Avec la crise sanitaire, les modes de fonctionnement traditionnels des entreprises et les modes de travail sont bouleversés. Afin de limiter les effets de la crise, la question des modes d’occupation des locaux commerciaux et professionnels et des coûts associés se pose pour l’ensemble des acteurs de la vie économique.
Une telle démarche, relativement sensible, suppose toutefois de l’anticipation et une réflexion autant financière que juridique. Les premiers jours du confinement et l’arrêt brutal des activités imposent une réaction, afin de contenir les effets néfastes ; désormais il s’agit de recouvrir et de réorganiser les moyens afin d’assurer une reprise d’activité dans les meilleures conditions possibles. Cette reprise doit intégrer un regard prospectif pour assurer la croissance et être en capacité de saisir les opportunités à moyen terme.
Il convient alors de commencer par s’interroger sur les moyens disponibles afin de faire levier sur l’immobilier et, si possible, entraîner une baisse des charges d’exploitation.
Quelles sont les clauses des baux et les dispositions légales pouvant permettre une négociation ?
Les leviers tirés du droit commun des contrats
En droit commun des contrats, plusieurs arguments peuvent être soulevés par les locataires pour initier une négociation portant sur le paiement de leurs loyers.
Le Covid-19 est- il un cas de force majeure permettant de ne pas exécuter ses obligations au titre du bail ?
Le Covid-19 n’a pas été admis, jusqu’à présent, comme cas de force majeure. Cette dernière, définie comme un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible, permet à celui qui l’invoque, d’être exonérer temporairement ou totalement de ses obligations. Pour être caractérisée, la force majeure ne doit pas seulement rendre plus difficile l’exécution du contrat mais empêcher totalement ou partiellement son exécution.
N’empêchant pas l’exécution d’un contrat de bail, les pandémies n’ont jusqu’à présent pas été admises par la jurisprudence comme des cas de force majeure du simple fait de leur propagation. La loi d’urgence du 23 mars 2020 n’a d’ailleurs pas admis le Covid-19 comme un cas général de force majeure.
Cependant, la jurisprudence évolue. A ce titre, il est possible de considérer que les cas de fermeture administrative, conséquences de la pandémie, interdisant l’accès aux locaux constituent, quant à eux, des cas de force majeure (T. Com de Bobigny du 6 décembre 2013).
Les arrêtés des 14 et 15 mars imposent une fermeture pour les ERP. Pour les autres types de locaux, le fait que « l’activité simultanée de plus de 100 personnes » est interdite pourrait être utilisée pour tenter de qualifier cette contrainte de fermeture administrative.
La force majeure permet alors l’exonération temporaire ou totale de l’exécution des obligations.
Attention toutefois, même si la force majeure est admise, il convient d’être extrêmement vigilant dans ses effets, la jurisprudence n’ayant jamais reconnu qu’elle pouvait engendrer l’exonération du paiement des loyers, considérant en effet que le : « débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » [C. cass 16 sept 2014 n° 13-20 306]
En somme, compte tenu de ces critères très restrictifs, la force majeure sera difficilement admise. Néanmoins, il s’agit d’un argument pouvant être soulevé par le locataire, dans la perspective d’entrer en négociation avec le bailleur aux fins de trouver des aménagements permettant la poursuite de l’activité. L’intérêt des deux parties commande cette approche, le bailleur ayant intérêt à conserver un preneur solvable.
Le bailleur peut évidemment invoquer, lui aussi, la force majeure pour justifier sa propre inexécution, qui est de mettre les locaux à la disposition du preneur.
On mesure alors la difficulté rencontrée en cas de refus de trouver un accord : chaque partie est tentée de se réfugier derrière la même justification de son inexécution. Engager le dialogue reste donc la meilleure voie !
En définitive, il est impératif d’analyser chaque situation avec précision car il faut, pour que la force majeure suspende ou entraîne la résiliation du contrat, que le fait invoqué empêche réellement l’exécution d’une obligation… De ce point de vue, la force majeure est rarement un obstacle à l’exécution d’une obligation de payer !
Le locataire peut-il demander la révision des conditions financières du bail sur le fondement de l’imprévision (article 1195 du code civil) ?
Un deuxième argument peut être envisagé par les locataires, il s’agit de la révision pour imprévision. La révision pour imprévision est un mécanisme légal introduit à l’article 1195 du Code Civil, uniquement applicable aux contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016.
Ce mécanisme permet au locataire de demander la révision des conditions financières du bail. Pour pouvoir invoquer une révision pour imprévision, plusieurs conditions doivent être remplies : il faut qu’il y ait un changement de circonstance, qui était imprévisible lors de la conclusion du contrat, et qui a pour effet de rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties qui n’avait pas accepté d’en assumer la charge.
