Le 15 janvier dernier, lors de l’audience solennelle de rentrée, le Premier président de la Cour d’appel de Paris a annoncé la création d’une chambre dédiée aux contentieux environnementaux émergents au sein de la Cour : la chambre 5-12.
Attributions de la nouvelle chambre 5-12 spécialisée
Au sein du pôle économique de la Cour d’appel de Paris, la nouvelle chambre 5-12 sera compétente pour statuer en appel sur les décisions relatives au devoir de vigilance, aux obligations portées par les directives CSRD et CS3D, ainsi qu’aux actions en responsabilité écologique et sociale.
Devoir de vigilance
La Cour rendra des jugements en appel pour toute action relevant du devoir de vigilance et se fondant sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce.
Pour rappel, ces articles, introduits par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, imposent notamment, aux sociétés employant au moins 5 000 salariés en France (maison mère et filiales confondues) ou 10 000 salariés dans le monde, d’établir et de mettre en œuvre un « plan de vigilance ».
Informations en matière de durabilité des sociétés
La Chambre 5-12 prendra en charge les actions concernant les obligations introduites, en particulier, par les directives dites CSRD et CS3D.
Issue de la directive (UE) n° 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022, la directive dite CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive, encadre la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. Elle a notamment été transposée en France par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023.
La directive dite CS3D, pour Corporate Sustainability Due Diligence Directive, est en revanche en suspend à la suite du report du vote sur le projet final du texte du 14 décembre 2023.
Initialement publiée par la Commission européenne le 23 février 2022, cette directive aurait un champ d’application plus large que la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, en étendant ses obligations à des tailles d’entreprises qui n’étaient jusqu’alors pas soumises au devoir de vigilance.
Responsabilité écologique
Enfin, la nouvelle instance de justice devra prononcer son jugement sur les actions en matière de responsabilité écologique telles que prévues par l’article L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire.
Cet article renvoie aux actions relatives au préjudice écologique fondées sur les articles 1246 à 1252 du code civil, aux actions en responsabilité civile prévues par le code de l’environnement et aux actions en responsabilité civile fondées sur les régimes spéciaux de responsabilité applicables en matière environnementale résultant de règlements européens, de conventions internationales et des lois prises en application de ces conventions.
Transversalité et garantie d’une plus grande prévisibilité de la jurisprudence
La nouvelle chambre 5-12 sera présidée par Madame Marie-Christine Hébert-Pageot et sera complétée, selon la nature des dossiers, par des magistrats appartenant à d’autres chambres afin de disposer de compétences et expériences transversales, nécessaires pour traiter ce type de contentieux.
En outre, selon le Premier président, la création de cette chambre spécialisée devrait permettre de garantir une plus grande prévisibilité de la jurisprudence.
Intensification de la judiciarisation des enjeux liés à la responsabilité sociale des entreprises
La création de cette chambre spécialisée fait également écho à la judiciarisation croissante des enjeux liés à la responsabilité sociale des entreprises.
Les réglementations liées au devoir de vigilance ou au reporting social et environnemental se sont multipliées et intensifiées ces dernières années, entraînant avec elles l’émergence de litiges visant les entreprises soumises à ces réglementations.
Selon le Radar du Devoir de Vigilance, si une quinzaine de ces litiges sont en cours en France, la première décision au fond en France sur le fondement du devoir de vigilance ne date que du 5 décembre 2023 (Tribunal judiciaire de Paris, RG 21/15-827).
Au terme d’une procédure de plus de trois ans, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné un groupe français en lui enjoignant notamment :
- de compléter son plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation
- d’établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques
- de compléter son plan de vigilance par un mécanisme d’alerte et recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives
- de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance
Spécificité des règles de compétences juridictionnelles en matière de devoir de vigilance
Le contentieux lié au devoir de vigilance répond à des règles de compétences juridictionnelles spécifiques donnant une compétence exclusive à certaines juridictions.
Ainsi, en première instance, conformément à l’article L.211-21 du code de l’organisation judiciaire, seul le Tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce.
Toutefois, à ce jour, il n’existe pas de chambre spécialisée dédiée aux contentieux liés au devoir de vigilance et à la responsabilité écologique au sein du Tribunal judiciaire de Paris à l’instar de la chambre 5-12 récemment créée au sein de la Cour d’appel de Paris.
En appel, ainsi que l’a rappelé le Premier président de la Cour d’appel de Paris, la Cour est « dotée d’une compétence nationale en matière de devoir de vigilance ».
Par conséquent, la nouvelle chambre 5-12 de la Cour d’appel de Paris devra se prononcer sur toutes les décisions rendues par le Tribunal judiciaire de Paris en matière de devoir de vigilance. Cette chambre jugera ses premières affaires au premier semestre 2024.