En prenant une initiative en matière de lutte contre la déforestation, le Parlement européen préfigure sans doute une extension du champ du devoir de vigilance qui résultera de l’adoption de la proposition de directive européenne dite « devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ».
La forêt est définie par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) comme étant une terre ayant un couvert arboré supérieur à 10 % et une superficie supérieure à 0,5 hectare. Les arbres doivent avoir une hauteur d’au moins 5 mètres lorsqu’ils sont à maturité pour être qualifié d’arbres. Si la notion de forêt n’est pas précisée en droit européen, son importance est pourtant primordiale au regard des enjeux économiques et écologiques actuels. La sauvegarde des forêts relève donc d’un défi quotidien pour l’Union européenne, en dépit de l’absence de politique forestière commune puisque la forêt n’a jamais été mentionnée dans les traités européens.
De surcroît, si l’on estime que 10 % de la déforestation mondiale est imputable à la consommation de l’UE, celle-ci se doit d’agir afin de limiter l’impact de la consommation européenne notamment en obligeant, en première ligne, les entreprises productrices à limiter leur effet direct sur la déforestation mondiale. C’est dans ce contexte que le 12 juillet dernier, la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen a adopté une position sur la proposition de la Commission européenne relative au règlement sur les produits ne contribuant pas à la déforestation.
Un projet de règlement ambitieux et compliqué
Le projet de règlement prévoit diverses obligations qui incomberont aux entreprises européennes, que l’on peut ramener aux trois points-clés suivants :
- Les biens entrants sur le marché de l’Union européenne devront être exempts de toute contribution à la déforestation, c’est-à-dire ne pas avoir été produits sur des terres déboisées ou dégradées. Plus précisément, la protection des forêts tropicales irremplaçables est mise en avant afin de protéger à la fois la biodiversité et la qualité de l’air ;
- Les biens devront avoir été fabriqués conformément aux règles applicables dans le pays d’origine et aux standards européens minimum lorsque la production est faite en dehors de l’UE. Les biens devront non seulement ne pas engendrer de conséquences néfastes sur les forêts, mais également respecter les droits humains protégés par les conventions internationales.
Les entreprises devront faire preuve d’une diligence raisonnable en contrôlant la production des biens : elles devront à la fois contrôler la provenance du produit et s’assurer, que les droits humains protégés par le droit international et les droits des populations autochtones ont été respectés.
A cette fin, les entreprises recevront d’une part des aides de l’UE afin de faciliter les opérations de contrôle (contrôles par satellite, audits de terrain, analyses isotopiques, etc.) et, d’autre part, elles pourront s’appuyer sur le classement émis par la Commission sur le degré de contrôle qui doit être réalisé : les importations effectuées depuis des pays à faible risque étant soumises à des obligations moindres que celles réalisées depuis des pays à haut risque.
L’ambition est forte puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de conditionner l’entrée de biens sur le marché de l’UE à l’application de standards élevés de respect d’un ensemble d’exigences et de droits fondamentaux.
Cela annonce les difficultés que rencontrera cette proposition, qui devra également tenir compte des règles du commerce international (OMC) et des approches différentes selon les pays en la matière.
Un périmètre d’application progressivement élargi
Dans un premier temps, le champ d’application de la proposition serait limité à quelques biens particulièrement polluants tels que le bétail, le cacao, l’huile de palme, le soja et le bois, ainsi que les produits qui contiennent, ont été nourris ou fabriqués en utilisant ces matières (comme le cuir, le chocolat ou les meubles). Le Parlement européen souhaite ajouter à cette liste la viande de porc, les ovins et les caprins, la volaille, le maïs et le caoutchouc, ainsi que le charbon de bois et les produits en papier imprimé.
A terme, la Commission européenne, très impliquée sur ces sujets depuis le Pacte Vert pour l’Europe (Pacte Vert pour l’Europe, Communiqué de presse de la Commission européenne du 17 novembre 2021), souhaite appliquer la réglementation à d’autres types de produits néfastes à l’environnement pourtant omniprésents dans la consommation quotidienne européenne. L’élargissement concernerait notamment l’éthanol, les produits miniers ou bien la canne à sucre.
Cette proposition s’inscrit dans la continuité du développement de la RSE, et de la définition progressive d’une gouvernance des entreprises qui permette un développement durable. L’objectif, complexe, est de procéder à une transition écologique viable pour les entreprises tout en prenant en considération les enjeux environnementaux.
Les rapports de force politique au sein de l’actuel Parlement européen lui donne la possibilité de favoriser des mesures strictes amenant les entreprises à agir d’une manière qui contribue réellement à l’atténuation de la déforestation et à la protection de l’environnement.
La procédure d’adoption de cette réglementation, qui élargira à n’en pas douter le périmètre du devoir de vigilance des entreprises de la future directive « gouvernance durable » voulue par l’UE, n’est pas encore terminée : l’assemblée plénière devrait adopter la position du Parlement en septembre prochain, puis les négociations avec les États membres sur la forme finale de la législation pourront débuter.