Cet article a initialement été publié dans La revue Associations N°83 de Deloitte et est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur.
Domaine insuffisamment connu des dirigeants, le droit pénal trouve fréquemment écho dans les associations. En témoigne le jugement du Tribunal de grande instance de Poitiers, rendu le 28 septembre 2017, condamnant trois associations pour homicide involontaire suite à la noyade d’un jeune handicapé. Une décision qui met en lumière les conséquences d’une absence de management des dirigeants dans l’organisation d’activité à risques.
Ce n’est souvent qu’après un drame que les dirigeants vont s’interroger sur leur organisation interne et sur les défaillances de cette dernière. Et c’est alors que la délégation de pouvoirs va s’inviter dans les débats. Souvent mal connue et confondue avec le mandat de représentation, la délégation de pouvoirs organise la répartition des pouvoirs et des responsabilités en interne et se révèle comme un outil d’organisation efficace.
En effet, perçue, à tort, comme une décharge de responsabilité du dirigeant, la délégation de pouvoirs facilite la clarification des organisations. Mais comment utiliser cet outil dans ce but ? Il convient de revenir aux fondamentaux de ce qu’est la délégation et, surtout, de mettre en œuvre une méthodologie stricte d’élaboration du schéma de délégations.
De quoi parle-t-on exactement ?
La délégation de pouvoirs est l’acte par lequel le dirigeant transfère officiellement à l’un de ses collaborateurs les pouvoirs et les responsabilités pour appliquer et faire appliquer, dans un périmètre donné, une ou plusieurs réglementations, en lien avec sa fonction, et qui lui confère la faculté de prendre les mesures requises par la loi, de s’organiser à cet effet et d’en contrôler l’application.
La délégation peut donc être vue comme un mandat d’agir au nom et pour le compte de la personne morale. Elle entraîne, en matière sociale notamment, le transfert d’une partie de la responsabilité pénale du délégant (celui qui consent la délégation) vers le délégataire (celui qui reçoit la délégation). Le délégant devant s’organiser dans ce cadre tout en conservant une partie de ses responsabilités.
En fait, la Cour de cassation considère que « l’absence de délégation, compte tenu de la structure de la société, constitue une faille importante dans l’organisation de nature à générer les conséquences les plus graves au regard de la sécurité au travail » (Cass. soc., 1er octobre 1991, n° 90-85024), allant même jusqu’à estimer que le dirigeant commet « une faute caractérisée » en matière de sécurité en s’abstenant d’organiser son schéma de délégations de pouvoirs (Cass. soc., 28 mai 2008 n° 08-80896).
Chacun finalement au sein de l’association va assumer les responsabilités dans les domaines pour lesquels il a compétence, autorité et moyens.
Par exemple, en matière d’hygiène et de sécurité, le président d’association conserve la présidence des institutions représentatives du personnel et l’élaboration du document unique mais délègue au directeur général l’évaluation des risques, l’élaboration de la politique de sécurité et le pouvoir de licencier. Le directeur général, quant à lui, délègue au responsable du personnel la mise à disposition des équipements de protection individuelle. Et ce dernier transfère au directeur opérationnel le rôle de contrôler le port des équipements de protection individuelle et de former le personnel.
Une délégation sur deux est remise en cause par les tribunaux. C’est donc à travers une méthodologie et une organisation affinée qu’un schéma de délégation peut se mettre en place.
Quelle méthodologie et quelles conditions pour une délégation valide ?
Ce n’est qu’à travers la définition exacte et l’identification des obligations susceptibles d’exposer l’association à un risque pénal que « la matrice des risques » va se construire. Cette cartographie va permettre de définir les responsabilités de chacun.
Elle recensera l’ensemble des risques pénaux générés par l’activité et définira, pour chaque délégataire et subdélégataire, le cas échéant, le champ de leurs responsabilités. La délégation de pouvoirs aura donc comme principale vertu de clarifier les organisations et de répondre à la délicate question du « Qui fait quoi ? » sans empiéter sur le domaine de chacun. Finalement, l’organisation en délégations de pouvoirs serait un terrain de football pour lequel chaque délégataire aurait un bout de pelouse à entretenir sans jamais empiéter sur l’espace de l’autre, chaque délégataire étant retenu comme ayant l’autorité, les moyens et les compétences pour entretenir sa pelouse.
À ce titre, une vigilance particulière sera portée sur le critère de la compétence à travers la formation initiale et professionnelle du délégataire, son expérience mais également le suivi des formations.
À défaut de respecter ce critère, la délégation pourra être remise en cause. Il sera également tenu compte des autres critères (autorité et moyens) nécessitant de définir entre autres, d’une part, une grille d’engagements de dépenses (notamment pour les délégataires ayant des compétences en matière d’hygiène et de sécurité pour lesquelles ils devront pouvoir mobiliser des fonds en cas de mise en place de mesures de prévention urgentes) et, d’autre part, la répartition des compétences en matière disciplinaire. Domaine dans lequel les services RH s’avèrent souvent très frileux…
Une attention particulière sera portée à la rédaction même de la délégation de pouvoirs qui doit revêtir un caractère précis et notoire et, surtout, ne pas se confondre avec le profil de poste du délégataire.
L’objectif est bien de décrire les responsabilités confiées et non les fonctions assumées. La frontière peut être mince entre les deux.
Notons que le caractère notoire permettra de rendre public, au sein de l’association, le schéma de délégations et ainsi au personnel de connaître les responsabilités assumées par chaque délégataire.
Attention à la rédaction des statuts de l’association
Un délégant ne peut déléguer que les pouvoirs dont il est titulaire. C’est donc bien les statuts de l’association qui donneront la feuille de route. Encore faut-il que ces derniers reconnaissent le pouvoir de déléguer…
Il convient donc, en tout premier lieu, d’analyser les statuts de l’association afin de définir qui est le primo délégant et quels sont les pouvoirs qui lui sont confiés. Cette analyse est indispensable à la validité du schéma de délégations. Rater cette première marche revient inexorablement à faire tomber l’ensemble du schéma de délégations de pouvoirs. L’un des premiers écueils se portera sur le pouvoir de licencier rendu très délicat dans les associations. Ainsi, si les statuts d’une association prévoient que son président ne peut déléguer ses pouvoirs, et notamment celui de licencier, qu’avec l’accord du conseil d’administration, la lettre de licenciement signée par le directeur des ressources humaines, en l’absence de délégation, l’a été par une personne qui n’avait pas qualité pour agir. Le licenciement est entaché d’une irrégularité et se trouve sans cause réelle et sérieuse (Cour d’appel de Paris, 21 juin 2012, n° 09/08258). De même, est injustifié le licenciement notifié par une personne à laquelle, en vertu d’une clause du règlement intérieur de la fédération, le pouvoir de licencier ne pouvait être délégué (Cass. soc., 25 octobre 2011, n° 10-17155). En l’espèce, le règlement intérieur d’une fédération nationale prévoyait que le président général fédéral était chargé de prononcer les licenciements et qu’il ne pouvait déléguer ce pouvoir qu’à un membre du bureau fédéral. Or le licenciement, bien que prononcé par un responsable des ressources humaines, a été jugé sans cause réelle et sérieuse car ce responsable n’était pas membre du bureau fédéral.
En conclusion
Si la délégation de pouvoirs peut, à première vue, être source d’inquiétude pour les délégataires, elle apparaît très rapidement comme un outil de clarification des organisations internes sur lequel l’ensemble des collaborateurs peut s’appuyer. Les délégataires s’en trouvent dès lors rassurés et à même de s’organiser de façon efficiente en disposant des moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions et de leurs responsabilités.