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La Cour de cassation rend deux arrêts sur la procédure des perquisitions fiscales

Photo de la Cour de Cassation

Instauré par l’article 94 de la loi 84-1208 du 29 décembre 1984, l’article L16 B du Livre des procédures fiscales ouvre le droit aux agents des impôts sur autorisation de l’autorité judiciaire d’effectuer toute visite ou saisie, en tous lieux, mêmes privés, pour la recherche des infractions en matière d’impôts directs et en TVA. Cette procédure n’a cessé, au fil des années, d’être sévèrement critiquée.

Avant la codification en 1984 de l’article L16B du Livre des procédures fiscales, l’administration disposait d’un simple droit de visite domiciliaire cantonné dans le domaine des droits indirects. Face à une délinquance fiscale de plus en plus organisée (c’est du moins la situation telle qu’elle était présentée par le législateur et l’exécutif en 1984), l’administration a constaté qu’elle n’avait pas la possibilité juridique de saisir des documents frauduleux et de poursuivre les contrevenants au pénal sur ce fondement.

Sensibles aux arguments de l’Administration mais aussi des juridictions qui avaient sanctionné à plusieurs reprises des services fiscaux qui avaient tordu quelque peu des procédures existantes pour parvenir à leurs fins, les deux assemblées avaient adopté un premier texte par le vote de l’article 89 de la loi de finances pour 1984. Il s’agissait d’une procédure où l’initiative et l’autorisation de la mise en œuvre de la perquisition restaient de la stricte compétence administrative même si une autorisation, purement formelle, du juge judiciaire était demandée.

Dans sa décision du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel a déclaré le nouveau dispositif non conforme à la Constitution au motif que l’autorité judicaire, garante de la sauvegarde de la liberté individuelle, était écartée du dispositif a priori et parce qu’il mettait en cause « (…) la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects et notamment celui de l’inviolabilité du domicile ». En invalidant le texte, le Conseil constitutionnel a apporté en même temps la solution à la problématique de la perquisition fiscale. L’atteinte légalisée à la liberté individuelle doit aller de pair avec des garanties suffisantes pour le citoyen. Le législateur a été contraint de revoir le texte. Le nouveau texte voté a prévu une procédure autorisant la perquisition fiscale avec une mise en œuvre soumise a priori à l’autorité judiciaire car seul le juge judicaire reste garant des libertés individuelles au regard de l’article 66 de la Constitution.

L’article L. 16 B du LPF tel qu’il a résulté de cette modification législative prévoit que lorsque l’administration estime qu’il y a présomption de fraude à l’IS, l’IR ou la TVA, elle peut demander à l’autorité judiciaire de l’autoriser à effectuer une visite domiciliaire. Cette autorisation était donnée par le président du TGI dans le ressort duquel se trouvent les locaux à visiter et depuis le 16 juin 2002 par le juge de la liberté et de la détention.

Le 21 février 2008, la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après « CEDH ») a rendu le célèbre arrêt Ravon remettant en cause l’existence même des procédures devant être mises en œuvre pour procéder à des visites domiciliaires en matière fiscale.

Cet arrêt a constitué un véritable choc pour les autorités françaises qui étaient confortées dans leur analyse depuis une vingtaine d’années par une jurisprudence très ferme de la Cour de cassation (voir dans ce sens pour exemple récent, l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 décembre 2007 pourvoi n°06-87.245). Le législateur français a donc été contraint de se soumettre et de revoir le libellé de l’article L16B. Les contribuables sont sortis gagnants de cette évolution puisqu’ils ont vu leurs garanties renforcées.

La Cour européenne des droits de l’Homme avait jugé dans l’arrêt Ravon du 21 février 2008 que les voies de recours ouvertes aux contribuables pour contester la régularité des visites et des saisies pratiquées sur le fondement de l’article L 16 B du LPF dans sa rédaction applicable alors ne garantissaient pas l’accès à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne a précisé que le droit inscrit à l’article 6 §1 de la Convention impliquait en matière de visite domiciliaire que « les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement ; le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d’irrégularité, soit de prévenir la survenance de l’opération, soit, dans l’hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié ».

