Les fusions transfrontières, que la pratique dénomme transfrontalières, sont régies par les articles L.236-25 à L.236-32 et R.236-14 à R.236-20 du Code de commerce, transposant la directive européenne de 2005 sur les fusions transfrontalières de société de capitaux, ainsi que par l’ensemble des dispositions non contraires applicables aux fusions nationales. Les mesures spécifiques aux fusions transfrontalières sont en effet issues de la transposition de la directive européenne 2005/56/CE, abrogée et remplacée par la directive 2017/1132 (aujourd’hui complétée par la directive 2019/2121, non encore transposée en droit français).
Quelques rappels sur le régime juridique
Cet instrument tente de faciliter les restructurations d’entreprise au sein du marché unique en adoptant des mesures de coordination et d’harmonisation. Coordination des droits nationaux, qui s’appliquent parallèlement aux entités concernées, et harmonisation par l’adoption de quelques règles de désignation de la loi applicable (des règles de conflit, ayant pour objet de désigner la loi applicable à une situation juridique).
Le schéma d’ensemble est que le droit national s’applique à l’entité concernée qu’il régit, en ce qui concerne toute la procédure de décision de la fusion jusqu’au respect des droits des créanciers mais que la date d’effet de la fusion est régie par la loi de la société absorbante. En pratique, autant il est concevable de respecter en parallèle les droits nationaux des entités participantes à l’opération, autant il eut été inconcevable que la date d’effet soit régie par des normes distinctes, potentiellement différentes. La sécurité juridique, au regard des conséquences importantes attachées à la date d’effet de l’opération, commandait une telle solution.
C’est ainsi que l’article 12 de la directive 2005/56/CE (repris par l’article 129 de la directive 2017/1132 et l’article 86 octodecies de la directive 2019/2121) dispose que :
La législation de l’État membre dont relève la société issue de la fusion transfrontalière détermine la date à laquelle la fusion transfrontalière prend effet. Cette date doit être postérieure à l’exécution des contrôles visés à l’article 11 [le contrôle de légalité].
Les directives n’étant pas d’applicabilité directe, elles doivent faire l’objet d’une transposition par une norme de droit interne. C’est pourquoi la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008 avait pour objectif de transposer la directive 2005/56/CE en droit français, et notamment son article 12 précité en le codifiant à l’article L.236-31 du Code de commerce.
Le rapport de Madame Arlette Grosskost, au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, du 16 avril 2008, en vue de l’adoption de de la loi n° 2008-649, précisait que l’article L.236-31 du Code de commerce : « transpose les articles 12 et 17 de la directive du 26 octobre 2005, proscrivant la nullité d’une fusion transfrontalière après la prise d’effet de celle-ci. […] Le rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet de préciser la date d’effet de la fusion transfrontalière en ce qui concerne les fusions par absorption, afin que cette date soit fixée par le contrat sans pour autant pouvoir être antérieure au contrôle de légalité ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire. »
Par conséquent, l’article L.236-31 du Code de commerce est aujourd’hui rédigé de la façon suivante :
La fusion transfrontalière prend effet :
1° En cas de création d’une société nouvelle, conformément à l’article L. 236-4
2° En cas de transmission à une société existante, selon les prévisions du contrat, sans toutefois pouvoir être antérieure au contrôle de légalité, ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire pendant lequel a été réalisé ce contrôle.
La nullité d’une fusion transfrontalière ne peut pas être prononcée après la prise d’effet de l’opération.
Le droit français impose donc une fenêtre de prise d’effet de la fusion transfrontalière, laquelle ne peut intervenir qu’entre la date du contrôle de légalité et la date de clôture de l’exercice en cours de la société absorbante durant lequel le contrôle de légalité a été réalisé. Cette fenêtre de réalisation, restrictive, n’est pas imposée par la directive, et d’autres droits nationaux n’imposent pas, par exemple, que la prise d’effet de la fusion intervienne avant la date de clôture de l’exercice au cours duquel le contrôle de légalité a été réalisé.
Cette différence de solution ne crée cependant pas de difficulté de mise en œuvre des fusions transfrontalières.
Droit européen versus droit national : qu’en est-il pour la date d’effet des fusions transfrontalières ?
