Avec la révision de la directive (CE) 96/71 du 16 décembre 1996 par la directive (CE) 2018/957 du 28 juin 2018, les règles européennes en matière de détachement de salariés dans le cadre d’une prestation de services s’apprêtent à faire peau neuve.
Non sans mal, les Etats membres sont en effet parvenus à un compromis visant à garantir le principe « à travail égal, salaire égal, sur un même lieu de travail ».
En parallèle, devant l’afflux de salariés détachés en France (enregistrement d’une hausse des détachements de 46 % sur 2017, et de 24 % sur 2016), la France, sans attendre d’avoir à transposer ces règles, a pris le parti de renforcer à nouveau sa législation interne.
A compter du 1er juillet 2019, de nouvelles mesures relatives au détachement entreront donc en vigueur. Le décret n°2019-555 du 4 juin 2019 qui adapte le volet « travail détaché » de la loi Avenir Professionnel du 5 septembre 2018 parachève ainsi la réforme française de lutte contre la fraude au détachement et le travail illégal issue de cette même loi.
A compter du 30 juillet 2020, la réglementation française applicable aux salariés détachés évoluera encore et se renforcera dans plusieurs domaines. En effet, l’ordonnance 2019-116 du 20 février 2019 a récemment transposé en droit interne les dispositions de la directive (CE) 2018/957 du 28 juin 2018 portant modification de la directive 96/71 du 16 décembre 1996.
Tour d’horizon des nouveautés auxquelles les employeurs seront prochainement confrontés :
Nouveautés à compter du 1er juillet 2019
- Evolution du contenu de la déclaration préalable de détachement : celle-ci devra désormais préciser le sexe des salariés détachés, la rémunération correspondant au taux horaire appliqué pendant le détachement, les coordonnées électroniques téléphoniques du représentant sur le sol français, mais aussi le lieu de conservation des documents liés au détachement. La désignation du représentant sur le sol français n’aura pas plus besoin de faire l’objet d’un écrit séparé.
- Nouveaux documents à demander au contractant : le donneur d’ordre contractant avec un employeur établi hors de France devra demander l’accusé de réception de la déclaration de détachement effectué via « Sipsi » et une attestation sur l’honneur certifiant que l’employeur des salariés détachés s’est acquitté du paiement des amendes administratives liées au détachement.
- Renforcement des sanctions contre la fraude au détachement : en cas d’absence de paiement par l’employeur ou le donneur d’ordre d’une amende administrative en raison du non-respect des règles applicables au détachement et aux salariés détachés, la DIRECCTE est susceptible d’ordonner l’interdiction du détachement.
Nouveautés à compter du 30 juillet 2020
Extension du noyau dur de règles applicables aux salariés détachés en France
Le Code du travail impose actuellement à l’employeur établi à l’étranger de faire bénéficier ses travailleurs détachés d’un noyau dur de règles légales et conventionnelles notamment en matière de salaire minimum, durée du travail, santé et sécurité au travail.
A compter du 30 juillet 2020, ce « noyau dur » sera complété sur deux points : les travailleurs détachés bénéficieront des règles en matière de rémunération au sens large. Exit donc la référence au salaire minimum.
L’employeur devra en outre rembourser aux travailleurs détachés les frais professionnels engagés lors de l’accomplissement de leur mission en matière de transport, de repas et d’hébergement.
Enfin, pour l’ensemble des matières relevant du « noyau dur », les salariés détachés devront bénéficier d’une égalité de traitement avec les salariés relevant de la même branche d’activité sur le sol français.
Application quasi-intégrale du Code du travail pour les détachements dit « de longue durée »
A compter du 30 juillet 2020, la situation évolue sur deux points :
- L’employeur qui détache un salarié sur le territoire français pendant une période excédant une durée de 12 mois sera soumis, à compter du 13e mois, à la quasi-totalité des dispositions du Code du travail. Seules les dispositions relatives à la formation et l’exécution du contrat de travail, la modification du contrat de travail pour motif économique, la mobilité volontaire sécurisée, le transfert et la rupture du contrat de travail, CDD, contrat de chantier, ne seront pas applicables aux salariés détachés en France.
