L’accessibilité numérique apparaît comme une nécessité grandissante. Dans un récent rapport remis le 5 février 2020 au secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées, ainsi qu’au secrétaire d’État chargé du Numérique, le Conseil National du Numérique (CNNum) a présenté les résultats de l’étude des différents scénarios d’amélioration de l’accessibilité numérique. Celle-ci a été conduite dans la perspective de la Conférence nationale du handicap (CNH) du 11 février 2020.
Mettant en œuvre une disposition de la loi handicap de 2005, les pouvoirs publics ont édité en 2009 la première version du référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA). Dans la foulée de l’entrée en vigueur du décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019 relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne, la direction interministérielle du numérique (DINUM) a publié la 4e version du RGAA. Texte de référence, cette nouvelle version emporte plusieurs changements, dont en particulier le renforcement de son caractère contraignant en raison de nouvelles obligations et d’un champ d’application élargi à certains acteurs du secteur privé, mais aussi à de nouveaux supports et non plus simplement à des contenus.
Ainsi, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 250 millions d’euros en France doivent :
- Pour un site Internet, intranet ou extranet :
- S’il a été créé avant le 1er octobre 2019, le rendre conforme aux nouvelles obligations d’ici 1er octobre 2020
- S’il a été créé à compter du 1er octobre 2019, il doit avoir été rendu conforme depuis sa date de création
- Pour une application mobile, un progiciel et le mobilier urbain numérique, ils doivent être rendus conformes d’ici le 1er juillet 2021.
Dans ce contexte et compte tenu de ces prochaines dates, comment appréhender le cadre légal applicable en France ? Comment comprendre le champ d’application des nouvelles obligations ?
Appréhender le cadre légal français
Le régime juridique, constitué notamment des grands principes de l’accessibilité numérique, résulte d’une construction progressive.
La construction progressive du cadre légal français
A l’échelle française, le principe d’accessibilité numérique a été consacré par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, (dite « loi handicap ») et concernait initialement l’accessibilité des services de communication au public en ligne des services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics.
Par l’effet de l’article 106 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique, le champ d’application initial, limité aux personnes publiques, a été étendu aux organismes délégataires d’une mission de service public, ainsi qu’à certains acteurs du secteur privé.
L’accessibilité numérique a ensuite bénéficié d’une impulsion communautaire avec l’adoption de la directive (UE) 2016/2102 du 26 octobre 2016 relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public. Cette directive, a été transposée en France par deux textes de référence :
D’une part, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a notamment donné lieu à la modification de l’article 47 de la loi handicap (précitée) et créé la notion de « charge disproportionnée ».
Et d’autre part, le décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019 ayant notamment abouti à la mise en place du RGAA 4.0. Les entités qui ne sont pas en conformité avec les dispositions du Décret aux différentes dates d’entrée en vigueur entre 2019, 2020 et 2021, encourent une amende administrative de 20 000 euros prononcée par le Ministère chargé des personnes handicapées et pour chaque service de communication au public en ligne.
Les grands principes de l’accessibilité numérique
Toujours en construction, le cadre légal français relatif à l’accessibilité numérique impose désormais de mettre en place des mesures permettant de maintenir pour les personnes handicapées un niveau d’accès minimal aux contenus ainsi qu’à certains supports numériques.
L’accessibilité des services de communication au public en ligne s’organise autour de 4 grands principes selon lesquels le contenu mais aussi les supports numériques concernés doivent être :
Perceptibles – Cela signifie que l’information doit être présentée à l’utilisateur afin qu’il puisse la percevoir en dépit de son handicap
Utilisables – Cela signifie que les composants de l’interface utilisateur et de navigation doivent être utilisables. De manière plus précise, cela signifie que la délivrance du contenu ne peut exiger une interaction qu’un utilisateur ne peut effectuer, à raison de son handicap
Compréhensibles – Cela signifie que l’utilisateur doit être en mesure de comprendre l’information ainsi que l’utilisation de l’interface
Robustes – Cela signifie que l’utilisateur doit être en mesure d’accéder au contenu au fur et à mesure que les technologies progressent
C’est en prenant en considération ces grands principes que le décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019 est venu préciser le champ d’application des obligations.
Le champ d’application des obligations
Le régime obligatoire précédemment exposé s’impose en fonction des acteurs concernés et des services en cause, tout en prévoyant, dans l’hypothèse où il entraine une charge disproportionnée, la possibilité d’y déroger.
Le champ d’application des mesures d’accessibilité numérique
Entités concernées
Initialement réservées aux entités du secteur public, les mesures relatives à l’accessibilité numérique applicables aux services de communication au public en ligne ont progressivement évolué pour dans un premier temps peser sur les personnes morales de droit privé investies d’une mission de service public et désormais concerner les entreprises du secteur privé. Le pas a donc été franchi ; la notion d’accessibilité numérique ne se limite plus au secteur public et à ses seuls acteurs.
