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Conseil d’Etat : le contentieux CSPE renvoyé devant la CJUE ?

Photo du Conseil d'Etat

Compte rendu de l’audience du Conseil d’Etat, 9° et 10° sous-sections, affaire inscrite au rôle du 08/02/2017

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris (CAA Paris 10e ch, 23 février 2016, n° 12PA03983) dans le cadre du contentieux dit « CSPE » (Contribution au service public de l’électricité), porté devant les juridictions par de nombreux contribuables, au rang desquels figure la société Messer France (qui vient aux droits de la société Praxair). 

Le Rapporteur public au Conseil d’Etat a présenté ses conclusions le 8 février 2017 dont vous trouverez ci-joint un résumé. Selon nos informations, le Conseil d’Etat serait susceptible de suivre ces conclusions et d’adresser une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »).

Moyens développés par le Rapporteur public

Sur l’existence d’un « lien d’affectation contraignant »  

Il est rappelé que la Cour administrative d’appel de Paris s’était référée à l’arrêt de la CJUE Société Régie Networks (affaire C-333/07 du 22 décembre 2008) aux termes duquel :

Pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide concernées en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché commun.

A la faveur de cette définition, la Cour administrative d’appel de Paris a conclu que l’aide d’Etat dont il était question dans l’affaire Praxair ne dépendait pas entièrement du produit de la CSPE.

Le Rapporteur Public semble avoir souscrit à ce raisonnement en écartant l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre la CSPE et l’aide prévue à l’article 5 de la loi du 10 février 2000.
Pourtant, aucune question préjudicielle n’a été posée sur ce point. 

Sur le moyen tiré de ce que les caractéristiques de la CSPE méconnaissent les règles du droit de l’Union européenne applicables aux impositions supplémentaires frappant les produits soumis à accises : « finalité spécifique ».

S’agissant de la qualification juridique à donner à la CSPE, le Rapporteur public retient qu’il s’agit d’une contribution innommée en droit interne, en ce sens qu’elle n’a le caractère ni d’un impôt direct, ni d’une taxe sur le chiffre d’affaires ou d’une taxe assimilée, ni d’une contribution indirecte ou d’autre taxes dont le contentieux est dévolu aux juridictions judiciaires. Cette position est conforme à celle qui avait été adoptée par le Conseil d’Etat dans son avis en date du 22 juillet 2015.

La Rapporteur public a ensuite rappelé que la directive du 25 février 1992 (modifiée par la directive du 16 décembre 2008) autorisait les Etats membres de l’Union européenne, à introduire en droit interne des impositions supplémentaires frappant les produits déjà soumis à accises.

Toutefois, pour être conforme au droit communautaire, ces taxes supplémentaires doivent respecter les critères posés par la directive, et principalement disposer d’une finalité spécifique.

Concernant la notion de finalité spécifique, le Rapporteur public se réfère à trois arrêts de la CJUE dont il ressort que : 

Ainsi, la CJUE paraît considérer que :

  1. L’analyse de l’affectation reçue par les recettes ne suffit pas. Il doit exister un lien étroit entre les recettes et la finalité spécifique.
  2. Pour rechercher l’existence d’une finalité spécifique il est nécessaire de s’intéresser à la structure de l’impôt à savoir : matière imposable, taux, etc. et de rechercher si la taxe influence effectivement le contribuable dans le sens de la finalité recherchée (taxe comportementale).

Ayant rappelé les principes ci-dessus, le Rapporteur public constate qu’au titre des années en cause, la CSPE était affectée à un certain nombre de finalités distinctes :

A cet égard le Rapporteur public considère que :

Renvoi préjudiciel

Compte tenu de l’alternative qui persiste quant à la qualification de la CSPE au regard de la notion de finalité spécifique, le Rapporteur public préconise au Conseil d’Etat de sursoir à statuer dans l’attente d’un renvoi préjudiciel devant la CJUE afin qu’elle réponde aux questions suivantes :

  1. Est-ce que la directive de 1992 (modifiée par la directive du 16 décembre 2008) permettait le maintien d’une imposition indirecte (n’ayant pas la nature d’une accise) supplémentaire en parallèle des droits d’accises existants ?
  2. La CSPE disposait-elle d’une finalité spécifique au sens de la directive ?
  3. En cas de réponse favorable aux précédentes questions, les entreprises éligibles doivent-elles obtenir un remboursement total ou partiel selon la nature des aides financées par la CSPE ?

Conclusion

Si, comme nous le pensons, le Conseil d’Etat venait à suivre les conclusions de son Rapporteur public, cette décision relancerait le débat sur la conformité communautaire de la CSPE et les chances de succès des contentieux en cours.

On peut noter par ailleurs, que dans cette affaire, le Conseil d’Etat ne souhaite plus trancher seul la conformité au droit communautaire contrairement à sa pratique dans le passé.

En renvoyant l’affaire devant la CJUE, il permettrait enfin dans ce dossier de trancher des questions longuement débattues dans le cadre du contentieux de la CSPE.

 

Article écrit avec la participation de Pierre Mangapiane.

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