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Absence d’imputation des pertes d’un ES étranger : application par les juges du fond de la décision CJUE W AG

Par application de la récente position de la CJUE, le TA de Montreuil juge que ne porte pas atteinte à la liberté d’établissement le refus de prise en compte par une société résidente des pertes subies par son ES situé dans un autre Etat membre dès lors que la France a renoncé à son pouvoir d’imposer les résultats de cet ES en application de la convention fiscale bilatérale signée avec l’Etat membre d’accueil de cet ES (Portugal et Grèce au cas d’espèce).

Rappel

Le principe de territorialité de l’IS, qui conduit à exclure les résultats des entreprises exploitées hors de France, ne se limite généralement pas aux profits mais joue également à l’égard des charges et des pertes. Dès lors, une société française ne peut, en principe, retrancher de ses résultats imposables en France les déficits d’une exploitation à l’étranger.

La CJUE juge toutefois qu’une société établie dans un Etat membre (EM) qui détient un établissement stable (ES) dans un autre EM peut déduire les pertes de cet ES lorsqu’il n’existe plus aucune possibilité de prendre en compte ces pertes dans l’État d’implantation de l’établissement (CJUE 12 juin 2018 aff. 650/16, A/S Bevola), à moins que l’État du siège ait renoncé à imposer les résultats des ES non-résidents en vertu d’une convention fiscale (CJUE 22 juillet 2022 aff. 538/20, W AG).

A cet égard, la Haute juridiction européenne était également venue préciser que les pertes ne sauraient être qualifiées de définitives s’il reste possible de faire valoir économiquement ces pertes en les transférant à un tiers avant la clôture de la liquidation – par exemple à la suite d’une cession pour un prix intégrant la valeur de l’avantage fiscal que représente la déductibilité des pertes pour le futur (CJUE 19 juin 2019, aff.607/17 et 608/17, Memira et Holmen).

L’histoire

Une société française a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices 2010 à 2012, à l’issue de laquelle l’Administration a remis en cause l’imputation sur les bases soumises à l’IS en France des déficits fiscaux de ses succursales localisées en Grèce et au Portugal, tels qu’accumulés jusqu’à la date de leur cessation d’activité.

Par la suite, la société tête d’intégration fiscale, dont la société redressée était membre, a contesté sans succès le redressement.

La décision du TA de Montreuil

Les juges écartent l’argument de la société selon lequel la jurisprudence W AG précitée ne serait pas applicable au présent litige dès lors que la France a renoncé, sur le fondement de son droit interne et non en vertu d’une convention préventive de double imposition, à imposer les ES non-résidents, en application du principe de subsidiarité (posé par la décision CE 8 juin 2002, n°232276, Schneider Electric).

Ils considèrent, en effet, qu’il résulte des stipulations applicables de la convention fiscale franco-grecque (art. 4) et franco-portugaise (art. 7) que la France a renoncé à son pouvoir d’imposer les bénéfices réalisés par des ES situés en Grèce et au Portugal par l’intermédiaire desquels ses sociétés résidentes exercent leur activité. Il en va dès lors de même, symétriquement, de la prise en compte des pertes enregistrées par ces ES.

Dans ces circonstances, les juges estiment qu’une société française résidente qui détient de tels établissements ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’une société résidente qui détient des ES situés en France au regard de l’objectif consistant à prévenir ou à atténuer la double imposition des bénéfices et, symétriquement, la double prise en compte des pertes.

Par suite, le TA décide qu’aucune restriction à la liberté d’établissement (TFUE, art. 49 et 54) ne saurait être constatée – et considère dès lors qu’il n’est nul besoin de se prononcer sur l’existence d’une justification par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée à cet objectif.

Le TA de Montreuil rejette la requête de la société en conséquence.

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