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Cumul des sanctions pénales et fiscales : Nouvelles précisions sur le cumul des pénalités fiscales et pénales lorsque le dirigeant de la société est poursuivi pénalement

Photo du Conseil Constitutionnel

Par un arrêt du 24 juin 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte de nouvelles précisions tenant à la portée de la réserve posée par le Conseil constitutionnel sur la gravité des faits.

En l’espèce, après un avis favorable de la CIF (Commission des Infractions Fiscales), l’Administration a déposé plainte à l’encontre de la société et de son gérant et associé unique pour s’être frauduleusement soustraits à l’établissement et au paiement de la TVA et de l’IS.

L’affaire est portée devant les juridictions de l’ordre judiciaire.

En première instance, la société et son dirigeant sont reconnus coupables et condamnés en conséquence, pour la société, à 10 k€ d’amende et, pour le dirigeant, à 4 mois d’emprisonnement avec sursis, 9 k€ d’amende et 5 ans d’interdiction de gérer.

En appel, le prévenu fait notamment valoir qu’une majoration de 40 % avait déjà été appliquée par l’Administration sur les sommes réclamées au titre de la TVA et de l’IS. Il avançait dès lors qu’il convenait de faire application de la règle de non cumul des peines dite communément « ne bis in idem » et de la réserve du Conseil constitutionnel selon laquelle seules les fraudes les plus graves peuvent justifier un cumul des sanctions pénales et fiscales – cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention (Cons. const., déc., 24 juin 2016, n°2016-545 QPC, M. Alec W. et a. ; et n°2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

La Cour d’appel de Colmar écarte néanmoins ce moyen de défense au motif que la réserve d’interprétation précitée ne vaut que pour les cas de dissimulation des sommes imposables (Cons. const., déc., 24 juin 2016, n°2016-545 QPC, M. Alec W. et a.) et non pour le cas de non déclaration des sommes imposables dans les délais prescrits. Elle juge par ailleurs que le délit de fraude fiscale par omission de deux déclarations qui est reproché constitue nécessairement un cas grave. Elle condamne le gérant et associé unique pour délit de fraude fiscale et prononce une peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis, 3 k€ d’amende et 3 ans d’interdiction de gérer en plus des intérêts civils.

Le prévenu se pourvoit en cassation.

La chambre criminelle de la Cour de cassation conclut que les juges ont considéré, à tort, que la réserve posée par le Conseil constitutionnel tenant à la gravité des faits ne s’applique qu’aux cas de fraude fiscale par dissimulation des sommes sujettes à l’impôt. Elle rappelle que dans sa décision n°2018-745 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé, comme il l’avait fait en matière de fraude par dissimulation (décisions n°2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n°2016-556 QPC du 22 juillet 2016), que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions de l’article 1741 du CGI ne s’appliquent, en complément de sanctions fiscales, qu’aux cas les plus graves d’omission déclarative frauduleuse.

Pour autant, elle juge que l’arrêt de la Cour d’appel n’encourt pas la censure dès lors que :

Elle conclut que la réserve ne s’applique pas au prononcé de sanctions à l’encontre du prévenu, dirigeant de société, lorsque la société elle-même est la redevable légale de l’impôt.

L’avis du praticien : Sandrine Rudeaux

L’arrêt du 24 juin 2020 semble « logique » eu égard à la jurisprudence récente de l’ensemble des juridictions françaises, mais n’est pas de nature à dissiper les doutes ni atténuer les critiques qui se sont élevées dans la doctrine depuis quelques années.

« Logique » par rapport aux jurisprudences antérieures, la présente solution l’est à n’en pas douter. En particulier, elle s’inscrit dans la continuité d’un arrêt de la même chambre criminelle, qui a jugé que le principe de proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales ne s’applique pas au prononcé à l’encontre d’un prévenu, dirigeant de société, lorsque cette dernière est la redevable légale de l’impôt (sens Cass. Crim. 23 octobre 2019, n°18.85.088).

Les doutes auxquels sont confrontés les praticiens du droit et les dirigeants de société sont liés à la nature des cas les plus graves permettant de caractériser une fraude fiscale. On comprend bien que l’approche est éminemment casuistique, et sera laissée à l’appréciation souveraine des juges d’appel, mais la sécurité juridique n’en sort pas grandie.

Les critiques les plus vives de la doctrine portent sur les possibilités de cumul de sanctions fiscales et pénales, et le fait que lorsqu’une société et un dirigeant sont sanctionnés, la réserve constitutionnelle ne permet pas tenir compte de ce qui a été infligé à l’un pour appliquer un éventuel cumul à l’autre. Lorsque le dirigeant est le seul détenteur des parts, même si la société a son propre objet social, l’écran juridique entre la structure et le dirigeant peut sembler artificiel lorsqu’il s’agit d’apprécier les agissements frauduleux au regard de l’impôt.

Nous ajouterons que l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle principe de nécessité des délits et des peines ne s’applique pas à la solidarité fiscale infligée sur le fondement de l’article 1745 du CGI peine à nous convaincre que les sanctions prononcées dans ce cadre ne pourraient être prises en compte pour apprécier le cumul des sanctions fiscales et pénales. La chambre criminelle a d’ailleurs jugé à plusieurs reprises que cette solidarité est une mesure à caractère pénal (Cass. Crim. 19 mai 2010 n°09-83.970). N’excluons pas qu’à force de ténacité, de pédagogie et de mise en avant des normes conventionnelles, cette position puisse à nouveau évoluer.

 

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