Tirant les conséquences de cette décision, et afin de renforcer les droits de la défense du contribuable et d’assurer la conformité du dispositif à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la loi du 4 août 2008, dite loi de « modernisation de l’économie » (loi 2008-776, art. 164), a modifié substantiellement l’article L16 B en instituant la possibilité d’un recours sur l’autorisation de visite domiciliaire et sur son exécution. Cette double voie de recours offerte aux contribuables consiste en un appel (non suspensif) puis en un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile.

Afin de permettre aux contribuables de se prévaloir de garanties pertinentes et suffisantes au regard de la Convention européenne, les dispositions de l’article L 16 B, II du LPF disposent désormais que le juge saisi d’une demande d’autorisation de visite domiciliaire doit vérifier de manière concrète que cette demande est fondée. Il doit par ailleurs motiver sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer l’existence des agissements frauduleux dont la recherche est autorisée.

Sur le fondement du nouveau régime élaboré par le législateur suite à la censure de la CEDH, par deux arrêts en date du 2 février 2010, la Cour de cassation vient préciser encore davantage le régime des perquisitions fiscales. Ces deux arrêts revêtent à nos yeux d’abord et avant tout un intérêt pratique pour les contribuables.

En effet, si les deux arrêts du 2 février 2010 ne bouleversent pas le régime des perquisitions fiscales, ils apportent néanmoins des précisions pratiques essentielles dans l’application de la procédure des perquisitions fiscales.

Au cours de ces dernières années, la jurisprudence de la Cour de cassation a ouvert aux contribuables la possibilité de se prévaloir de nouvelles garanties aussi bien lors de la procédure de vérification que lors de la procédure juridictionnelle. Les deux décisions intervenues le 2 février dernier valident ce constat et permettent de délimiter des contours plus précis de la procédure de visite et de saisie prévue à l’article L 16B du LPF.

Le commentaire de ces deux arrêts nous permet de faire un point sur ces garanties.

En tout premier lieu, le juge suprême précise quelles sont les obligations des uns et des autres en matière de droit d’accès au dossier.

Depuis un arrêt du 3 octobre 1995, la Cour de cassation reconnaît en principe aux personnes auxquelles l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire fait grief, le droit de prendre connaissance du dossier soumis au juge de l’autorisation par l’administration. Les modalités de mise en œuvre de ce droit d’accès au dossier ont peu à peu été précisées par la jurisprudence.

Ainsi, dans de multiples arrêts (Cass. Com. 10 décembre 1996 n°2068 P, Sté Santerne et autres ; Cass. Com. 13 mai 1997 n° 1229 P, Sté d’applications routières ; Cass. Com. 13 mai 1997, Sté nouvelle Ducler et autres), la Cour de cassation a jugé sans incidence sur la régularité de l’ordonnance l’absence de dépôt des pièces au greffe et invité les parties, en tels cas, à mettre en demeure l’administration de communiquer lesdites pièces de manière à permettre l’exercice de leurs droits et en particulier d’élaborer les moyens à l’appui de leur pourvoi.

En jugeant de la sorte, et alors même que le droit reconnu à toute personne intéressée par la visite domiciliaire de prendre connaissance des pièces produites par l’administration semblait impliquer que les pièces du dossier devaient, sous peine d’irrégularité de la procédure, être déposées et conservées jusqu’à l’expiration du délai de recours contre l’ordonnance au greffe, la jurisprudence a adopté une approche restrictive au regard de la garantie des droits de la défense.

Se faisant l’écho de cette jurisprudence, le législateur a inséré, dans l’article L 16 B II nouveau, une disposition prévoyant la transmission du dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel, où les parties peuvent le consulter : cette disposition vise à offrir au contribuable une garantie réelle de respect des droits de la défense et d’information.

Le droit d’obtenir communication des documents est par ailleurs un principe général, affirmé par l’article 6 §1er de la Convention européenne des droits de l’homme qui implique, pour que les procès soient équitables, « la faculté, pour une partie, de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l’adversaire, ainsi que de les discuter ». Du principe ainsi proclamé reste l’application pratique.

