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Abus de biens sociaux aggravé : la Cour de cassation précise la notion d’interposition d’une entité étrangère 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim. n° 24-84.249 F-B, 24 sept. 2025) vient d’apporter une importante clarification sur la circonstance aggravante d’interposition de personne étrangère dans le cadre du délit d’abus de biens sociaux. Elle confirme ainsi l’analyse de la Cour d’appel de Chambéry (septembre 2023) avec des conséquences directes sur le droit pénal des affaires, notamment en matière de montages impliquant des sociétés étrangères. 

Les faits 

En l’espèce, le dirigeant d’une société française a été condamné pour avoir détourné des fonds au profit d’une société luxembourgeoise, dont il était également le dirigeant.   

Condamné, le dirigeant contestait la circonstance aggravante prévue à l’article L.242-6 du code de commerce, au moyen que la société luxembourgeoise avait perçu directement les fonds, devenant ainsi le destinataire et non un simple intermédiaire. Selon sa défense, l’aggravation ne devrait s’appliquer qu’en cas d’interposition réelle, c’est-à-dire si la société étrangère ne faisait que transiter les fonds vers le dirigeant. 

La ratio legis de la circonstance aggravante de l’interposition d’une personne étrangère dans le délit d’abus de biens sociaux aggravé.  

La Cour de cassation rejette cet argument. 

La Cour rappelle tout d’abord, que l’interposition d’une personne morale au sens de l’article L.242-6 du code de commerce s’entend comme « l’interposition entre la société victime et le dirigeant prévenu ». Selon la Cour de cassation, laquelle ne suit pas le raisonnement du dirigeant, l’interposition d’une personne morale au sens de l’article L.242-6 du code de commerce s’entend comme « l’interposition entre la société victime et le dirigeant prévenu. Ainsi, la circonstance d’interposition s’applique à toutes les situations où une personne morale étrangère se trouve entre la société française victime et son dirigeant, qu’elle soit un simple écran ou le destinataire apparent des fonds. Ce qui importe, c’est que le dirigeant reste le bénéficiaire effectif, même si la société étrangère reçoit matériellement les sommes en cause.  

Pour rappel, les peines principales sont déterminées pour les sociétés anonymes à la lettre de l’article L.242-6 du code de commerce. Ces peines sont un emprisonnement de cinq ans et une amende de 375 000 €. La loi du 6 décembre 2013 (n° 2013-1117) a institué une circonstance aggravante lorsque le délit d’abus de biens ou crédit a été réalisé ou facilité au moyen de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger. Cette circonstance aggravante augmente la peine d’emprisonnement à sept ans, l’amende à 500 000 €.  

Le législateur entendait ainsi se doter d’un dispositif dissuasif pour lutter contre les montages internationaux complexes qui visent à soustraire les infractions à la vigilance des autorités. 

Ensuite, la Cour de cassation balaye aussi le raisonnement s’appuyant sur la rédaction de la lettre de l’article L.242-6 du code de commerce concernant l’emploi du pluriel. En effet, l’article mentionne « l’interposition de personnes physiques ou morales ».  En raison de l’interprétation stricte de la loi pénale, l’utilisation du pluriel pourrait laisser penser que l’interposition supposerait plusieurs personnes morales et/ou physiques ; néanmoins, l’emploi du singulier dans la suite de l’article (“tout organisme”) fragilise cette lecture. L’argument de l’interprétation stricte n’est donc pas efficace pour contester l’interprétation que fait la Cour de cassation de l’article L.242-6 du code de commerce.  

Extension de la solution applicable aux autres formes sociales  

Toutes les formes sociales de société française dans lesquelles il est possible de commettre un abus de biens sociaux sont soumises au même régime.  

En effet, l’article L.241-3 du code de commerce pour les SARL, et l’article L.242-6 du code de commerce pour les SA, l’article L.243-1 du code de commerce pour les sociétés en commandite par action et l’article L.244-1 du même code pour les SAS sont tous rédigés de manière identique puisqu’il s’agit d’un renvoi de texte. La solution dégagée par cet arrêt est donc transposable à toutes ces formes sociales.  

Conclusion  

La Cour de cassation adopte une interprétation large et pragmatique de la circonstance aggravante en privilégiant la lutte contre l’utilisation d’entités étrangères comme écran, indépendamment du nombre d’entités interposées ou du transfert effectif au bénéfice personnel du dirigeant. Cette position renforce la portée de la répression des abus de biens sociaux aggravés et met en garde les dirigeants contre toute tentative de détourner les fonds sociaux via des sociétés étrangères, même si celles-ci ne sont pas des entités contrôlées.  

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