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Clause de non-concurrence : prix de cession et contrepartie financière dans le cadre d’une cession de titres de société

 

 

Une pratique en désaccord avec la jurisprudence

Il est commun de trouver au sein d’un contrat de cession de titres de société une clause de non-concurrence stipulée au profit de l’acquéreur, mettant ainsi l’obligation de non-concurrence à la charge du cédant, débiteur de cette obligation.
Lorsque l’associé cédant dispose de la qualité de salarié à la date de signature du contrat de cession, il est impératif que la clause de non-concurrence comporte, outre une limitation dans le temps et dans l’espace, une contrepartie financière devant être versée au débiteur de l’obligation de non-concurrence.

Dans ce cadre, la question de la forme de la contrepartie financière s’est posée, la pratique, par simplicité, souhaitant faire coïncider le prix de cession des titres de société avec la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence.

Or, en faisant coïncider le prix de cession des titres de société avec la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence, la pratique se détourné des exigences formelles retenues par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui impose notamment une contrepartie financière non dérisoire et qui doit être versée à la date du terme du contrat de travail.

Le prix de cession correspond normalement au prix consenti des titres de société et n’a pas vocation à constituer une compensation d’une obligation de non-concurrence. Cette lecture est autant économique que juridique. De plus, il se peut qu’un associé salarié cède ses titres tout en demeurant salarié, lui faisant alors percevoir sa contrepartie financière alors qu’il est toujours salarié de la société, constituant une entorse supplémentaire à la jurisprudence… Enfin, dans les opérations de cession, il est fréquent que le cédant, associé fondateur de la société, devienne alors salarié de cette même société (mécanisme d’earn-out) ce qui amène également à une situation contraire à la volonté des juges en la matière.

Inclure la contrepartie financière de la clause dans le prix de cession soulève donc, indiscutablement, diverses objections critiques.

Une décision qui jette le trouble

C’est dans ce contexte du débat qu’en 2013, la Cour de cassation rendait une décision ambiguë (Soc. 27 février 2013, n°11-27.625) en décidant que, dans l’hypothèse d’une obligation de non-concurrence salariée déclaré nulle faute de contrepartie financière, l’obligation de non-concurrence demeurait valable dès lors qu’elle « stipulait que l’obligation de non-concurrence et son respect sont dans la commune intention des parties une condition substantielle à la détermination du prix d’acquisition des titres de la société ».

La Cour de cassation admet ainsi que le prix de cession des titres de société comprenait la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence sans nécessiter l’ajout d’un quelconque montant supplémentaire spécifiquement destiné à une telle obligation.

Cet arrêt, non publié au bulletin de la Cour de cassation, a fait l’objet de réserves et de critiques sérieuses par la doctrine.

La majorité des commentateurs estime en effet que la chambre sociale contredit sa propre jurisprudence établie sur la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence des salariés puisque, dans ce cas :

 

  1. l’absence de contrepartie financière spécifique peut s’apparenter à une absence de contrepartie financière, le prix de cession des titres ne venant qu’en contrepartie du transfert de propriété des titres ;
  2. la contrepartie financière ne serait pas versée à la date du terme du contrat de travail mais à une date antérieure (date de signature du contrat de cession des titres) ;
  3. la contrepartie financière est payée par un futur associé, acquéreur des titres, et non par la société employant l’associé salarié et bénéficiant de l’obligation de non-concurrence ; et
  4. la solution soulève également des interrogations fiscales et concernant les prélèvements sociaux car, d’ordinaire, la contrepartie financière d’une obligation de non-concurrence est considérée comme un complément de salaires relevant de la catégorie « traitements et salaires » et assujettis aux prélèvements sociaux (URSSAF), alors que le prix de cession des titres relève, quant à lui, uniquement du régime de la plus-value échappant aux prélèvements sociaux dus par les employeurs…

Dans ce contexte, cette solution aux implications discutables, décision qui demeure « inédite », est incapable de fixer la pratique actuelle.
On constate au contraire de nombreuses décisions, plus ou moins récentes, qui refusent de considérer que le prix de cession des titres de la société puisse constituer la contrepartie financière à une obligation de non-concurrence.

Ainsi, par exemple, il a été jugé (Com. 15 mars 2011, n°10-13.824, publié au bulletin) que l’entrée au capital et la cession par un salarié d’actions qui lui avaient été accordés pour « ses bons et loyaux services » ne pouvaient correspondre à la contrepartie financière due dans le cadre d’une obligation de non-concurrence salariée.

Par ailleurs, les cours d’appels « résistent » également à la position de l’arrêt de 2013. La Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 3e chambre commerciale, 28 juillet 2020, n°17-07271), a décidé que le seul paiement du prix des parts sociales ne saurait constituer une contrepartie financière valable à l’engagement de non-concurrence puisque ce paiement a pour seule cause la cession des parts elles-mêmes, et ce au prix convenu entre les parties. La Cour d’appel de Paris, quant à elle, a également retenu la nullité d’une clause de non-concurrence stipulée dans le cadre d’une cession de droits sociaux en l’absence de contrepartie financière, « le rachat des parts sociales à leur valeur nominale ne pouvant être assimilée à une contrepartie financière » (CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 27 septembre 2016, n°14-22983).

Nos recommandations

La pratique consistant à faire coïncider la contrepartie financière d’une obligation de non-concurrence avec le prix de cession des titres de la société dans le cadre d’une cession impliquant un associé cédant salarié doit donc être exclue au risque de voir la clause de non-concurrence déclarée nulle.

Il conviendra dorénavant de prévoir une contrepartie financière distincte du prix de cession des titres et conforme aux exigences jurisprudentielles (montant de la contrepartie non dérisoire, soit au moins 30 % de la moyenne des salaires brutes de la dernière année), et versée, après le terme du contrat de travail, en une fois ou périodiquement au cours de la période d’exécution de l’obligation de non-concurrence.

Dans le cas où l’associé cédant salarié serait débiteur d’une clause de non-concurrence valide stipulée au sein de son contrat de travail, il conviendra de ne pas soumettre cet associé à une nouvelle clause de non-concurrence dans le contrat de cession de titres ou de procéder à un renvoi à la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail.

Cette illustration de la résistance de la pratique, justifiée d’un point de vue économique, à une décision, incertaine, de la Cour de cassation, laisse, néanmoins, planer une incertitude juridique… légère.

 

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