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Article 57 – Mise en évidence d’un avantage par comparaison

Photo du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat vient rappeler que, lorsqu’elle entend établir l’existence d’un avantage par comparaison pour faire jouer la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI, l’Administration doit se fonder sur des comparables précis et circonstanciés.

Rappel

Pour mémoire, afin de pouvoir bénéficier de la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI, l’Administration doit établir l’existence de liens de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et des entreprises étrangères, ainsi que l’octroi d’un avantage sans contrepartie équivalente, au détriment de l’entreprise française.

Il peut s’agir d’un avantage « par comparaison », par voie de majorations ou de minorations de prix d’achat ou de vente. Dans ce cas, la preuve d’un tel avantage doit être établie par comparaison avec des opérations réalisées entre tiers dans des conditions similaires. Il peut également s’agir d’avantages « par nature », c’est-à-dire « d’avantages qui, par nature, déclenchent le jeu de la présomption de transfert indirect de bénéfices, sans qu’il soit besoin de procéder à une quelconque forme de comparaison avec des opérations réalisées par des entreprises comparables exploitées normalement » (analyse du rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions sous CE, 19 septembre 2018, n°405779, Sté Philips France).

Si l’Administration ne parvient pas à établir l’existence d’un tel avantage, alors il lui faut mettre en évidence l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu afin de démontrer l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France (CE, 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, Cap Gemini, CE, 16 mars 2016, n°372372, Sté Amycel France, CE, 19 septembre 2018, n°405779, Sté Philips France).

L’histoire

Une société française, créée en 2006, a pour activité la distribution, la vente et la commercialisation sous une marque dédiée, de projecteurs de piscines à leds et s’approvisionne auprès d’un fournisseur établi en Chine.

Peu de temps après, par le biais de plusieurs opérations, les associés interposent dans le circuit d’approvisionnement de la société française, une filiale lettone.

Plus précisément, en 2007, les associés de la société française créent une nouvelle société, de droit letton, ayant pour activité la fabrication de systèmes d’éclairage de piscine sous la même marque. Cette société prend également une participation dans la société française.

En 2008, ces mêmes associés cèdent à une société luxembourgeoise (dont l’un des associés est l’ayant-droit économique) leurs demandes de brevets associés à la même marque d’éclairage de piscine. Le même jour, la société luxembourgeoise concède l’exploitation de ces brevets à la société lettonne, en contrepartie du paiement d’une redevance annuelle.

La société lettonne accorde alors à son tour à la société française la concession, à titre non exclusif, de la vente des produits de ladite marque.

Ainsi, la société française cesse de s’approvisionner directement auprès de son fournisseur chinois et devient le principal client de la société lettonne, laquelle intègre le montant de la redevance annuelle d’exploitation des brevets versée à la société luxembourgeoise dans les prix de vente des produits facturés.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010, 2011 et 2012, l’Administration a considéré que la mise en place de ce circuit d’approvisionnement des produits de la marque a conduit à une augmentation des prix acquittés par la société française.

Elle a ainsi identifié l’existence d’un transfert de bénéfices, par l’intermédiaire de la société lettonne, de la société française vers la société luxembourgeoise, correspondant au montant des redevances versées par la société lettonne à la société luxembourgeoise, intégré dans le prix des produits facturés à la société française.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat confirme l’analyse retenue par les juges d’appel, lesquels avaient considéré que l’Administration ne pouvait bénéficier de la présomption de transfert de bénéfices à l’étranger, faute pour elle d’avoir apporté la preuve d’une majoration des prix facturés à la société française, en l’absence d’éléments de comparaison pertinents.

L’Administration se fondait, en effet, uniquement sur l’activité de la société française avant la création de la société lettonne, qui s’approvisionnait alors, on le rappelle, directement auprès de son fournisseur chinois.

Elle n’apportait, en outre, aucune précision chiffrée sur la différence de prix alléguée, se bornant à faire valoir (i) que la société lettonne réalisait, au titre des exercices litigieux, une marge plus importante que celle enregistrée par la société française, et (ii) que l’augmentation des charges supportées par l’entreprise française du fait de l’incorporation des redevances dans les prix facturés par la société lettonne correspondait, au vu de la documentation prix de transfert de cette dernière, à un coût majoré de 11,99 %.

La CAA faisait également grief à l’Administration de n’avoir pas cherché à déterminer si les produits vendus par la société lettonne (laquelle indiquait par ailleurs avoir engagé des moyens pour en améliorer la qualité et les rendre conformes aux normes européennes) étaient ou non identiques aux produits acquis auparavant par la société française directement auprès de son fournisseur chinois.

Le Conseil d’Etat fait sienne l’analyse des juges du fond et confirme, à son tour, que l’Administration n’apportait ainsi pas la preuve d’un avantage par comparaison.