Il est de jurisprudence constante (arrêt « Keslassy » du 8 janvier 2002) qu’une décision de justice peut être rendue non contradictoirement lorsque les circonstances l’exigent, ce qui est le cas des procédures de visites domiciliaires qui, si l’autorisation était soumise préalablement au principe du contradictoire et de la conciliation, perdraient toute efficacité. La lutte contre la fraude fiscale supposent en effet de ménager « un effet de surprise », comme l’a souligné le rapporteur de la commission spéciale au Sénat durant l’examen du projet de loi devenu loi du 4 août 2008.

Il revient donc aux juges la lourde tâche de devoir arbitrer entre ce qui relève des nécessités de l’action fiscale et ce qui n’exige pas nécessairement, eu égard aux circonstances particulières, le respect du principe du contradictoire. Toutefois, la tendance jurisprudentielle va à une interprétation de l’article L. 16 B dans un sens libéral permettant ainsi aux contribuables, qui en font la demande, d’obtenir communication des pièces au soutien de la demande de l’administration fiscale.

Dans l’arrêt n°153 reproduit dans ce blog, la Cour de cassation reconnaît aux parties la faculté de consultation du dossier au greffe. En l’espèce, les requérants soutenaient que la seule possibilité d’une consultation au greffe de la Cour d’appel ne leur avait pas permis de bénéficier d’un accès effectif à un tribunal, ni de préparer une défense satisfaisante, faute de production par la direction nationale d’enquête fiscale de la requête et des pièces demandées. Tirant les conséquences de cette méconnaissance de l’article L. 16 B par la Cour d’appel, la Cour de cassation relève que le droit d’accès au dossier ne dispense pas l’administration de communiquer à la partie qui le demande les pièces dont elle fait état. Elle veille ainsi à donner à l’article L16 B un champ d’application suffisamment large afin de s’assurer de la compatibilité des garanties offertes aux parties aux dispositions conventionnelles. Par cet arrêt sur ce point, la juridiction suprême judiciaire s’inscrit pleinement dans la ligne de ses jurisprudences précédentes.

La Cour de cassation, dans l’arrêt n°151 reproduit également dans ce blog, tout en rappelant la faculté offerte aux parties de consulter le dossier au greffe, apporte une précision importante qui n’avait pas été prévue par le texte, ni n’avait été tranchée jusqu’alors. Dans cette espèce, les sociétés requérantes soutenaient que le principe du contradictoire et de l’égalité des armes n’avait pas été respecté dans la mesure où il n’avait pas été fait droit à leur demande de copie de pièces après leur déplacement au greffe de la juridiction du Premier président de la Cour d’appel.

Ce dernier avait indiqué qu’il n’y avait pas lieu, dans une procédure purement civile au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, conduite par les parties à l’instance, que le greffe procède à la délivrance de copies du dossier de la procédure. En effet, si l’article L16 B, dans sa nouvelle rédaction, offre aux parties la possibilité de consulter le dossier au greffe, on notera qu’il ne prévoit pas la délivrance de copie des pièces consultées au greffe de la cour d’appel, mais ne l’interdit pas non plus. La Cour de cassation écarte expressément cette possibilité et indique que l’article L. 16 B doit être interprété stricto sensu et non lato sensu de sorte que la délivrance de copies par le greffe ne rentre donc pas dans le champ de l’article. Cette interprétation restrictive de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales démontre la volonté des juges de limiter a minima le droit d’accès aux pièces à la seule consultation au greffe.

En second lieu, la Cour de cassation évoque l’autorisation donnée par le juge judiciaire.

