intégration fiscale dans le secteur aéronautique, acquiert une société qui avait peu de temps auparavant cédé ses principaux actifs. Le lendemain de l’acquisition ainsi que deux mois après, la filiale acquise procède à des distributions massives de dividendes au profit de son nouvel actionnaire. Le montant des dividendes ainsi versés est quasiment identique au prix d’acquisition de la filiale.
Une partie de ces distributions de dividendes est effectuée par la remise des titres d’une filiale opérationnelle.
Le nouvel actionnaire a soumis les dividendes ainsi reçus au régime des sociétés mères et a par ailleurs déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres de la filiale à hauteur des dividendes reçus.
À l’issue d’un contrôle fiscal, l’Administration remet en cause l’application du régime des sociétés mères, la déductibilité de la provision et applique les pénalités pour abus de droit de 80 %.
Selon l’Administration, le fait d’acquérir une société ayant cessé son activité initiale et liquidé ses actifs, dans le but d’en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d’IS en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à permettre à la société acquise de reprendre et développer son ancienne activité ou d’en trouver une nouvelle, va à l’encontre de l’objectif du législateur et révèle l’existence d’un montage fiscal constitutif d’un abus de droit. Elle a donc procédé à la remise en cause des déductions résultant de l’enchaînement de ces opérations sur le fondement de l’article L. 64 du LPF (« montage coquillard » – CE 17 juillet 2013 n°352989, min. c/ SAS Garnier Choiseul Holding et CE 23 juin 2014 n°360708, min. c/ Sté Groupement Charbonnier Montdiderien).
En appel, la CAA de Paris rejoint tout d’abord la position de l’Administration en rappelant que le fait d’acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d’en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d’IS en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et de développer leur ancienne activité ou d’en trouver une nouvelle, va à l’encontre de l’objectif du régime des sociétés mères qui est de favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique des filiales.
La Cour procède ensuite à une analyse des faits de l’espèce pour finalement considérer que l’Administration n’apporte pas la preuve du but exclusivement fiscal de l’acquisition.
Selon l’analyse de la Cour, certes le nouvel actionnaire n’a jamais eu pour objectif de développer les activités de la société acquise, il l’a d’ailleurs privée presque immédiatement des moyens financiers dont elle disposait par la distribution des dividendes. Cependant, la Cour retient également que cette opération d’acquisition a indirectement permis au nouvel actionnaire d’acquérir les titres d’une société opérationnelle. L’acquisition de cette société opérationnelle a ainsi offert l’opportunité de maitriser l’ensemble de la chaine de production correspondant à son secteur d’activité (fabrication de matériels que les autres sociétés du groupe ne produisent pas), et de renforcer significativement sa position économique (augmentation de 25 % du CA post-acquisition). De plus, en tout état de cause, il n’était pas soutenu que les titres de cette société opérationnelle auraient pu être acquis directement, ni qu’il aurait existé une quelconque collusion entre cédant et cessionnaire.
La Cour en conclut que, compte tenu de l’intérêt économique tenant à l’enchaînement de ces opérations, l’Administration n’ayant pas apporté la preuve du but exclusivement fiscal, cette dernière n’était pas fondée à recourir à la procédure de répression des abus de droit.
À l’aune du droit positif, et en application de la clause anti-abus générale prévue à l’article 205 A du CGI, il est difficile de déterminer à ce stade si la position de la Cour aurait été la même. En effet, entre les expressions « but exclusivement fiscal » (de l’article L64 du LPF) et « obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal » (de l’article 205 A du CGI) les frontières sont encore bien difficiles à évaluer.
À suivre…