Si l’imprévision permet aux parties de renégocier le contrat de bail, la pandémie étant uniquement temporaire, l’imprévision ne pourrait être mise en œuvre que dans un temps limité et nécessite de surcroît l’accord des deux parties pour obtenir la renégociation (ou le recours au juge). En outre, les parties ne doivent pas avoir exclu dans le contrat de bail l’application de ce mécanisme.
L’imprévision ne sera pas forcément le mécanisme le plus adapté, mais pourrait constituer avec la force majeure un outil permettant l’entrée en discussion avec le bailleur.
Plus généralement, le principe d’exécution de bonne foi des contrats pourra également être invoqué par le locataire pour demander la révision du bail, étant entendu que le bailleur peut également invoquer la bonne foi contractuelle du preneur pour qu’il exécute le contrat.
Les leviers propres aux baux (civils et commerciaux)
Le manquement à l’obligation de délivrance du bailleur peut-il être soulevé ?
Des leviers propres au statut des baux, tant civils que commerciaux, peuvent être soulevés par les locataires. C’est ainsi que le locataire peut invoquer un manquement du bailleur à son obligation de délivrance. Aux termes de son obligation de délivrance, le bailleur doit permettre au locataire d’accéder aux locaux qu’il lui loue lors de l’entrée en jouissance des locaux et pendant toute la durée du bail.
Dans les cas de fermeture administrative (arrêtés du 14 et 15 Mars 2020) ou en raison de la restriction du nombre de personnes pouvant être présentes dans les locaux, le locataire pourrait invoquer un manquement du bailleur à son obligation de délivrance puisqu’il ne peut plus exercer son activité dans les locaux. Il pourrait alors opposer l’exception d’inexécution.
L’exception d’inexécution permet en effet à une partie de ne pas exécuter sa propre obligation tant que celle qu’il attend en contrepartie n’est pas elle-même exécutée. Le bailleur ne pouvant assurer la libre jouissance des locaux (obligation légale du contrat de bail), le preneur « retient » le paiement du loyer.
Néanmoins, cet argument est à utiliser avec beaucoup de précaution. En effet, de son côté, le bailleur pourrait exposer que ce manquement n’est pas de son fait, et qu’il lui a été imposé par les autorités et ainsi faire valoir… la force majeure !
Plus généralement, le locataire peut toujours utiliser les arguments classiques en matière de baux commerciaux permettant la renégociation du bail tels que la revue des clauses d’indexation, la vérification de la cohérence entre la refacturation effective des charges et les clauses du bail correspondantes ou encore la non-conformité à la loi Pinel (concernant les conditions de validité du dispositif pour ce qui est de la durée, des taxes, travaux et charges).
Quelles sont les dispositions de la « réglementation Covid » récemment émise par le gouvernement en faveur des locataires ?
Enfin, il convient de signaler que les autorités publiques françaises ont mis en œuvre une réglementation propre au Covid-19 concernant les baux commerciaux dans certains cas et accordant des droits « d’urgence » aux locataires.
Elle s’applique à tous les contrats (dont les baux commerciaux), suspend l’effet des clauses pénales et des intérêts de retards et l’effet des clauses résolutoires en cas d’inexécution d’obligations devant être exécutées pendant la période débutant le 12 mars et s’achevant à la date du 23 juin 2020 inclus (les délais recommencent à courir le 24 juin).
Cette ordonnance n’autorise pas un débiteur à ne pas exécuter son obligation (de paiement du loyer), mais neutralise certaines inexécutions en matière de bail commercial : le locataire ne pourra être sanctionné pendant toute la période d’urgence sanitaire en raison du non-paiement des loyers. Les clauses et pénalités pourront néanmoins être actionnées à la sortie de la période protégée si l’inexécution subsiste après cette période (délais spécifiés par les ordonnances en fonction des situations). En outre, ajoutons que le bailleur pourra valablement exercer l’éventuelle sûreté dont il dispose en garantie de ses obligations par le preneur (un cautionnement, un nantissement de compte, une garantie autonome).
Elle a un champ d’application limité aux personnes physiques et morales bénéficiaires du fonds de solidarité (micro-entreprises définie comme une entreprise occupant moins de 10 personnes, et qui a un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros), même si elle fait l’objet d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Cette ordonnance, à l’image de la première, suspend également l’effet des clauses pénales et des intérêts de retards et l’effet des clauses résolutoires en cas de non-paiement des loyers et des charges pendant la période d’urgence sanitaire. En l’état des textes, notamment de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, cette période est comprise entre le 12 mars et le 10 juillet 2020, augmentée de deux mois, soit jusqu’au 10 septembre 2020.