Rappelons que le juge de l’impôt considère, de longue date, que la preuve d’un avantage par comparaison requiert des comparaisons circonstanciées avec les pratiques des entreprises similaires exploitées sans lien de dépendance (à l’exclusion donc d’une comparaison fondée sur les différentes transactions intra-groupe, CE, 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, Sté Cap Gemini). Il a également précisé que cette comparaison devait être suffisamment précise, et tenir compte de la situation réelle des clients comparés (CE, 28 septembre 1988, n°60805 ou encore CE, 16 mars 2016, n°372372, Sté Amycel).

Le Conseil d’Etat juge par ailleurs, au cas d’espèce, que quand bien même les opérations litigieuses auraient eu pour but de faire échapper des bénéfices à l’imposition en France par le jeu de la cession de droits incorporels à un prix minoré et de la prise en charge par la société française d’une redevance excessive en contrepartie de ces droits à l’avantage de la société luxembourgeoise, l’Administration – qui a renoncé à se placer sur le terrain de l’abus de droit – n’apportait pas davantage la preuve que les redevances supportées par la société française auraient été excessives, ou que la société lettonne lui aurait facturé une prestation qu’elle ne lui aurait pas rendue.

L’avis des praticiens : Thomas Pautrat et Daria Gavrilova

Charge de la preuve en matière de prix de transfert : le rappel des « règles du jeu »

Par cette décision, le Conseil d’Etat rappelle qu’en l’absence d’avantage par nature, il convient d’en rester au principe fermement énoncé dans la jurisprudence selon lequel le jeu de la présomption de l’article 57 du CGI n’est déclenché qu’à la condition que l’Administration ait procédé à une comparaison entre la transaction contrôlée et des transactions comparables entre entreprises indépendantes exploitées normalement.

En s’abstenant d’apporter des éléments de comparaison probants (données comparables observées sur le marché), l’Administration n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’un transfert indirect de bénéfices et ne peut dès lors bénéficier de la présomption instaurée par les dispositions de l’article 57 du CGI.

Par ailleurs, au regard de la décision de la CAA de Marseille, il est intéressant de rappeler un autre principe de la jurisprudence selon lequel les pratiques constatées au sein d’un groupe (entre une société mère et une filiale ou entre deux sociétés sœurs) ne satisfont pas aux conditions prévues à l’article 57 du CGI (CAA Versailles, 3e ch., 5 mai 2009, n°08VE02411, Man Camions et Bus ; CAA Versailles, 3e ch., 11 oct. 2016, n°14VE02651, Sté Philips France ; CAA Nantes, 3e ch., 23 décembre 2016, n°16NT00965, SARL Amycel France).

Au cas d’espèce, l’Administration se bornait en effet à exposer que la société PPLV Trading avait réalisé entre 2010 et 2012 une marge supérieure à celle de la société française Alphadif. Cette comparaison était d’une part incohérente puisque ces deux sociétés avaient des activités différentes, et d’autre part non pertinente puisque ces sociétés étaient toutes deux impliquées dans la même transaction intragroupe.

En définitive, si la décision du Conseil d’Etat apparaît comme évidente au regard de sa jurisprudence constante, elle est importante au regard des faits du cas d’espèce. Quand bien même les opérations en litige auraient eu pour but, selon l’Administration, de faire échapper des bénéfices à l’imposition en France par le jeu de la cession de droits incorporels à un prix minoré (10 000 €) et la prise en charge d’une redevance excessive (400 000 € annuellement), l’Administration ne peut se défaire de la charge de la preuve qui lui incombe.

Cession des droits de propriété intellectuelle : une autre approche possible ?

L’analyse de l’Administration s’est portée sur le niveau des prix des produits vendus par PPLV Trading à la société française. Au regard des faits du cas d’espèce, il est toutefois possible de s’interroger sur le résultat auquel aurait abouti une analyse portant sur la valorisation des droits de propriété intellectuelle cédés à la société liée luxembourgeoise Royalux. L’Administration disposait nécessairement de données concernant le développement de l’activité d’Alphadif, son chiffre d’affaires, etc., utiles pour apprécier la valeur de ces droits, et pour étudier l’adéquation entre leur prix de cession et le niveau de la redevance in fine supportée par la société française.

Toutefois, il convient de noter qu’au moment du contrôle fiscal, l’Administration ne pouvait probablement pas rectifier les termes de la transaction intragroupe de cession des actifs incorporels intervenue en 2008, puisque cet exercice était alors prescrit.

Sur ce point, le projet de loi de finances pour 2024 apporte des éléments importants dont doivent tenir compte les entreprises. En effet, le droit de reprise de l’Administration pour des cessions d’actifs incorporels « difficiles à évaluer » passerait à 6 ans contre 3 ans actuellement, et l’Administration serait en mesure de contrôler plusieurs fois la même transaction au cours de cette période de 6 ans (modification prévue de l’article L 51 du LPF). En outre, l’Administration pourrait rectifier ce type de transactions à partir de données réelles observées postérieurement à la cession des actifs incorporels.

Au cas d’espèce, il est évident que de telles dispositions auraient pu permettre à l’Administration d’approcher différemment les transactions intragroupes entre la France, le Luxembourg et la Lettonie.

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