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Détermination du prix de pleine concurrence dans le cadre spécifique de l’ancien régime des quotas de production de sucre dans l’Union européenne

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Eléments de contexte

Jusqu’en 2017, la production de sucre au sein de l’Union européenne faisait l’objet d’un régime de quotas répartis entre les producteurs de 20 Etats membres. Ainsi, chaque pays se voyait octroyer une production maximale de sucre. La production « hors quota » (c’est-à-dire dépassant le plafond fixé) était possible, mais était régie par des règles strictes (certaines productions dédiées à l’exportation, à la vente pour la fabrication de biocarburant ou pour d’autres usages industriels non alimentaires notamment). A défaut de respecter les quotas, les producteurs étaient susceptibles de supporter des pénalités financières.

Lorsque le marché du sucre de l’UE présentait des risques d’excédent pour la campagne de commercialisation suivante, certaines quantités pouvaient être retirées ; à l’inverse, en cas de risque de pénurie, des mesures pouvaient être prises pour augmenter la production.

Dans ce cadre, les campagnes s’étendaient du 1er octobre N au 30 septembre N+1.

Précisons enfin que la règlementation permettait l’échange entre producteurs de sucres, de « sucre du quota » contre « du sucre hors quota » (opération dite de « swap » ou principe d’équivalence).

L’histoire

Une société française exerçant une activité de producteur de sucres à base de betteraves au sein d’un important groupe sucrier, a procédé, dans le cadre d’opérations d’équivalence, à la vente du « sucre du quota » à sa société mère allemande au titre des exercices 2011 à 2013, augmentant corrélativement sa quantité de sucre « hors quota » à due concurrence.

Pour déterminer le prix facturé dans le cadre de ces opérations, la société française s’est écartée de la méthode « CUP » (méthode du prix comparable sur le marché libre) qu’elle utilisait habituellement pour la fixation de ses prix intra-groupe. Pour mémoire, cette méthode consiste à comparer le prix d’un bien transféré dans le cadre d’une transaction contrôlée avec le prix d’une transaction comparable dans les conditions de pleine concurrence.

Les contrats de vente de sucre avec les clients industriels se concluaient traditionnellement en début de campagne sucrière (chaque mois d’octobre) et les prix fixés pour la campagne n’étaient pas modifiables. Aussi, en application de la méthode « CUP », la société française déterminait usuellement ses prix de transfert sur la base d’une moyenne de prix observée dans les contrats signés par les entités du groupe sucrier auquel elle appartenait avec les 5 clients les plus importants, déduction faite de 15 euros par tonne de marge commerciale.

Pour fixer le prix de cession du « sucre du quota » à sa mère allemande, la société française a cependant mis en œuvre une méthode alternative de calcul, dite « market distorsion », prenant en compte le prix de revente aux tiers, déduction faite de la marge commerciale normale et qui a vocation à s’appliquer lorsque la méthode « CUP » ne permet pas à l’une ou l’autre des parties de couvrir ses coûts.

Le recours à cette méthode s’est traduit par un prix minoré par comparaison avec celui qui aurait résulté de l’application de la méthode « CUP ».

L’Administration a considéré que le prix ainsi facturé ne pouvait être regardé comme un prix de pleine concurrence, et visait en réalité à permettre à la société mère allemande d’écouler le surplus de son stock de sucre hors quota excédentaire en utilisant la logistique de sa filiale française.

Elle en a conclu qu’en facturant à sa société mère allemande un prix minoré, la société française avait commis un acte anormal de gestion, constitutif d’un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI.

La décision de la CAA de Versailles

Sur l’existence d’un avantage constitutif d’un transfert de bénéfices

Devant la CAA de Versailles, la société française tentait vainement de justifier du bien-fondé du recours à la méthode alternative de calcul de « market distorsion », et de s’opposer au recours par l’Administration à la méthode du prix comparable.

En substance, la société se prévalait de l’absence de débouchés à la suite de la très importante baisse du cours du « sucre du quota » sur la période 2009/2010, et soutenait que sa société mère n’aurait pu l’acheter au prix CUP, compte tenu des coûts de transport générés par des livraisons dans le sud de l’Europe.

Elle indiquait que sans cette cession, elle aurait alors elle-même dû, soit stocker ses marchandises en vue d’une campagne suivante en supportant des frais de stockage significatifs, soit les vendre dans l’UE sur les marchés déficitaires – en particulier sur le marché espagnol – à un prix inférieur à ceux négociés avec sa mère allemande.

La Cour écarte les arguments, considérant que la méthode alternative dont se prévalait la société était insuffisamment documentée, et valide au contraire le recours par l’Administration à la méthode « CUP », laquelle s’est référée au prix défini par le groupe sucrier lui-même, reposant, on le rappelle, sur les prix pratiqués avec les 5 clients les plus importants en octobre 2009 (fixés au cours de l’été 2009, pour la campagne sucrière 2009/2010).

Elle en conclut que la minoration de prix ainsi mise en évidence représentait un avantage consenti par la société française à sa mère allemande, constitutif d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI, de sorte que la présomption de transfert de bénéfices était bien établie.

On observera que la Cour n’a pas suivi sur ce point les conclusions de sa rapporteure publique, laquelle considérait notamment que la méthode retenue par l’Administration ne tenait compte ni de la volatilité des cours, ni de l’effondrement du marché du sucre à compter de l’automne 2009.

Elle souligne ainsi qu’en « fixant le prix de référence selon une méthode et des comparables pertinents « en temps normal », alors que la société établit que les circonstances étaient exceptionnelles, disqualifiant en quelque sorte les comparables habituels, le Ministre n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’un avantage tarifaire ».

Sur l’existence de contreparties favorables

La Cour ne remet pas en cause le fait que l’opération de swap litigieuse ait présenté pour la société française des avantages – elle lui a en effet permis d’écouler son stock excédentaire, dès lors qu’elle disposait de la logistique nécessaire pour écouler du sucre hors quota sur le marché africain.

Elle souligne que cette opération était néanmoins bien plus avantageuse pour la société mère allemande, dès lors que l’Allemagne disposait du stock de sucre hors quota le plus élevé en Europe et qu’il aurait été « physiquement impossible d’en écouler la totalité » sans les opérations de mise en équivalence, et qu’elle avait profité de la position géographique de la société française pour réduire ses coûts logistiques à l’exportation.

Elle écarte également l’avantage avancé par la société française tenant à son appartenance au groupe sucrier, avant de juger que « la société requérante n’établit que les avantages qu’elle a consentis au profit de sa société mère aurait été justifiés par l’obtention de contreparties favorables à son activité ou, à tout le moins, par des contreparties au moins équivalentes au coût de l’avantage accordé ».

L’avis du praticien : Julien Pellefigue

Une décision un peu décevante sur le principe, puisqu’elle est fondée sur les vieux critères de charge de preuve sans procéder à une analyse économique rigoureuse de la situation – alors que l’affaire se prêtait parfaitement à un tel exercice. En matière de prix de transfert, la tendance récente des tribunaux administratifs à tirer leurs conclusions d’une analyse empirique semble bien plus fructueuse, et permet davantage de concourir à l’objectif « d’équité» au centre des préoccupations actuelles de la fiscalité internationale.

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