Sont désormais soumises aux dispositions du décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019, outre le secteur public, les entreprises qui réalisent au moins 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en France (article 47, 4° de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances).
Services de communication au public en ligne concernés
La notion de service de communication au public en ligne est définie par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite « LCEN ») comme :
Toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée
C’est une définition large qui a pour avantage de survivre aux évolutions technologiques et englobe de très nombreux services de communication.
Il s’agit de ceux qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée. Cette dernière est définie dans une circulaire du 17 février 1988 comme tout message « exclusivement destiné à une (ou plusieurs) personnes, physique ou morale, déterminée et individualisée » comme par exemple l’envoi d’un mail à une personne ou un groupe déterminé.
L’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 apporte quelques précisions quant aux services de communication au public en ligne concernés par les mesures d’accessibilité. Il s’agit notamment (la liste n’étant qu’indicative) des :
- Sites Internet, intranet, extranet
- Progiciels
- Applications mobiles des smartphones et tablettes, hors système d’exploitation ou matériel
- Mobilier urbain numérique, pour leur partie applicative ou interactive, hors système d’exploitation ou matériel
Le référentiel RGAA 4.0
Selon les dispositions du décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019, le RGAA 4.0 a pour objet de fixer les critères techniques de mise en accessibilité des services de communication au public en ligne.
On ne peut toutefois que relever une forte disparité entre les services de communication englobés par le décret et le référentiel technique qui ne concerne que la mise en conformité des seuls sites Internet. Ainsi, le RGAA 4.0 ne traite pas des applications mobiles, ni des progiciels, ni du mobilier urbain numérique.
Pour pallier cette carence, il renvoie directement aux normes et standards internationaux et notamment la norme européenne EN 301 549 V 2.1.2 ou les Web Content Accessibility Guidelines (WCAG 2.1).
La norme européenne EN 301 549 V 2.1.2 concerne plus précisément la mise en conformité des technologies de l’information et de la communication. Le référentiel donne une définition de cette notion qui permet d’inclure la totalité des services de communication au public en ligne visés par le décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019. Les entreprises concernées auront donc principalement tendance à privilégier cette norme qui offre une grille d’analyse qui permet d’englober la totalité des services de communication au public en ligne.
Pour guider la mise en conformité du contenu de leurs sites Internet dont les critères vont au-delà de ce que le RGAA prévoit, les entités concernées peuvent vouloir préférer le référentiel international WCAG 2.1.
Le RGAA 4.0 apparait donc comme un référentiel aujourd’hui incomplet, voire minimal, en ce qui concerne son champ d’application, ce qui conduit les acteurs à privilégier la norme de référence européenne.
La dérogation en cas de « charge disproportionnée »
Le décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019 prévoit que les mesures d’accessibilité numérique peuvent faire l’objet d’une dérogation temporaire en cas de « charge disproportionnée ». La temporalité est ici fondamentale en ce que l’entité concernée devra fréquemment procéder à la réévaluation du caractère disproportionné de la charge.
Cette charge s’apprécie au regard de critères qui ne cessent d’évoluer tels que la taille de l’entité concernée, ses ressources et l’avantage escompté pour les personnes handicapées. Lorsqu’elle est disproportionnée, les organisations concernées deviennent débitrices d’une obligation de fournir une alternative. Celle-ci, doit permettre aux personnes handicapées de ne pas subir de discrimination et d’accéder à l’information délivrée au public par un autre moyen proportionné.
Le considérant n° 39 de la directive UE 2016/2102 précise que la notion de charge disproportionnée implique qu’il soit « raisonnablement impossible » de rendre le contenu accessible en raison de mesures qui « imposeraient une charge organisationnelle ou financière excessive […] ou qui compromettraient la capacité de celui-ci de réaliser son objectif », entendu comme un objectif économique pour les entreprises du secteur privé.
La notion de charge disproportionnée reste cependant difficile à appréhender en pratique par les entreprises et ce d’autant qu’elle doit s’apprécier par fonctionnalité ou contenu et non pour l’ensemble du service de communication au public en ligne. Cela intensifie donc le nombre d’analyses à mener et partant l’étude d’alternatives à proposer.
Le cadre légal français relatif à l’accessibilité numérique concerne désormais les entreprises du secteur privé et se révèle dans le même temps toujours actuellement en construction. Si les obligations du récent décret n° 2019-768 concernent une pluralité de services de communication au public en ligne, le RGAA 4.0 présente une faiblesse majeure en ne traitant que de la conformité des sites Internet. Une cinquième version du RGAA au champ d’application étendu est donc vivement souhaitée.
Au-delà de l’aspect contraignant de la règlementation, l’accessibilité numérique constitue également une opportunité pour les entreprises qui peuvent y voir un axe de développement stratégiquement intéressant.
Les mesures d’accessibilité numérique permettent finalement de lutter efficacement contre une nouvelle ère de discrimination 2.0 mais également de construire une économie numérique responsable.