Par ailleurs, en cas de remplacement d’un salarié détaché par un autre sur le même poste de travail, la durée de détachement de 12 mois précitée sera considérée comme atteinte lorsque la durée cumulée du détachement des salariés se succédant sur le même poste sera égale à 12 mois. De même, pour les détachements en cours au 30 juillet 2020, cette durée de 12 mois s’appréciera en tenant compte des périodes de détachement d’ores et déjà accomplies à cette même date. - L’employeur étranger pourra par ailleurs solliciter, moyennant une déclaration préalable et dûment motivée, une prorogation de 6 mois maximum de la période de détachement de 12 mois, soit 18 mois pendant laquelle seul le noyau dur aura vocation à s’appliquer.
Nouvelles obligations en cas de recours à des travailleurs détachés intérimaires
L’ordonnance du 20 février 2019 crée deux nouvelles obligations :
- Pour l’entreprise utilisatrice établie en France : nouvelle obligation d’information en matière de rémunération (détachement dit « direct ») : ainsi, lorsqu’une entreprise utilisatrice établie en France aura recours à des salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire établie à l’étranger, elle devra informer l’entreprise de travail temporaire étrangère des règles applicables en matière de rémunération pendant toute la durée du détachement.
- Pour l’entreprise utilisatrice établie à l’étranger et exerçant ponctuellement une activité en France : simple obligation d’information (détachement dit « indirect ») : l’entreprise utilisatrice étrangère devra quant à elle informer, préalablement au détachement, l’entreprise de travail temporaire étrangère des règles applicables en France et dont la liste sera prochainement arrêtée.
Sanctions encourues
En cas de violation des règles relatives au détachement, différentes sanctions peuvent être prononcées :
- L’interdiction ou la suspension de la prestation de services : il en va ainsi en cas de manquements graves à la réglementation du détachement de salariés en France, tels que le non-respect des règles à l’égard des repos quotidiens et hebdomadaires, aux durées maximales de travail et au salaire minimum légal.
- Des amendes administratives peuvent également être infligées par l’Administration à l’employeur établi à l’étranger ou au donneur d’ordre ou maître d’ouvrage en France.
Typiquement, l’employeur établi à l’étranger s’exposera à de telles amendes en cas de manquement à l’obligation de déclaration du détachement, à l’obligation de la désignation d’un représentant en France, à l’obligation de la déclaration d’accident du travail, à l’obligation de déclaration motivée pour une prolongation du détachement ou encore d’absence de communication de documents à l’Administration.
Le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage en France pourra quant à lui être redevable de telles amendes en cas de méconnaissance de ses obligations de vigilance, d’absence de déclaration d’accident du travail ou d’affichage de la réglementation applicable sur les chantiers du bâtiment ou du génie civil.
Actuellement, le montant maximum de l’amende est de 4 000 euros par salarié détaché, et porté à 8 000 euros en cas de réitération dans un délai de 2 ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total maximal est de 500 000 euros.
A compter du 30 juillet 2020, l’autorité administrative pourra prendre en compte la bonne foi de l’auteur du manquement, pour le prononcé de la sanction et, le cas échéant, pour fixer le montant de l’amende (c’était déjà le cas avant mais là le texte pose le principe). Par ailleurs, l’entreprise utilisatrice encourra, au même titre que le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage, des sanctions si elle manque à son devoir d’information préalable.
Rappelons enfin, qu’en dehors des sanctions précitées et qui sont propres au détachement transnational, l’employeur établi à l’étranger, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage peuvent le cas échéant s’exposer à des sanctions pénales en cas de travail illégal.
A cet égard, les contrôles devraient s’intensifier tout au long de l’année 2019, un objectif de 24 000 contrôles ayant été fixé par le Gouvernement à l’Inspection du travail. A la fin du mois d’avril 2019, 8 370 contrôles avaient déjà été diligentés et 251 amendes administratives avaient déjà été notifiées.
Au plan européen, les inspections conjointes entre Etats membres seront de surcroît facilitées puisque le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne ont trouvé en février dernier, un accord pour la création d’une Autorité Européenne du Travail (AET), chargée du renforcement de la coopération administrative entre les Etats membres.
Compte tenu du durcissement de la réglementation en matière de détachement et de l’intensification des contrôles sur l’exercice 2019, un audit des situations de détachement en cours et à venir s’impose pour ne pas s’exposer à de lourdes sanctions financières et/ou pénales.