Dans de multiples arrêts (Cass. com. 29 juin 1991, n°1331 ; Cass. com. 9 novembre 1993 n°1693 ; Cass. com. 16 mai 1995 n°1270 ; Cass. com. 23 mars 1993 n°516 ; Cass. com. 11 juillet 2000 n°1583), la Cour de cassation a jugé que l’ordonnance autorisant une visite domiciliaire en vertu de l’article L. 16 B du LPF est réputée établie par le juge qui l’a rendue et signée. Dans ces différentes espèces, le juge s’était borné à signer une ordonnance dont le texte avait été établi matériellement par l’administration requérante. Il lui était reproché de ne pas avoir procédé à la vérification concrète du bien-fondé de la demande et de ne pas avoir exprimé ses motifs propres. La Cour de cassation a admis que ce procédé n’était pas en lui-même irrégulier, s’attachant seulement à rechercher si la décision était motivée selon les exigences de la loi et de la nécessité du contrôle de la Cour.

Dans un arrêt du 22 mars 2001 (Cass. crim. n°2275 F-D, Sté Trigone Conseil Littoral), la Cour de cassation a jugé que le nombre de pièces produites par l’administration fiscale à l’appui de sa requête ne pouvait en soi laisser présumer que le juge s’était trouvé dans l’impossibilité de les examiner et d’en déduire l’existence de présomption de fraude. En l’espèce, l’ordonnance judiciaire avait été rendue le même jour que celui de la présentation de la requête à laquelle étaient annexées un grand nombre de pièces. Le moyen tendait à faire juger que le président du tribunal de grande instance n’avait pu matériellement, en raison du volume du dossier et de ses obligations professionnelles habituelles, procéder aux vérifications auxquelles il est tenu et qu’il s’était borné à apposer sa signature sur les documents préparés par l’administration. Reprenant le principe énoncé par la chambre commerciale selon lequel l’ordonnance est réputée établie par le juge qui l’a rendu (Cass. Com. 29 juin 1991 n°1331), la chambre criminelle a écarté le moyen.

Dans l’arrêt n°151, les sociétés requérantes avaient relevé qu’une autre ordonnance dont certains termes étaient identiques avait été rendue par un juge différent pour autoriser la visite de lieux situés dans un autre ressort, chacune des deux ordonnances étant datée du jour de présentation de la requête et comportant les mêmes pièces.

Ecartant l’argumentaire développé par les sociétés requérantes, la Cour de cassation indique que l’article L. 16 B du LPF ne prévoit aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision d’autorisation.

En se fondant sans doute sur les jurisprudences antérieures et plus précisément sur l’arrêt de la chambre criminelle du 22 mars 2001, les juges de la Cour de cassation confirment le principe selon lequel « le nombre de pièces produites ne peut, à lui seul, laisser présumer que le premier juge s’est trouvé dans l’impossibilité de les examiner et d’en déduire l’existence de présomptions de fraude fiscale ». En relevant que la présentation de la requête de seize pièces et d’un projet d’ordonnance permettent au juge d’exercer son contrôle et sa réflexion s’agissant d’une décision rendue le lendemain de la requête, la Cour réaffirme son pouvoir souverain en matière de contrôle juridictionnel.

Néanmoins, cette analyse n’est pas satisfaisante pour la protection des droits et des garanties des contribuables. En effet, il apparaît peu probable que le président de la cour d’appel ait pu lire l’ensemble des pièces, le volume du dossier étant substantiel et le temps nécessaire de réflexion entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision d’autorisation limité. Cette intuition est d’autant plus inquiétante que c’est sur le juge judiciaire que repose la protection des libertés individuelles et notamment l’inviolabilité du domicile.

Il convient de noter que dans la majorité des arrêts et c’est le cas dans ces deux arrêts du 2 février 2010, le grief avancé par les requérants se fonde le plus souvent sur une méconnaissance par le juge de son devoir de vérification concrète et effective de la portée des éléments que lui présente l’administration au soutien de sa requête. Autant les juridictions françaises abordent ce moyen de manière théorique, autant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales conduit une analyse plus empirique. Il n’est donc pas certain que la position des juges français résiste à un nouvel examen par le juge européen.

La perquisition fiscale reste un acte procédural extraordinaire qui entraîne des garanties importantes pour les contribuables. L’autorité du magistrat met l’administration fiscale sous surveillance afin de protéger les libertés individuelles. Le juge judiciaire confirme son rôle de gardien des libertés individuelles.

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