Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », une proposition de loi « visant à renforcer la lutte contre la corruption » a été déposée le 19 octobre 2021 par le député Raphaël Gauvain afin d’améliorer le cadre législatif.
Les ambitions de la proposition de loi
Ce projet de loi a pour ambition d’amender plusieurs dispositions dont notamment les dispositions relatives à la lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité (Titre 1er).
Ces propositions de modifications ont été motivées par plusieurs constats relevés dans le cadre du rapport d’évaluation de la loi Sapin II publié le 7 juillet 2021 par la Commission des lois.
Tout d’abord, la nécessaire extension du périmètre des entités soumises aux dispositions de l’article 17 de la loi Sapin II. En effet, il a été relevé que la rédaction de cet article a pour conséquence d’exclure les groupes étrangers ayant leurs filiales en France, lesquelles (i) ne dépassent pas seules (considérées isolément) les seuils de 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires ou (ii) qui consolident leurs comptes à l’étranger.
Le projet de loi propose de supprimer la condition d’établissement du siège social de la société mère en France (alinéas 15 et 16 de l’article 1 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption) et ainsi, de soumettre l’ensemble des sociétés installées sur le territoire national aux dispositions du III de l’article 17 dès lors que le groupe auquel elles appartiennent comprend plus de 500 salariés et réalise un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Cette proposition étendrait de manière considérable le nombre d’entités relevant de l’article 17 pouvant faire l’objet d’un contrôle de l’AFA. Elle doterait en même temps la France d’un outil de lutte contre la corruption disposant de la même capacité extraterritoriale que le FCPA états-unien. Cela renforcerait dès lors très significativement l’image du droit français en la matière, longtemps jugé par le monde anglo-américain comme trop peu concerné par ce sujet.
Les missions de l’AFA seraient également modifiées, dont une partie (alinéas 28 à 38 de l’article 1 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption), serait transférée à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (« HATVP »). Le projet de loi propose en effet de confier à l’HATVP les missions de conseil et de contrôle de la qualité et de l’efficacité des dispositifs mis en place par les acteurs publics, initialement réalisées par l’AFA. Les obligations incombant aux acteurs économiques au titre de l’article 17 de la loi Sapin II seraient transposées aux acteurs publics (article 2 du projet du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption), tout en étant précisées et adaptées. Les seuils déclenchant l’entrée dans le dispositif seraient déterminés par voie règlementaire (alinéas 4 à 9 de l’article 2 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption).
Enfin, l’HATVP bénéficierait d’un pouvoir de sanction à l’égard de ces derniers au travers de la création d’une comission des sanctions (alinéas 17 à 27 de l’article 1 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption) sur le modèle de celle de l’AFA.
L’impact de l’adoption d’un tel texte pour l’AFA et les acteurs économiques
Le rôle d’assistance de l’AFA auprès du Gouvernement pour la définition et la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption (notamment au travers de la définition du plan pluri-annuel) serait réaffirmé et précisé.
Concernant la saisine de la commission des sanctions, celle-ci serait précédée d’une mise en demeure prononcée par le président de l’AFA, portant obligation de se conformer dans un délai compris entre six mois et deux ans.
L’adoption de ce projet de loi entrainerait une massification des entités, publiques comme privées, sousmises aux obligations de mise en place d’un dispositif anticorruption telles qu’actuellement prévues dans la partie III de l’article 17.
Concrètement, l’ensemble des acteurs publics comme les « petites filiales de grands groupes étrangers » (exposé des motifs du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption), devront se doter des huit mesures composant le dispositif, à savoir :
- Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence
- Un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite
- Une cartographie des risques destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition à des sollicitations externes aux fins de corruption
- Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques
- Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence
- Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence
- Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société
- Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre
S’il était adopté, ce nouveau régime constituerait une évolution significative de la lutte contre la corruption et un bouleversement organisationnel certain pour nombre d’opérateurs économiques, publics et privés. Précisons toutefois qu’à l’heure actuelle, ce projet de loi a été mis en suspens et n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour par le Gouvernement.