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Brexit et impacts juridiques : un Q&A pour guider les entreprises

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La partie de poker poussée jusqu’au bout, la tension des joueurs l’emporte sur tout autre considérations. Les négociations concernant l’après période transitoire du Brexit, à compter du 1er janvier 2021, doivent aboutir en 24h ont indiqué les députés européens au négociateur en chef, Michel Barnier vendredi 18 décembre.  

A défaut, les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne se retrouveront dépourvues de tout cadre organisé. A l’égard des personnes et des entreprises, cela signifie un accroissement significatif de la complexité puisqu’aucune règle de simplification ne jouera et que seuls les principes généraux du droit international offriront un cadre juridique. En matière de commerce, ce sont les règles « de base » de l’OMC qui régiront les échanges, lesquels seront alors susceptibles d’être confrontés à des tarifs douaniers et à des quotas. Mais l’incertitude affectera tout les aspects de la vie quotidienne : droit de circuler entre les territoires, transfert de données, circulation des moyens de transport…  

Des trois points de désaccord, la pêche, les conditions d’une concurrence équitable et la gouvernance du futur accord (dont notamment la résolution des litiges), celui de la pêche continue d’être la véritable pomme de discorde.  

Situation ironique lorsque l’on sait que celle-ci ne pèse pas lourd dans le PIB du Royaume-Uni et que, surtout, l’essentiel de ses débouchés pour les pêcheurs britannique est… le reste de l’Europe.

Les derniers rounds du Brexit se sont conclus dans une atmosphère de tension digne d’une table de poker. Aucune avancée n’a été réalisée sur certains points qui restent en suspens (la pèche et le concurrence équitable, notamment). En parallèle, le gouvernement britannique fait mine de revenir sur ses engagements internationaux pourtant validés avec l’UE, signe d’une rupture potentielle avec la courtoisie internationale qui anime les traités entre Etats. Pariant sur une possible réélection de Trump aux Etats-Unis, Boris Johnson espère dans ce contexte déstabiliser l’union des 27. Cette stratégie, semble obtenir les résultats inverses de ceux escomptés. A la lecture des analyses de presse, la conviction qu’une absence d’accord est préférable à un accord qui serait arraché au bénéfice du Royaume-Uni est grandissante au sein de l’Union européenne. De facto, les probabilités d’un no dealsont désormais aussi grandes voire plus grandes, que celles d’un accord.

Les organisations doivent impérativement se préparer, dès aujourd’hui, à ce que le 1er janvier 2021 toutes les relations avec la Grande-Bretagne soient gouvernées selon les mêmes principes qui régissent un Etat tiers, sans aucun accord de coopération avec l’Union. Ainsi, pour les entreprises concernées, il en va de la bonne gestion de cette situation inédite de se préparer au pire des scénarios en anticipant toutes les conséquences juridiques du Brexit !

Le fait a été éclipsé par la pandémie, mais depuis le 1er février 2020, date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait, le Royaume-Uni est devenu un pays tiers et ne fait plus partie de l’Union Européenne (UE). Décryptage de ce bouleversement considérable et profond, que la crise sanitaire ne saurait masquer.

La période de transition en cours jusqu’au 31 décembre 2020, ne permet pas encore de considérer le Royaume-Uni comme en dehors de l’Union européenne : les innombrables conséquences juridiques du retrait nécessitent une période d’adaptation.

Depuis le 1er juillet 2020, une première incertitude peut être levée : il est désormais acquis que la durée de cette période de transition ne changera pas. L’option permettant sa prolongation n’a pas été exercée par le Royaume-Uni.

Le statut provisoire du pays continue cependant de soulever des interrogations : quel statut conférer au Royaume-Uni pendant la période de transition, et à quels droits et obligations est-il soumis ?