Quelles sont les mesures prises par les associations et fédérations représentatives des bailleurs (communiqué de presse de l’ASPIM, UNPI, CDC, CNCC, AFG et FSIF en date du 20 mars 2020) ?
Enfin, les représentants des bailleurs dans un communiqué de presse du 20 mars 2020 signé par la CDC, l’ASPIM, UNPI, CNCC, AFG et FSIF, publié avant les Ordonnances ont également émis certaines recommandations relatives aux PME et TPE (entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 50M et moins de 250 salariés). Ainsi, par exemple pour les TPE et PME dont l’activité est interrompue, ils préconisent que les loyers et charges soient suspendus pendant la période de confinement, puis étalés ou différés à la sortie du confinement sans intérêts de retard. De la même manière, mi-avril, le ministre de l’économie, Bruno Lemaire a réuni les grandes sociétés foncières et leur a préconisé d’annuler 3 mois de loyer pour les très petites entreprises contraintes de fermer leurs locaux. Il ne s’agit cependant pas de règles impératives, mais de déclarations politiques et de recommandations.
En conclusion, du fait de cette crise singulière, aucune règle de droit commun n’est particulièrement adaptée, et il conviendra de regarder au cas par cas quels arguments juridiques peuvent être invoqués par le locataire pour lui permettre de renégocier son bail commercial. Bailleurs et locataires seront amenés à négocier de bonne foi aux fins de trouver des solutions satisfaisantes pour les deux parties. Le droit permet ici de mettre sur le devant de la scène des approches collaboratives, celles-là même qui sont au cœur du mouvement de la responsabilité sociale des entreprises.
Comment les nouvelles méthodes de travail, éprouvées lors du confinement, constituent-elles des opportunités pour rationaliser les coûts immobiliers ?
Le confinement éprouvé durant deux mois et le déploiement du télétravail à grande échelle pour un grand nombre de salariés apportent un éclairage sur les nouvelles méthodes de travail. Ce sujet n’est pas nouveau, certaines entreprises avaient déjà entamé des transformations en insufflant le « New of Working » au sein de leur organisation : travail à distance (co-working, tiers lieux, home office), smart office, méthode Agile… La crise du COVID 19 agit comme un véritable catalyseur, et pousse les entreprises à repenser durablement les modes de travail. Ce qui semblait impensable pour certaines d’entre elles, est rapidement devenu un passage obligé, avec la nécessité de s’adapter dans l’urgence. Le retour à la normale (une fois passée la période transitoire de distanciation sociale), s’effectuera sous un nouveau référentiel que chaque entreprise devra organiser selon sa culture, ses besoins, ses activités, et ses ambitions. Les conséquences assorties à cette transformation se traduiront par une occupation des espaces différente, avec une hybridation entre le présentiel et le distanciel. De facto, sans brûler les étapes, une « déconsommation » des surfaces de bureaux va s’organiser sur les 3 prochaines années. Ce virage constitue une opportunité pour optimiser son parc immobilier. A titre d’illustration, un passage en « flex office » (postes de travail non attribués, en nombre inférieur au nombre de collaborateurs), avec un taux de 30 à 50%, permet d’économiser jusqu’à 40% de surface utile brute locative. Cela se retranscrit, selon la valeur locative de marché, par des économies nettes annuelles en proportion (loyer, charges, taxes, CAPEX, OPEX…). Par exemple pour une surface initiale de 10 000 m² SUBL qui serait de 5 900 m², un passage en Flex Office, sur le secteur de la Défense, permettrait d’économiser jusqu’à 2 millions d’euros par an, soit environ 18 millions d’euros sur une durée de 9 ans, (avec souscription d’abonnement en co-working). A l’échelle d’un parc immobilier pouvant constituer plusieurs dizaines (ou centaines) de milliers de m², l’optimisation des charges d’exploitation peut être considérable.
Prospective : l’éclairage de nos experts sur « l’après » Coronavirus.
La crise sanitaire du COVID 19 a déclenché une crise économique dont la profondeur et les conséquences sont encore difficiles à estimer. Cependant, que ce soit le FMI, nos politiques, ou les économistes, tous sont alignés pour prédire une récession de grande ampleur.
