La messe est dite : la clause statutaire d’exclusion ne peut pas priver de son droit de vote l’associé dont l’exclusion est proposée. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon (24 juillet 2025, n° 2022/13) sonne le glas de l’affaire Mecen’coop. Statuant en qualité de cour de renvoi, les juges lyonnais appliquent fidèlement la position de la Cour de cassation du 29 mai 2024.
En l’espèce, une société coopérative d’intérêt collectif par action simplifiées (SCIAS) disposait dans ses statuts d’une clause selon laquelle « l’associé dont l’exclusion est susceptible d’être prononcée ne participe pas au vote relatif à son exclusion ». Si l’associé, convoqué, avait bien pu participer à l’assemblée il n’a pas pu voter sur son départ.
Il conteste alors cette situation. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirmait la régularité de la clause statutaire en application de l’article 227-9 du code de commerce. Mais la Cour de cassation censure cet arrêt au visa des articles 1844, 1844-10 du Code civil et L. 227-16 du code de commerce au motif qu’ « il résulte de la combinaison de ces textes que si les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent prévoir l’exclusion d’un associé par une décision collective des associés, toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet ou pour effet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de voter sur cette proposition est réputée non écrite » (Cour de Cassation n° 22-13.158, chambre commerciale, 29 mai 2024). Position suivie par la cour d’appel renvoi.
La solution n’est pas complètement nouvelle : la jurisprudence de la Cour de cassation est nettement orientée en ce sens, et déjà à propose de sociétés par actions simplifiées (ex. Cour de cassation n° 06-16.537, chambre commerciale, 23 octobre 2007), et peu importe que l’associé ait pris part au vote (Cour de cassation n° 13-14.960, chambre commerciale, 6 mai 2024).
Mais la formule désormais retenue par la Cour de cassation recèle une évolution subtile, aux conséquences significatives.
Précision du champ de l’interdiction de priver statutairement l’associé du droit de vote
Le législateur, à l’article 1844 du Code civil, puis la jurisprudence par l’arrêt Château d’Yquem (Cour de cassation n° 96-17.661, chambre commerciale, 9 févr. 1999), affirment que l’associé ne peut pas être privé de droit de vote. La jurisprudence reconnait également que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne peut pas se voir priver statutairement de son droit de vote durant l’assemblée générale, position déjà affirmée dans le célèbre arrêt Arts et Entreprises (Cour de cassation n° 06-16.537, chambre commerciale, 23 octobre 2007).
Toutefois, la loi Soihili (Loi n° 2019-744, 19 juill. 2019, de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés : JO 20 juillet 2019) aurait pu remettre ces solutions en question. En effet, cette loi porte une atteinte directe au droit des associés car elle a permis l’adoption ou la modification des clauses d’exclusion d’un associé de SAS sans unanimité, mais « dans les conditions et formes prévues par les statuts » (art. L. 227-19, al. 2, code de commerce). Il était légitime de s’interroger sur la portée de cette loi et de questionner le pouvoir de l’associé de s’opposer à son exclusion.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2024, maintient l’impérativité de l’article 1844 du code civil, indiquant que son interprétation n’est pas modifiée par la loi Soihili : « toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet ou pour effet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de voter sur cette proposition est réputée non écrite ».
NB. : l’article L. 227-16 du code de commerce offre une grande liberté pour fixer les causes et les modalités de l’exclusion d’un associé. L’organe compétent n’est donc pas seulement l’assemblée générale, et il est possible de prévoir que l’exclusion sera prononcée par un organe de direction, un comité ou une commission ad hoc. Dans ces hypothèses, la question du vote de l’associé ne se pose pas. L’arrêt du 24 juillet 2024 ne remet pas cela en cause en retenant que « si les statuts de la société par actions simplifiée peuvent prévoir l’exclusion d’un associé par une décision collective des associés », cela implique d’autres possibilités.
La portée revisitée de la sanction d’une clause d’exclusion entachée d’irrégularité
La subtile évolution de la position de la Cour de cassation se niche dans la formulation désormais employée : « toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet ou pour effet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de vote sur cette proposition est réputée non écrite ».
Ainsi, la clause d’exclusion demeure valable, seulement est-elle amputée de sa stipulation concernant la privation du droit de vote de l’associé. Autrement dit, le réputé non-écrit se limite à expurger la partie viciée de la clause.
Rappel. La Cour cassation considérait, au fondement de l’article 1844-10 du Code civil, que « toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite » (Cour de cassation n° 20-20.619, chambre commerciale, 21 avril 2022 et Cour de cassation n° 11-27.235, chambre commerciale, 9 juillet 2013). Par conséquent, c’était bien l’ensemble de la clause qui qui se retrouvait réputée non écrite.
L’adéquation avec la réforme des nullités en droit des sociétés
Dernière question que soulève l’arrêt de la Cour de cassation, et sur laquelle la Cour d’appel de Lyon se prononce, est celle du risque des nullités en cascade et de la possibilité de régulation.
En effet, quelles sont les conséquences du fait qu’une partie seulement d’une clause soit réputée non écrite, entrainant donc la réintégration rétroactive de l’associé dans les décisions sociales qui ont été prise pendant une dizaine d’année sans lui.
NB. : devant la cour de renvoi, l’associé exclu demande l’indemnisation de son préjudice, que les juges rejettent estimant que la restitution des titres est suffisante à réparer le préjudice.
Concernant la régularisation, la cour de renvoi, au fondement de l’article L. 235-4 du code de commerce qui prévoit, en substance, la possibilité de régulariser les assemblées générales, indique que l’ensemble des décisions sociales doivent faire l’objet d’une assemblée générale de régularisation dans le délai imparti. Il convient de souligner que cet article est abrogé à compter du 1er octobre 2025 en raison de l’ordonnance de mars 2025 relative au régime des nullités en droit des sociétés ; le législateur estimant que cela faisait doublon car l’article 1844-13 du Code civil prévoit en substance le même effet.
Enfin, et bien que la réforme du régime des nullités ne soit pas applicable au litige, il convient de s’interroger sur la portée de cette solution avec les nouvelles dispositions. En effet, le triple test prévu à l’article 1844-12-1 du Code civil prévoit que la nullité des décisions sociales ne peut être prononcée que si les conséquences de la nullité pour l’intérêt social ne sont pas excessives notamment au jour de la décision la prononçant au regard de l’atteinte à l’intérêt dont la protection est invoquée.
Ce qui soulève la question subsidiaire de la combinaison du triple test avec le nouvel article 1844-15-2 du Code civil qui indique que « lorsque la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social, les effets de cette nullité peuvent être différé ».
NB. : selon l’ANSA, le triple test, étant une exigence de droit commun désormais, il s’applique par principe, sauf lorsque la loi l’a expressément écarté.
Ce que l’on retiendra, c’est que les solutions retenues, tant par la Cour de cassation que par la cour de renvoi, témoignent d’une approche pragmatique, cherchant à éviter les conséquences délétères des nullités en cascades, et de trouver un équilibre entre les intérêts des associés avec ceux de l’intérêt social.