Une période de transition sans heurt

L’Accord de retrait ouvre ainsi une étrange période au regard des principes du droit de l’Union, et du droit international public, en créant une catégorie spécifique, pour le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, de « faux tiers ». De jure, et de facto, le Royaume-Uni sera un pays tiers mais qui continue à appliquer, plus ou moins largement, les règles unionistes.

Durant cette période et en tant que pays tiers, le Royaume-Uni ne peut plus :

Néanmoins, et seulement durant cette période, il est convenu que :

De manière plus nuancée, le Royaume-Uni a le choix ou non d’exercer son droit de participer aux mesures modifiant, remplaçant ou complétant les actes de l’UE liant le Royaume-Uni lorsqu’il était membre de l’UE.

Ainsi, une articulation entre droit de l’UE et droit propre doit être faite, notamment en matière d’accords internationaux : jusqu’au 31 décembre 2020, le Royaume-Uni doit appliquer ceux de l’UE, mais il peut négocier ou  préparer des accords qui lui sont propres. Si ces derniers portent sur une compétence exclusive de l’UE, lesdits accords n’entreront pas en vigueur ni ne s’appliqueront pendant la période de transition (sauf hypothèse d’un accord expresse de l’UE).

Le maintien de l’application du droit de l’UE permet une relative stabilité : aucun citoyen, consommateur, entreprise, investisseur, étudiant ou chercheur ne sera affecté dans sa situation, tant au sein de l’UE qu’au Royaume-Uni, jusqu’au 31 décembre 2020.

Dans les termes du négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, « l’accord de retrait permet d’apporter de la sécurité juridique et de la certitude là où le Brexit crée de l’incertitude » (conférence de presse du 17 octobre 2019).

Et après ?

Mais si la période de transition reste suffisamment lisible, qu’en est-il de la situation à partir du 1er janvier 2021 ?

Les négociations que mènent le “UK” et l’UE visent à répondre à cette interrogation, mais elles patinent, et le spectre d’une transition se terminant sans accord se matérialise chaque jour un peu plus.

Dans le domaine « juridique », deux grandes questions se posent :

Comment les procédures judiciaires en cours entre les entreprises seront-elles traitées après la fin de la période de transition ?

La Commission européenne offre deux exemples parlants.

Le premier concerne un litige entre une société néerlandaise et une société britannique, devant une juridiction britannique. La compétence de la juridiction britannique serait en l’espèce établie par le droit de l’UE, et ce conformément à l’accord de retrait, qui prévoit une telle compétence pour toute action intentée avant la fin de la période de transition.

Le second concerne une société qui, à la fin de la période de transition, serait engagée dans une procédure judiciaire contre une société britannique devant une juridiction française. Là encore, conformément à l’accord de retrait, le droit de l’UE relatif à la reconnaissance et à l’exécution des décisions de justice continue de s’appliquer à la procédure pour toute action intentée avant la fin de la période de transition et donc à la reconnaissance et à l’exécution, au Royaume-Uni, des décisions rendues par la juridiction française.

A défaut d’accord, à la fin de la période de transition, ce sont les règles de droit international privé applicables à des pays tiers qui donneront la solution de la compétence juridictionnelle et de la procédure d’exécution d’une décision, donc hors le droit européen harmonisé.

Qu’en est-il des procédures judiciaires et administratives de l’UE en cours ?

En vertu de l’accord de retrait, la CJUE demeure compétente pour les procédures judiciaires concernant le Royaume-Uni enregistrées auprès de la CJUE avant la fin de la période de transition, et ces procédures doivent se poursuivre jusqu’à ce qu’un arrêt définitif, contraignant, soit rendu. Toutes les étapes de la procédure sont concernées, y compris les pourvois ou les renvois au Tribunal. Pour les affaires pendantes, cela permet d’assurer une bonne fin ordonnée des procédure.

Mais la réelle simplification apportée par l’accord de retrait réside en la possibilité de porter devant la Cour certaines affaires concernant le Royaume-Uni, en vue de leur règlement en vertu des règles de l’Union, après la fin de la période de transition.