Les couches du mille-feuille se dessinent et il est à prévoir que, d’une part les entreprises vont restituer une partie des surfaces qu’elles occupent de par l’effet de la mise en places des nouveaux modes de travail, d’autre part les effets de la crise économique vont se cristalliser sous la forme d’un gel des recrutements, de PSE/PDV ou bien même de liquidations. La période « expansionniste » est sans doute derrière nous pour quelques temps, ce qui va se traduire par une baisse de la consommation de nouvelles surfaces de bureaux. Les effets sur le marché de l’immobilier tertiaire vont probablement se faire ressentir dès la rentrée de septembre 2020 avec une augmentation progressive du taux de vacance, et des bailleurs plus enclins à concéder des remises sur le loyer facial et à rallonger les périodes de franchise de loyer. L’intensité de la baisse des valeurs locatives sera plus ou moins forte selon : les secteurs géographiques, le taux de vacance par localisation, la production d’offres neuves en cours, les libérations programmées et la typologie des offres (ancien, rénové, neuf/restructuré…).
Chaque situation devra donc faire l’objet d’une étude approfondie pour déterminer le potentiel des économies réalisables selon une multitude de facteurs.
Prospective : l’éclairage de nos experts sur « l’après » Coronavirus.
La crise sanitaire du COVID 19 a déclenché une crise économique dont la profondeur et les conséquences sont encore difficiles à estimer. Cependant, que ce soit le FMI, nos politiques, ou les économistes, tous sont alignés pour prédire une récession de grande ampleur.
Les couches du mille-feuille se dessinent et il est à prévoir que, d’une part les entreprises vont restituer une partie des surfaces qu’elles occupent de par l’effet de la mise en places des nouveaux modes de travail, d’autre part les effets de la crise économique vont se cristalliser sous la forme d’un gel des recrutements, de PSE/PDV ou bien même de liquidations. La période « expansionniste » est sans doute derrière nous pour quelques temps, ce qui va se traduire par une baisse de la consommation de nouvelles surfaces de bureaux. Les effets sur le marché de l’immobilier tertiaire vont probablement se faire ressentir dès la rentrée de septembre 2020 avec une augmentation progressive du taux de vacance, et des bailleurs plus enclins à concéder des remises sur le loyer facial et à rallonger les périodes de franchise de loyer. L’intensité de la baisse des valeurs locatives sera plus ou moins forte selon : les secteurs géographiques, le taux de vacance par localisation, la production d’offres neuves en cours, les libérations programmées et la typologie des offres (ancien, rénové, neuf/restructuré…).
Chaque situation devra donc faire l’objet d’une étude approfondie pour déterminer le potentiel des économies réalisables selon une multitude de facteurs.
Recommandations : quel plan d’actions mettre en place ?
Un diagnostic s’impose
Il est nécessaire d’avoir une parfaite connaissance de son occupation immobilière sous toutes ses formes : analyse des clauses des baux pour déceler les leviers de négociations, échéances triennales et fin de bail, ratios d’occupation (poste de travail /m², effectifs, efficience SUN/SUBL, coût total annuel par poste de travail et par m² …), analyse technique (provision pour travaux et remplacement des gros équipements, contraintes spécifiques ERP, …), charte d’aménagement, de télétravail… ceci constituera le socle des étapes suivantes.
Définir son nouveau référentiel
Le passage vers de nouveaux modes de travail doit répondre à des besoins concrets. A chacun son référentiel, qui répondra à plusieurs interrogations : quelles sont les motivations pour me rendre sur mon lieu de travail ? Comment maintenir l’engagement des collaborateurs ? Quelle flexibilité dans l’organisation du travail ? Quels impacts sur la productivité et la performance des équipes ? Ainsi la répartition entre le présentiel et le distanciel pourra être formulée correctement, des ratios d’occupation seront définis. Un cahier des charges regroupant l’ensemble des paramètres constituera les priorités qui devront être respectées.
Elaborer sa stratégie
Le croisement de l’ensemble de ces données, conjugué aux objectifs et contraintes liés à la stratégie de l’entreprise vont permettre de définir les scénarios envisageables. La construction des scénarios / BP et des modélisations financières associées, permettront de mesurer l’atteinte ou non des objectifs. Les évolutions du marché seront également à prendre en compte, les hypothèses de négociations doivent être intégrées à ces modèles.
Ainsi, il pourra se dégager une piste prioritaire :
- Renégociation des conditions actuelles avec restitutions de surfaces (scénario « stay »),
- Ou libération d’un ou plusieurs sites existants, avec la recherche de nouveaux locaux (scénarios move).
En résumé, le maitre mot est « l’anticipation ». Les échéances peuvent paraître lointaines (notamment les dates jalons des échéances de baux) mais une négociation avec un bailleur se prépare très en amont et un tel projet d’optimisation impactant les modes de travail nécessite également un long processus d’échanges itératifs et collaboratifs avec les équipes concernées.
C’est le moment de passer à l’action !