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Congés payés et maladie : les entreprises sauvées par la loi ?

Une déflagration

Le 13 septembre 2023, et comme l’ont craint pendant longtemps les Gaulois, les entreprises ont vu le ciel leur tomber sur la tête : ce jour-là, la Cour de cassation décidait en effet que les salariés devaient acquérir des droits à congés payés pendant leur période de maladie, quelle qu’en soit la durée et l’origine, professionnelle ou non. Le montant alors estimé du surcoût pour les entreprises, chiffré à plusieurs milliards par an, faisait craindre le pire…

Des réactions syndicales opposées

Tandis que les syndicats de salariés saluaient un progrès social, accompli au nom de la primauté du droit européen sur le droit national, et en contradiction formelle avec les dispositions du Code du travail, les syndicats d’employeurs protestaient vivement contre l’alourdissement attendu des charges des entreprises et du coût du travail, appelant le gouvernement, pour la CPME, à remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation en faisant machine arrière et, pour le MEDEF, à limiter au maximum les impacts de cette jurisprudence sur les entreprises, aussi bien pour l’avenir que, et surtout, pour le passé.

La promesse d’un projet de loi pour protéger les entreprises

Ces protestations n’ont pas été vaines. En effet, au cours du salon Impact PME du 30 novembre 2023, Madame Elisabeth Borne, alors Premier ministre, s’engageait à « réduire au maximum l’impact » des décisions de la Cour de cassation sur les entreprises, en présentant au cours du 1er trimestre 2024, un projet de loi, qui veillerait à éviter toute « surtransposition » du droit européen.

Les entreprises auraient-elles gagné après avoir essuyé une première défaite ?

La prudence reste de mise : le diable se cache dans les détails et, au-delà de l’intention affichée, ce sont les solutions concrètes qui pourraient être prises pour limiter au maximum les impacts de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les entreprises qui vont compter.

Quelles mesures le futur projet de loi pourrait-il contenir ?

Commençons par dire qu’il ne fait aucun doute que le Code du travail sera modifié pour le mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour de justice et décliné par la Cour de cassation. On s’attend donc à ce que soit assimilée à une période de travail effectif en vue de l’acquisition de droits à congés payés toute période de maladie, quelle que soit son origine (professionnelle ou non) et sa durée.

Ce premier pas, aisément franchi, n’est toutefois pas de nature à protéger les entreprises contre la jurisprudence de la Cour de cassation : cette protection doit être recherchée dans la modulation des effets dans le temps de la nouvelle règle énoncée, et alignée sur cette jurisprudence.

Application de la nouvelle règle pour l’avenir d’abord.

Deux pistes sont aujourd’hui explorées.

La première piste est celle d’un délai de report maximum (15 mois) fixé au salarié pour prendre, à l’issue de sa maladie, les congés payés acquis pendant celle-ci.

La seconde piste consiste, quant à elle, dans la fixation d’un nombre maximum de jours de congés payés que le salarié pourrait acquérir par an pendant sa maladie (24 jours ouvrables).

Quelle que soit la piste retenue, le sort des entreprises est ailleurs : il est d’abord dans la gestion du passé et des solutions qui pourraient être retenues pour que les congés payés acquis par les salariés dans le passé ne deviennent pas pour les entreprises un fardeau insupportable.

Application de la nouvelle règle pour le passé, ensuite et surtout.

C’est sur ce terrain, mouvant et difficile, que pourra, en effet, se mesurer la force du bouclier protecteur du futur projet de loi, et que se pose alors la question de la capacité législative du Gouvernement à protéger les entreprises.

Celui-ci pourrait-il prévoir une limitation dans le temps de la prescription de l’action en congés payés conduite par un salarié pour demander des jours de congés payés supplémentaires (s’il est toujours dans l’entreprise) ou une indemnité compensatrice de congés payés (s’il a déjà quitté l’entreprise) ?

Pourrait-on limiter la durée de la prescription (3 ans en principe) applicable à l’action en congés payés et/ou retenir un point de départ différent de celui fixé par la Cour de cassation ?

Pourrait-on à cet égard préciser que cette action ne peut porter que sur les seuls arrêts de travail intervenus postérieurement au 13 septembre 2023, date à laquelle la Cour de cassation a posé sa nouvelle jurisprudence ?

Sauf à nourrir de faux espoirs, la question appelle malheureusement une réponse négative : la loi n’a pas, en principe, de portée rétroactive et lorsqu’elle a une telle portée, elle doit remplir certaines conditions, dont la première est le respect des exigences constitutionnelles, au premier rang desquelles figure le principe de la séparation des pouvoirs.

Comment limiter l’application de la prescription pour le passé pour protéger les entreprises sans porter atteinte à l’autorité des décisions rendues par la Cour de cassation ?

Ceux qui croient en une compatibilité de ces deux exigences contraires croient encore aux miracles ou ont encore foi dans le pouvoir de la loi et du législateur, qui ne peut pas tout.

 

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