Même si une directive n’est pas directement applicable dans chaque État membre, la loi nationale transposant une directive doit être comprise et rédigée de manière à être conforme audit instrument de l’Union Européenne. En outre, si la directive est mal transposée dans le délai prévu, il est même possible pour une personne physique ou morale de s’en prévaloir directement si la disposition concernée peut être appliquée directement (c’est-à-dire confère un droit suffisamment précis et opérationnel). La Cour de justice a également admis que devait être laissée inappliquée une disposition nationale contraire à une directive non encore transposée, alors même que le délai de transposition n’était pas expiré (CJCE, 22 nov. 2005, aff. C-144/04, Mangold c/ Helm).
Du fait que la formulation entre la directive et le Code de commerce n’est pas exactement la même, ou du moins entraîne des solutions différentes, l’article L.236-31 du Code de commerce devrait être interprété à la lumière de l’article 12 de la directive 2005/56/CE (ou l’article 129 de la directive 2017/1132, ou l’article 86 octodecies de la directive 2019/2121).
Ainsi, une fusion transfrontalière prend effet à la date fixée par la législation de l’Etat membre dont relève la société issue de la fusion, à savoir la société absorbante. Autrement dit, la date d’effet d’une fusion transfrontalière ne sera déterminée conformément aux dispositions de l’article L.236-31 du Code de commerce que si et seulement si la société française est la société absorbante. Lorsque la société française est la société absorbée, les règles applicables à l’article L.236-31 du Code de commerce se verraient écartées pour laisser place à celles de l’Etat membre de la société absorbante.
La solution s’impose ainsi en raison de l’ordre juridique de l’union, dont on sait qu’il prime le droit national ; rappelons également que les Etats membres doivent « assurer l’exécution des obligations découlant… des actes des institutions de l’Union », telle qu’une directive, de manière à faciliter la « réalisation des objectifs » de celle-ci.
C’est ce qui faisait dire à un observateur averti en la matière, commentant la loi française de transposition, que « n’ayant pas lieu de figurer dans chaque loi nationale, cette règle (de conflit) n’a pas été reprise par la loi française, qui ne s’est préoccupée que de l’hypothèse dans laquelle la société issue de la fusion (nouvelle ou absorbante) était de nationalité française. Elle reste toutefois sous-entendue. C’est donc, en principe, la loi applicable à la société nouvelle ou à la société absorbante qui détermine la date de réalisation de la fusion » (Revue des sociétés, n° 3/2008).
Mais la solution est également justifiée, très simplement, en application du droit national : seules les sociétés qui sont immatriculées et dont le siège social est situé en France sont soumises au droit français des sociétés. Ce n’est donc que lorsque la société absorbante est de droit français que les dispositions de l’article L.236-31 et, par renvoi, de l’article L.236-4, s’appliquent. Dans tous les autres cas, la prise d’effet de la fusion transfrontalière est déterminée par le droit de l’Etat membre de la société absorbante (ou de la société nouvelle née de l’opération de fusion).
La sécurité juridique n’eut pourtant pas souffert d’une formulation plus simple du droit français : « la date d’effet de la fusion transfrontalière est régi par la loi applicable à la société absorbante », à l’image de ce que prévoient les trois directives européennes applicable. A l’image également, de ce que prévoient d’autres droits internes européens, tels le Code civil néerlandais (Burgerlijk Wetboek) en son article 2-333i, alinéa 1.
Quoi qu’il en soit, cette solution explique qu’une opération de fusion entre une société française absorbée et une société néerlandaise absorbante, échappe à la contrainte selon laquelle la date d’effet de la fusion ne saurait être postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société absorbante durant lequel le contrôle de légalité a été réalisé.
En effet, le droit néerlandais prévoit précisément que la date d’effet de la fusion en droit interne, régissant l’opération puisque le critère de rattachement est alors la nationalité néerlandaise de la société absorbante, est fixée un jour franc après l’accomplissement de l’acte notarié, lequel doit intervenir dans un délai déterminé, qui court à compter de l’annonce publique de l’opération, suivant les circonstances (opposition des créanciers ou non). La date de clôture des comptes n’est pas prise en compte ; la date d’effet de la fusion peut donc être postérieure à la date « française ».
Ainsi, le régime européen des fusions transfrontières permet une ingénierie sociétaire flexible, selon les droits applicables, impliquant, sans doute, d’anticiper les solutions lorsque les régimes juridiques n’entrainent pas les mêmes conséquences en matière d’effet de l’opération de fusion. Juridiquement, l’importance attachée à cette date d’effet tient en une formule simple : la nullité d’une fusion transfrontalière ne peut pas être prononcée après la prise d’effet de l’opération. Solution inscrite à l’article L236-31 du code de commerce français, mais également à l’article 17 de la directive fusions transfrontalières !