Le TA de Paris retient l’existence d’un abus de droit en cas d’échange de titres avec soulte bénéficiant d’un report d’imposition, dans le cadre du dispositif de l’article 150-0 B ter du CGI, dans l’hypothèse où la soulte, inscrite à un compte courant d’associé, n’a été effectivement appréhendée par le contribuable que de manière partielle et à l’issue d’un délai de 2 ans et demi.
Rappel
Le dispositif de report d’imposition applicable en cas d’apport à une société contrôlée permet la rémunération de l’opération pour partie par une soulte, sous réserve que celle-ci n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus. Dans ce cas, la plus-value est placée en report, à l’exception, depuis le 1er janvier 2017, de la fraction correspondant au montant de la soulte reçue (CGI art. 150-0 B ter).
Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration indique depuis quelques années qu’elle se réserve le droit d’imposer la soulte reçue, dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal, s’il s’avère que l’opération ne présentait pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et était uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender des liquidités en franchise immédiate d’impôt et d’échapper notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-10 du 20.12.2019, remarque sous le n°160).
Cette position a été déclinée sous la forme d’une fiche, figurant sur la « carte des pratiques et montages abusifs » de 2017, l’Administration y qualifiant de « procédé de fraude » le fait, pour un contribuable, d’effectuer un apport avec soulte à une société soumise à l’IS, lorsque la soulte – même inférieure à 10 % de la valeur nominal des titres – faisait ensuite l’objet d’une inscription au crédit du compte courant de l’apporteur et que les dividendes perçus par la société bénéficiaire de l’apport permettaient de rembourser le montant de la soulte dû à l’apporteur.
Les commentaires administratifs, comme la fiche figurant sur la carte des radars fiscaux, ont été vainement attaqués dans le cadre d’un REP, rejeté par le Conseil d’Etat, lequel a, à cette occasion, validé la faculté pour l’Administration de recourir à la procédure de l’abus de droit dans le cadre d’un échange de titres avec soulte, même inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus (CE, 12 juillet 2017, n°401997).
Le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF), ainsi que les juridictions du fond, ont, à plusieurs reprises, confirmé des redressements opérés en ce sens par l’Administration, avant que le Conseil d’Etat ne prenne lui-même position sur la question (CE, 31 mai 2022, n°455349 et 454288).
L’histoire
En décembre 2014, un contribuable a apporté, à une SAS qu’il contrôlait, les parts qu’il détenait dans une SARL.
En contrepartie, il a reçu des parts de la société bénéficiaire de l’apport, ainsi qu’une soulte d’un montant très légèrement inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus (9,99 %) – opération bénéficiant donc, en principe, des dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI.
Le montant total de la soulte reçue a été porté au crédit de son compte courant d’associé ouvert dans les comptes de la SAS. En avril 2017, ce compte-courant a été incorporé au capital de la SAS à hauteur de 80 % environ (et le surplus incorporé au capital de 2 autres sociétés).
L’Administration a remis en cause, sur le terrain de la procédure de l’abus de droit, le bénéfice du report d’imposition à hauteur du montant de la soulte.
Le Comité de l’abus de droit fiscal a été saisi, et a émis un avis favorable à l’Administration (affaire n°2020-13, examinée lors de la séance du 24 septembre 2020).
La décision du TA de Paris
Devant le TA de Paris, le contribuable contestait la qualification d’abus de droit, en faisant valoir qu’il n’avait appréhendé de façon effective la soulte que partiellement, et au bout de 2 ans et demi seulement.
Le TA écarte l’argument, en soulignant que le contribuable se bornait à faire valoir qu’il s’était « interdit à lui-même » de percevoir la soulte tant que la société bénéficiaire de l’apport n’aurait pas atteint un niveau suffisant de capitaux propres et que la surévaluation des titres transmis, dont il avait la maîtrise totale, était destinée à lui laisser une marge de recapitalisation en prévision des exigences supplémentaires à venir des banques.
Aussi ne rapporte-t-il pas la preuve que la soulte stipulée aurait eu un but autre que celui de lui permettre d’appréhender en franchise d’impôt des liquidités.
Cette décision est à rapprocher de la solution tout récemment retenue par la CAA de Paris, laquelle a jugé que l’inscription de sommes sur un compte-courant d’associé vaut mise à disposition, quand bien même elles seraient conservées sur ce compte (CAA Paris, 5 juin 2024, n°23PA03788).
De manière encore plus rigoureuse, le Comité de l’abus de droit fiscal a, à plusieurs reprises, retenu l’existence d’un abus de droit, alors même que la soulte avait été portée au crédit d’un compte courant d’associé bloqué (voir notamment séance du 14 février 2019, n°2018-39). A l’inverse, le Conseil d’Etat a récemment écarté l’abus de droit dans l’hypothèse où la soulte a été inscrite à un compte courant d’associé bloqué – blocage de 5 ans – (CE, 29 septembre 2023, n°471003).
- TA Paris, 16 juillet 2024, n°2204256