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Le pragmatisme nouveau en matière de cautionnement : le formalisme souple

Le formalisme en droit est considéré comme un élément de sécurité juridique. Mais il peut également devenir source d’incohérence et d’absurdité lorsque la forme seule est retenue. Le risque est alors celui d’un « légalisme pour le légalisme » dont l’application serait mal perçue des citoyens. L’exigence du respect strict d’une formule pour la validité des cautionnements souscrits par des personnes physiques en était devenu une illustration.

On comprend aisément que doctrine et pratique aient milités en faveur d’une remise à plat des règles en la matière. Ainsi, le formalisme applicable aux actes de cautionnement a été assoupli par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021.

Avant toute chose, notons que l’ordonnance prévoit que ces nouvelles dispositions ne sont applicables qu’aux cautionnements conclus à compter du 1er janvier 2022 (voir notamment l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 5 octobre 2022, n°20/01765).

On observe un formalisme désormais souple, prévu par le nouveau régime légal, et, parallèlement, une évolution concordante de la jurisprudence concernant le stock de cautionnements demeurant soumis au régime antérieur à la réforme de 2021.

Une notion inchangée du cautionnement

Le cautionnement est un « contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci ».
Code civil art 2288

En droit français, une personne physique (par exemple, un entrepreneur) peut librement consentir un cautionnement envers un créancier professionnel (par exemple, un établissement bancaire) ou non-professionnel (par exemple, un bailleur non-professionnel).

Cette liberté de la caution est cependant encadrée depuis longtemps par le Code civil qui exige que le cautionnement soit « exprès » (article 2294 du Code civil) et cela afin de protéger la caution en s’assurant que cette dernière ait une réelle conscience de l’engagement qu’elle souscrit (un consentement éclairé).

Les nouvelles exigences de forme issues de l’ordonnance du 15 septembre 2021

L’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, a réformé le régime applicable au cautionnement consenti par une personne physique en simplifiant le formalisme applicable à ce type de cautionnement et en uniformisant les différents régimes (cautionnement octroyé à un créancier professionnel et cautionnement octroyé à un créancier non-professionnel).

Désormais, depuis le 1er janvier 2022, tout cautionnement consenti par une personne physique, qu’il soit consenti envers un créancier professionnel ou non-professionnel, est soumis au nouveau formalisme souple prévu par le Code civil .

La souplesse se vérifie tant en matière du support de formation du contrat, que du contenu de la mention requise.

En premier lieu, la loi admet expressément la possibilité de conclure l’engagement par voie électronique.

La généralité des termes de l’article 1174 du Code civil autorise désormais la caution à s’engager par voie électronique dès lors que les conditions de l’apposition des mentions nécessaires à la formalisation de son engagement de caution, sont de nature à établir avec certitude que l’engagement émane bien de cette dernière.

Ce lien avec la réalité de l’engagement se retrouve précisément dans l’évolution de l’exigence d’une mention propre à l’engagement de la caution es qualité.

Simplification de la mention apposée par la caution

Depuis le 1er janvier 2022, il n’est plus nécessaire de se conformer au formalisme rigoureux qui imposait, à peine de nullité du cautionnement, la reproduction d’une mention manuscrite spécifique prévue par l’ancien article L.331-1 du Code de la consommation. Tout écart entre la formule légale et la mention manuscrite pouvait entrainer, selon l’interprétation rigoriste alors dominante en jurisprudence, la nullité de l’acte.

Désormais, et toujours à peine de nullité du cautionnement, la caution personne physique doit apposer une formule, manuscrite ou non, qu’elle détermine librement et précisant sans ambiguïté (article 2297 du Code civil) :

C’est donc le sens qui importe, et non l’usage d’une formule rituelle. C’est ce que l’on peut désigner par un formalisme souple, ou un « formalisme causé » : c’est l’objectif, la cause, poursuivi par ce formalisme – s’assurer de la réalité d’un consentement éclairé de la caution – qui détermine la validité de la formule employée.

