Afin de permettre aux sociétés françaises de faire face à la crise économique engendrée par les mesures de lutte contre la propagation de l’épidémie du nouveau coronavirus autorisées par l’état d’urgence sanitaire – entré en vigueur le 24 mars 2020 et qui expirera, sauf cessation anticipée ou prorogation, le 24 mai 2020 – la loi n°2020-289 de finance rectificative pour 2020 promulguée le 24 mars 2020 a mis en place des mesures financières et sociales de soutien aux entreprises.
La plus marquante est la garantie accordée par l’Etat aux prêts et crédits relais consentis dans ce contexte par les établissements de crédit et sociétés de financement. Il convient toutefois de retenir que les entreprises faisant déjà l’objet d’une procédure collective au 31 décembre 2019 ne sont toutefois pas éligibles aux Prêts Garantis par l’Etat.
Ce dispositif exceptionnel de soutien, qui répond à un double objectif de continuité économique et de préservation des emplois, s’accompagne de nombreuses autres mesures dont des aménagements propres au droit des entreprises en difficulté.
A cet effet, les dispositions des ordonnances n°2020-304 et n°2020-306 du 25 mars 2020, utilement précisées par les circulaires CIV/01/20 et CIV/02/20 du 26 mars 2020, et n°2020-341 du 27 mars 2020, précisée par la circulaire CIV/03/20 du 30 mars 2020, traitent respectivement de l’adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire, de la prorogation des délais échus et de l’adaptation des procédures et, enfin, des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles. Cet ensemble, adopté en un temps record, adapte le droit du traitement des difficulté des entreprises au contexte actuel de crise sanitaire avec une seule finalité : protéger au mieux les entreprises en difficulté pour leur permettre de surmonter cette crise et ses effets collatéraux.
Les mesures édictées par le gouvernement s’articulent autour de trois axes : (i) les prorogations des délais et des durées, (ii) l’assouplissement des règles procédurales et (iii) l’appréciation de la date de l’état de cessation des paiements.
Au-delà de l’exposition détaillée des mesures d’adaptation, nous nous attacherons à conférer un éclairage pratique à ces mesures.
Les aménagements prorogeant les délais et les durées
Les ordonnances des 25 et 27 mars 2020 précitées prévoient des mesures temporaires aménageant les délais et durées afférents au droit des entreprises en difficulté afin d’endiguer les effets de la crise sanitaire.
En premier lieu, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, dite ordonnance « délais », traite de l’ensemble des délais, actes et formalités dont l’accomplissement est rendu plus compliqué ou impossible en raison des perturbations affectant les institutions (judiciaires et administratives). Le droit d’adaptation ne suspend pas, ni ne proroge de manière uniforme les délais, mais indique que l’exercice d’un délai, dès lors qu’il intervient dans le cadre d’un moratoire fixé par l’ordonnance, « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin (de la période juridiquement protégée), le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».
La circulaire du 30 mars 2020 est venue préciser le champ d’application de ces mesures et, ce faisant, a confirmé le fait que l’ensemble des actes prescrits au cours de la période ouverte le 12 mars 2020 et s’achevant 1 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, dite période juridiquement protégée, devront être accomplis dans le délai légalement imparti à l’acte en cause, et dans un délai maximum de 2 mois après cette période (soit cessation de l’état d’urgence + 3 mois). Cette mesure s’applique notamment aux déclarations de créances, demandes de revendication de propriété et demandes en relevé de forclusion.
En second lieu, l’ordonnance du 27 mars 2020 prévoit, plus spécifiquement, des prolongations de plein droit ainsi que des prolongations judiciaires de certains délais en matière de traitement des difficultés des entreprises.
D’une part, le gouvernement a procédé à la prolongation de plein droit des délais légaux relatifs à la période d’observation, aux plans, au maintien de l’activité et aux délais de couverture des créances salariales par l’AGS / Fonds National de Garantie des Salaires jusqu’à 1 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire pour une durée égale à celle de l’état d’urgence sanitaire augmentée de 1 mois (soit cessation de l’état d’urgence + 3 mois). Malheureusement, ce report du délai de garantie des créances salariales en cas de licenciement n’est pas assorti d’une augmentation du plafond de garantie ce qui limite fortement l’intérêt de cette mesure.
De surcroît, la durée des procédures de conciliation en cours a été prorogée de plein droit de 5 mois (hypothèse de l’état d’urgence sanitaire expirant le 24 mai 2020) et il est désormais possible d’ouvrir une nouvelle procédure de conciliation sans respecter le délai minimum de 3 mois entre deux procédures de conciliation prévu à l’article L.611-6 du Code de commerce.
En complément des prolongations automatiques de 3 mois après la fin de l’état d’urgence visée ci-dessus, cette même ordonnance confère au président du tribunal de commerce compétent le pouvoir inédit et exceptionnel de prolonger la durée du plan de sauvegarde ou de redressement :
- jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois suivant la fin de l’état d’urgence et sur demande du commissaire à l’exécution du plan, dans la limite de 5 mois, ou, sur demande du Ministère Public, dans la limite d’1 an
- puis, après l’expiration du délai de 3 mois suivant la fin de l’état d’urgence et pendant un délai de 6 mois, sur demande du commissaire à l’exécution du plan ou du Ministère Public, dans la limite d’1 an
Comme indiqué dans la circulaire du 30 mars 2020, ces prolongations pourront justifier, le cas échéant, un rééchelonnement des échéances de remboursement de dettes comprises dans le plan de sauvegarde ou de redressement devenues exigibles après le 12 mars 2020.
Jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois suivant la fin de l’état d’urgence et sur demande de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur judiciaire ou du commissaire à l’exécution du plan, le président du tribunal peut également prolonger de 5 mois les délais du Livre VI du Code de commerce qui s’imposent à eux. Cela concerne l’ensemble des délais des dispositions traitant « des difficultés des entreprises », tels que, par exemple, celui relatif à la réalisation des actifs (L644-2 Code de commerce) ou celui relatif à l’établissement de la liste des créances (art. L624-1 Code de commerce).
L’assouplissement des contraintes procédurales
L’Ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 assouplit les contraintes procédurales du droit des entreprises en difficulté pour une période allant jusqu’à 1 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (c’est-à-dire la période juridiquement protégée).
Le gouvernement procède ainsi à l’adaptation des modalités de saisine du tribunal, laquelle saisine peut désormais se faire par acte remis au greffe par « tout moyen ». De plus, s’agissant de la tenue des audiences, la présence physique des parties lors de ces dernières étant rendue facultative, elles pourront prendre la forme d’un échange à distance par le truchement d’une communication électronique ou téléphonique.
En outre, l’audience intermédiaire, prévue dans le cadre de la période d’observation deux mois après l’ouverture d’un redressement judiciaire, est supprimée de sorte que cet aménagement entraîne la suppression du rapport initial de l’administrateur judiciaire.
De manière générale, et très pragmatiquement, les modalités de communication sont également assouplies afin d’autoriser une communication par tout moyen entre le greffe du Tribunal, l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire et les organes de la procédure.
De plus, jusqu’à 3 mois après la fin de l’état d’urgence, il est prévu une prise en charge plus rapide par l’AGS des créances salariales via la présentation des relevés de créances salariales sans qu’ils aient été soumis au représentant des salariés et visés par le juge commissaire.
L’adaptation de la date de l’état de cessation des paiements
La notion de cessation des paiements est essentielle en matière de traitement des entreprises en difficultés car elle constitue le critère justifiant l’application des différentes mesures, préventives ou curatives : la cessation des paiements se définit simplement par le fait que la trésorerie disponible de l’entreprise ne lui permet plus de faire face à ses dettes exigibles.
La date de cessation des paiements sera appréciée, jusqu’à 3 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (soit jusqu’au 24 août 2020 sauf prorogation dudit état d’urgence), en prenant en considération la situation de l’entreprise en difficulté arrêtée au 12 mars 2020. En conséquence, il ne sera pas tenu compte de l’aggravation de la détérioration de la trésorerie de l’entreprise postérieurement à cette date.
Cette mesure est essentielle et elle a un double objectif.
D’une part, protéger les entreprises pour éviter que l’aggravation de leur crise de trésorerie durant cette période ne vienne leur porter préjudice : leur situation est figée au 12 mars 2020, afin d’éviter des cessations de paiement en cascade (et de fait des dépôts de bilan), en raison des difficultés engendrées, mécaniquement, par l’engourdissement général des activités économiques, pesant très fortement sur leur trésorerie.
Au regard des premières statistiques indicatives et non officielles sur la période du 12 mars au 14 avril, on constate une forte baisse du nombre de nouvelles procédures collectives : sur cette période, 321 procédures de redressement judiciaire et 49 procédures de sauvegarde auraient été ouvertes concernant environ 4650 salariés alors que sur cette même période, en 2019, 1500 procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde impactant 8000 salariés avaient été ouvertes.
Le lien de cause à effet entre ce phénome de baisse du nombre de défaillances et les mesures gouvernementales n’est toutefois pas établi ; l’explication pouvant venir de nombreux autres facteurs notamment la paralysie des juridictions ou l’attentisme des milieux économiques. Passé la crise sanitaire, une crise économique majeure aux contours, proportions et durée encore inconnus va frapper les économies et une forte augmentation du nombre de défaillances est anticipée par tous les acteurs de ce milieu.
Cette cristallisation au 12 mars 2020 est aussi le moyen le plus efficace de protéger les chefs d’entreprise du risque de la mise en jeu de leur responsabilité pour n’avoir pas déposé le bilan de leur entreprise dans le délai légal de 45 jours suivant la date de constatation de la cessation des paiements.
La solution retenue est toutefois également flexible, puisqu’il est laissé le choix aux chefs d’entreprise, s’ils le souhaitent, de pouvoir solliciter l’ouverture d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) en invoquant une date de cessation des paiements intervenue après le 12 mars 2020.
D’autre part, et c’est sans doute l’impact le plus important de cette mesure, le gel de situation financière au 12 mars 2020 permet aux entreprises en difficulté de solliciter l’ouverture de procédures préventives qui ne sont possibles, qu’en l’absence de cessation des paiements (pour le mandat ad hoc et la sauvegarde) ou que si l’état de cessation des paiements a moins de 45 jours pour la conciliation, ces différentes procédures ayant très largement démontré leur efficacité.
Il en va de même des exploitations agricoles en difficulté au bénéfice desquelles a été prévue la possibilité de désigner un conciliateur en dépit de l’aggravation de leur situation à compter du 12 mars 2020, et ce jusqu’à 3 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
La finalité commune à ces divers aménagements est sans conteste l’adaptation du droit du traitement des difficultés des entreprise aux fins de favoriser le recours aux procédures préventives et de limiter, dans la mesure du possible, les effets de la crise sanitaire actuelle.
A n’en pas douter, ces mesures, adoptées dans l’urgence et à l’effet limité pour l’essentiel aux questions des délais, seront suivies de mesures plus fondamentales dès lors que la réalité de la crise économique frappera les entreprises françaises.