L’accord prévoit ainsi que, dans un délai de quatre ans à compter de la fin de la période de transition, la Commission peut saisir la CJUE à l’encontre du Royaume-Uni, pour de nouveaux cas d’infraction concernant des violations du droit de l’UE intervenues avant la fin de la période de transition.

Durant une période identique, le Royaume-Uni peut également être déféré devant la Cour de justice pour non-respect d’une décision administrative adoptée par une institution ou un organe de l’UE avant la fin de la période de transition ou, pour certaines procédures spécifiques, après la fin de la période de transition.

S’agissant des procédures administratives, les procédures en cours continuent d’être traitées conformément aux règles de l’UE. Il est ici question des procédures portant notamment sur la concurrence et sur les aides d’État, engagées avant la fin de la période de transition par des institutions, organes et organismes de l’Union, et qui concernent le Royaume-Uni ou des personnes physiques ou morales britanniques.

A cet égard, si le critère d’applicabilité est clair, il renvoie à deux concepts susceptibles d’interprétations : la notion de résidence pour les personnes physiques, celle d’établissement pour les personnes morales, cette dernière devraient être comprise comme renvoyant alors à la nationalité de la société. Ce qui n’est pas sans soulever des incertitudes quand l’on sait que le critère de détermination de la nationalité d’une société est différent en Common law et en droit continental (le droit national des pays du Continent européen).

S’agissant des aides accordées avant la fin de la période de transition, et toujours pendant une période de quatre ans à compter de la fin de la période de transition, la Commission européenne est compétente pour ouvrir de nouvelles procédures administratives en matière d’aides d’État concernant le Royaume-Uni. La Commission demeure compétente après la fin de la période de quatre ans pour les procédures ouvertes avant la fin de cette période transitoire (afin d’assurer le bon déroulement des procédures jusqu’à leur terme).

L’Office européen de lutte antifraude est également compétent pour ouvrir de nouvelles enquêtes, pendant une période de quatre ans à compter de la fin de la période de transition, pour des faits survenus avant la fin de la période de transition, ou pour des dettes douanières nées après la fin de la période de transition, mais relatives à un fait générateur antérieur à la fin de la période de transition.

La Commission européenne précise, à fins de justification, que ces possibilités sont conformes « à l’idée selon laquelle le Royaume-Uni reste pleinement lié par le droit de l’Union jusqu’à la fin de la période de transition et selon laquelle, par conséquent, la conformité et l’égalité avec les autres États membres devraient être garanties tout au long de cette période ».

Les négociations en cours… pour régler la situation au 1er janvier 2021

Durant la période de transition, de nombreuses discussions entre le Royaume-Uni et l’UE se tiennent pour préparer le « monde d’après ».

Quatre cycles de négociations ont notamment eu lieu entre le 2 mars et le 5 juin 2020, ainsi qu’un cycle restreint de négociations du 29 juin au 3 juillet 2020, au cours desquels les sujets en discussions sont abordés, par thématique, les uns après les autres : pêche, sécurité sociale, aéronautique, investissements, commerce des marchandises…

Dans sa déclaration relative au cycle restreint de négociations, Michel Barnier a néanmoins pointé, malgré un objectif d’efficacité pour parvenir rapidement à un accord, que d’importantes divergences demeurent.

Sont notamment visées les déclarations du Premier Ministre Boris Johnson, qui souhaite s’écarter de l’UE, au travers de trois mesures-phares :

Parallèlement, Michel Barnier insiste sur la volonté de l’UE de rester sur sa position de partenariat économique avec le Royaume-Uni, aux conditions suivantes :

Le sixième cycle de négociations a conduit à une déclaration de Michel Barnier en date du 23 juillet 2020 plus préoccupante. Il y souligne l’impasse du fait des lignes rouges mises en avant par Boris Johnson, qui amènent à un cul de sac dès lors qu’il n’y aura pas de « délai de grâce pour la bonne exécution [du] protocole », et que « les mesures nécessaires ne seront pas en place le 1er janvier ».