Par ailleurs, la validité de la mention, qui détermine la validité de l’acte, n’est pas subordonnée à la précision de la durée de l’engagement de la caution (toutefois, la durée de couverture de la dette du débiteur principal demeure un élément essentiel à anticiper).

On notera également que le nouveau texte ne l’oblige plus à préciser qu’elle engage ses biens et revenus (mention inutile dans la mesure où le cautionnement est une sûreté personnelle qui engage le patrimoine de son auteur), et qu’elle n’a plus à apposer sa signature immédiatement après la mention selon laquelle elle s’engage en qualité de caution .

L’engagement de cautionnement solidaire

Cette évolution est également sensible avec la simplification de la formalisation de l’engagement de cautionnement solidaire.

Depuis le 1er janvier 2022, la clause de solidarité ne vise plus uniquement la solidarité avec le débiteur principal mais également avec les autres cautions. De plus, il n’est plus nécessaire pour la caution solidaire d’apposer la formule manuscrite qui était prévue à l’ancien article L.331-2 du Code de la consommation.

Ainsi, le cautionnement est réputé solidaire entre la caution et le débiteur, ainsi qu’entre les cautions, lorsque la caution a apposé une mention, manuscrite ou non, par laquelle elle reconnaît « ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions » pour recouvrer sa créance.

A défaut d’une formulation dans l’acte de cautionnement exprimant clairement que la caution sait qu’elle ne pourra exiger du créancier qu’il agisse d’abord contre le débiteur principal ou contre les autres cautions, l’engagement ne sera pas réputé solidaire à l’égard du débiteur et/ou des autres cautions.

Quid du passé ?

Faut-il en conclure que tant que subsistera un stock d’actes de cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, le formalisme sacramentel sera exigé pour ces derniers ?

Cette approche serait un affront aux esprits épris d’ordre et de clarté : les cautions « pré 1er janvier 2022 » pourraient continuer à nourrir un contentieux purement opportuniste, arguant que la formule manuscrite n’est pas en tout point identique au texte légal (article L331-1 code de la consommation, et L331-2), afin de demander la nullité de leurs engagements.

Ce serait faire injure aux juges que de croire qu’ils n’ont pas tenus compte, non seulement des critiques adressées à la position antérieure, mais également du contexte nouveau. Certes, il n’est pas possible d’appliquer les nouveaux textes aux actes conclus avant leur entrée en application (1er janvier 2022), cela serait une interprétation contra legem, mais, et c’est aussi toute l’efficacité de la jurisprudence, celle-ci peut évoluer : l’interprétation par les juges peut ainsi s’adapter aux besoins de la société.

C’est précisément ce que la Cour de cassation décide, non pas en écartant l’exigence de la formule imposée par les textes anciens, mais en jugeant que cette exigence doit satisfaire l’objectif poursuivi d’un engagement éclairé de la caution.

C’est ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment jugé, dans une affaire non soumise aux nouveaux textes, que, en l’espèce, « la formule écrite de la main de la caution prévoyait que celle-ci s’engageait sur ses revenus ou ses biens, et non sur ses revenus et ses biens, conformément à la mention manuscrite légale » de sorte que cela « en modifiait le sens et la portée quant à l’assiette du gage du créancier » (Com 5 avril 2023, n° 21-20.905). Aussi, pour la Cour de cassation, il en résulte que la compréhension par la caution de la portée exacte de son engagement n’est pas rapportée.

Ce n’est pas l’altération de la formule qui invalide le cautionnement, mais le constat, par les juges du fond, de l’emploi d’une formulation qui ne permet pas de garantir que la caution s’est engagée en parfaite connaissance de cause. Ce qui est le moins que l’on puisse attendre dans un système consensuel : si c’est la volonté qui fonde la force des conventions, encore faut-il une volonté certaine.

A l’évolution radicale des textes répond une évolution subtile de la jurisprudence, assurant ainsi la cohérence du droit positif : c’est le sens et la portée de l’engagement qui doit résulter de la mention employée en matière de cautionnement, et non l’inverse.

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