La question de l’égalité salariale entre femmes et hommes, qui revient régulièrement dans le débat public, ne se pose pas qu’en France. Pour accélérer les progrès, l’Union européenne a adopté, le 10 mai 2023, une directive ambitieuse sur la transparence des rémunérations, qui devra être transposée d’ici au 7 juin 2026 par les États membres. Les entreprises françaises et leurs salariés doivent s’attendre à d’importants changements, auxquels il convient de se préparer dès à présent.
Une directive volontariste visant à corriger les écarts de salaire inexpliqués
Selon l’INSEE, le revenu salarial moyen des femmes, en France, était inférieur de 22,2 % à celui des hommes en 2023. Cette inégalité est notamment liée à des situations de temps partiel plus fréquentes et aux différences de fonctions, les femmes occupant des emplois globalement moins qualifiés. Toutefois, même pour des fonctions et un temps de travail équivalents, l’écart de rémunération s’élevait encore à près de 4 % en moyenne en faveur des hommes en 2023, et à cet égard, la France est loin d’être le plus mauvais élève de l’Union européenne.
L’objectif principal de la Directive UE 2023/970 du 10 mai 2023 (la Directive) est clair : assurer l’effectivité du principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur. Pour parvenir à cet objectif, la Directive va bousculer les habitudes des employeurs en les soumettant à des obligations renforcées de transparence. Recrutement, établissement des politiques de rémunération, mesure de la performance, relations sociales : tous les volets traditionnels des ressources humaines devraient être touchés par les nouvelles règles édictées au sein de l’Union européenne.
Les règles dégagées par la Directive ont vocation à couvrir l’ensemble des employeurs, qu’ils soient publics ou privés, et ce quel que soit l’effectif de l’entreprise. Le texte protège tous les travailleurs bénéficiant d’un contrat ou plus largement d’une relation de travail (ex. : les apprentis et les stagiaires en formation professionnelle continue), ainsi que les candidats à un emploi.
Un état des lieux contrasté au sein de l’Union sur l’état de transposition de la Directive
Moins de six mois avant la date limite du 7 juin 2026 prévue par la Directive, peu d’États ont significativement avancé dans la transposition du texte en droit local. En particulier, aucun pays européen n’a à l’heure actuelle achevé les travaux de transposition. Certains, comme la Pologne, la Belgique et la République tchèque, ont pris de l’avance en adoptant déjà des lois nationales allant dans le sens de la Directive, sans pour autant la transposer intégralement. Cependant, une grande majorité des États membres en est encore à un stade très préliminaire.
La France, pour sa part, dispose déjà d’obligations en matière d’égalité salariale, mais elle devra aller beaucoup plus loin pour se conformer pleinement au texte européen.
Plusieurs réunions de concertation entre le ministère du Travail et les partenaires sociaux ont eu lieu avant la période estivale. Cependant, à ce jour, aucun projet de loi n’a été mis sur la table bien que le ministère travaille en coulisse. De nombreuses dispositions de la Directive ont été identifiées comme conformes au droit français et ne nécessiteront que peu d’ajustements, tandis que treize articles identifiés comme non conformes devraient faire l’objet de mesures de transposition spécifiques.
Si, à ce jour, aucun retard dans la transposition n’a été officiellement annoncé par la France, il est permis de s’interroger compte tenu du retard pris dans l’agenda social depuis la rentrée de septembre. En l’absence de transposition dans le délai imparti, la Directive ne produira pas d’effet direct horizontal, c’est-à-dire qu’elle ne pourra être invoquée directement par un salarié contre son employeur. Cependant, les juridictions nationales devront interpréter le droit français à la lumière des objectifs et principes posés par la Directive.
Les nouvelles obligations à anticiper en matière de transparence salariale
Concrètement, quels sont les outils mis en place par la Directive pour assurer l’effectivité du principe d’égalité de rémunération ?
Plusieurs mesures phares sont prévues par le texte.
Avant l’embauche
Pour garantir une négociation plus équitable, les recruteurs devront informer les candidats du salaire proposé (ou d’une fourchette) et des règles de la convention collective liées au poste. Par ailleurs, il sera interdit de demander aux candidats leur historique de rémunération. Toutefois, ces nouvelles règles ne devraient pas, selon nous, empêcher les salariés d’essayer de négocier à la hausse leur salaire d’embauche.
En cours d’exécution du contrat de travail
Tous les employeurs devront mettre à la disposition des salariés les critères utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération des travailleurs (avec une possible exemption pour les sociétés comptant moins de 50 salariés pour ce dernier critère).
Tous les salariés, quel que soit l’effectif des sociétés concernées, disposeront d’un véritable droit individuel à l’information consistant à pouvoir demander à l’employeur (le cas échéant, via les instances représentatives du personnel) et recevoir par écrit, dans un délai de deux mois, des informations sur leur niveau de rémunération et les niveaux de rémunération moyens, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur. L’employeur devra, en outre, rappeler ce droit à l’information aux salariés une fois par an.
La Directive fixe également de nouvelles obligations de reporting en matière d’égalité professionnelle avec une obligation de calculer et de publier des données sur les écarts de rémunération entre les travailleurs féminins et masculins. Si le texte européen vise les entreprises d’au moins 100 travailleurs, il est probable qu’en France, cette nouvelle obligation impliquera une refonte de l’Index Égalité auquel sont soumises, depuis 2018, les entreprises de plus de 50 salariés via un passage à 7 critères (au lieu de 4 ou 5 actuellement).
La Directive complète ce dispositif avec une nouveauté pouvant susciter de l’inquiétude chez les employeurs et qui, jusqu’à présent, était inconnue en droit français. Elle instaure en effet une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants du personnel en cas de différence salariale moyenne d’au moins 5 % entre les femmes et les hommes non justifiée par des critères objectifs non sexistes, lorsque l’employeur ne remédie pas à l’écart constaté dans les six mois. La Directive vise ainsi à instaurer :
- un renversement de la charge de la preuve lorsqu’un employeur ne s’est pas conformé à son obligation d’information sur la transparence des rémunérations, la victime n’ayant plus à présenter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination ; et
- la mise en place de nouvelles sanctions forfaitaires ou administratives en fonction de la nature des nouvelles obligations susmentionnées non respectées.
La Directive pose un minimum de protection, mais les États peuvent aller plus loin, même si la plupart se limiteront probablement au strict nécessaire.
Des limites à la transparence
La Directive vise la transparence… mais pas la divulgation individuelle. En pratique, il ne devrait donc pas être possible pour un salarié d’exiger de connaitre le salaire exact d’un collègue identifié. L’objectif reste de favoriser une meilleure information collective sans porter atteinte à la vie privée.
L’avis de nos expertes : Guillemette Peyre et Carole Torres Ribeiro
L’entrée en vigueur prochaine de la Directive constituera sans nul doute une avancée supplémentaire dans la réduction des inégalités salariales en France. Elle devrait également entraîner un véritable changement culturel, tant pour les entreprises que pour les salariés et leurs représentants qui auront un nouveau rôle à jouer en application du texte communautaire, en permettant une levée du tabou sur la rémunération. Il faudra maintenant suivre de près la rédaction du projet de loi français attendu et sa mise en place concrète.
Pour autant, les directions des ressources humaines ont dès à présent des chantiers à mettre en œuvre si elles veulent se préparer aux futurs changements. Identifier les groupes de salariés effectuant un travail de même valeur, mesurer et comprendre les écarts existants, corriger les discriminations induites par l’application de critères interdits devrait être le premier exercice à mener pour faire émerger des grilles de salaire qui puissent être facilement exploitées dans le cadre des nouvelles obligations de transparence.