L’accord, qui doit être trouvé au plus tard en octobre 2020 afin que le nouveau traité puisse entrer en vigueur au 1er janvier prochain, se heurte pour l’instant à deux obstacles :

Le refus du Royaume-Uni de s’engager à maintenir sérieusement des normes élevées quant aux conditions de concurrence équitables.

Sur ce point, il est à noter qu’« aucun progrès » n’a été constaté à propos des aides d’état, et qu’il n’y a aucun visibilité de l’UE sur les intentions du Royaume-Uni s’agissant de son futur régime national de contrôle des subventions.

De plus, d’importants domaines comme le climat, l’environnement, le droit du travail ou le droit social sont en risque, le Royaume-Uni refusant le recours à des moyens efficaces pour éviter un dumping dû à un abaissement des normes.

Le souhait du Royaume-Uni d’obtenir une exclusion quasi totale des navires de pêche de l’UE des eaux britanniques.

Si l’UE reconnaît que le Royaume-Uni va devenir un État côtier indépendant, il est impératif aux yeux de la Commission de gérer les stocks communs conjointement, « conformément au droit international et au principe d’une gestion responsable et durable des ressources ».

Le prochain cycle de négociations débute le 7 septembre.

Il s’ouvre sur un jeu de prise de position de joueur de poker, le RU semblant adopter la stratégie qui consiste à obliger l’UE à céder à ses exigences en l’acculant sinon à l’absence d’accord. Mais cela suppose que l’UE préférerait un mauvais accord à un l’absence de tout accord… rien n’est moins sur !

Perturbation des pratiques juridiques : un accompagnement de la Commission pour s’y préparer

Pour accompagner au mieux les acteurs et les secteurs touchés par le Brexit, une communication de la Commission européenne a été diffusée le 9 juillet 2020, relative à la préparation de la fin de la période de transition.

Il en ressort une première mise en garde, du fait de l’épidémie de Covid-19, selon laquelle la préparation de la fin de la période de transition va être d’autant plus éprouvante pour les entreprises, déjà touchées par la crise sanitaire ; ces changements se produiront bien, « quel que soit le scénario ».

Pour les accompagner, la Commission procède actuellement à un réexamen de l’ensemble des 102 communications aux parties prenantes qu’elle a publiées durant la phase de négociations sur le retrait. 51 d’entre elles ont déjà été actualisées.

Cette communication détail de nombreux secteurs, et formule des conseils aux entreprises et aux administrations des Etats membres : cela vise le commerce de biens et de services, les transports, l’audiovisuel, l’énergie, le voyage et le tourisme, le « droit civil » (formule imprécise qui comprend ici des problématiques relatives aux sociétés, ainsi qu’aux élections de for dans les contrats), les données personnelles et le numérique, la propriété intellectuelle et les accords internationaux.

La Commission européenne conseille notamment, s’agissant des sociétés enregistrées au Royaume-Uni qui souhaiteraient devenir des sociétés de l’UE, de prendre toutes les mesures nécessaires pour se constituer en sociétés dans un État membre de l’UE.

Elle tient à souligner également les problèmes qui peuvent survenir en matière de clause d’élection de for insérées dans les contrats, et rappelle que toutes les entreprises doivent avoir conscience que les décisions rendues par des juridictions britanniques risquent de n’être plus aussi rapidement exécutoires dans l’UE qu’elles le sont actuellement (et ce en raison du processus de reconnaissance et d’exécution des décisions britanniques qui seront, dès le 1er janvier 2021, régies par les règles nationales de l’Etat membre dans lequel la reconnaissance ou l’exécution sera requise, sans plus bénéficier de l’instrument communautaire d’harmonisation qui facilite cette situation ; règlement n° 1215/2012).

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