Saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal administratif de Budapest, la CJUE vient de juger la taxe hongroise sur les services de communication électronique conforme au droit de l’Union européenne. Même si cette taxe n’est pas – loin s’en faut – en tous points identique à la taxe sur les services numériques française, dite TSN (pour une présentation de la TSN), la décision rendue par la CJUE nous semble lever des doutes sur l’éventuelle incompatibilité de la taxe française au droit de l’UE.
La taxe hongroise s’applique aux entreprises exerçant une activité de prestation de services de communication électronique. Elle est assise sur le chiffre d’affaires net réalisé au titre de cette activité et son taux est proportionnel : abattement pour la part inférieure à 500 mHUF (env.1,5 m €), 4,5 % pour la part comprise 500 mHUF et 5 mdHUF (1,5m €/15m €) et 6,5 % au-delà. Y sont assujetties les entreprises nationales, tout comme les entreprises étrangères exerçant leur activité en Hongrie via leurs filiales. Enfin, le chiffre d’affaires doit, lorsqu’il s’agit d’entreprises liées, être apprécié après agrégation des chiffres d’affaires considérés.
Or, cette règle de consolidation du chiffre d’affaires conduit en pratique à ce que « seul le chiffre d’affaires des assujettis qui appartiennent à des ressortissants hongrois se voit en substance appliquer le taux le plus bas dans sa totalité, tandis que seules les filiales hongroises de sociétés mères étrangères paient l’impôt au taux prévu pour la tranche la plus élevée du chiffre d’affaires, de sorte que c’est sur la base de la tranche la plus élevée que les assujettis relevant de la tranche de chiffres d’affaires la plus élevée paient la partie déterminante de l’impôt spécial payé par eux ».
Le tribunal administratif de Budapest a donc demandé à la CJUE de se prononcer sur le point de savoir si le droit de l’Union européenne s’oppose à la mise en place d’une taxe sectorielle, qui a pour effet que la charge fiscale effective est supportée par des contribuables détenus par des capitaux étrangers, et si cet effet doit être regardé comme indirectement discriminatoire.
Certains auteurs ont formulé une critique similaire s’agissant de la taxe sur les services numériques française. En effet, les seuils d’assujettissement prévus pour l’application de la taxe sur les services numériques conduisent, dans les faits, à faire peser la taxe plus lourdement sur les opérateurs étrangers que sur les opérateurs nationaux. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, avait d’ailleurs souligné que la taxe affecterait majoritairement des redevables non-nationaux.
La CJUE a déjà jugé au sujet d’une taxe hongroise que la liberté d’établissement s’oppose à une législation relative à un impôt sur le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin qui prévoyait des modalités de calcul de l’impôt défavorables aux « entreprises liées » dès lors que les assujettis sont « liés », dans la plupart des cas, à des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre (CJUE, 5 févr. 2014, aff. C-385/12, Hervis Sportés Divatkereskedelmi Kft, nb : autre taxe sectorielle hongroise).
Cependant, la CJUE juge ici que la loi litigieuse ne fait aucune distinction entre les entreprises en fonction du lieu de leur siège social. En effet, toutes les entreprises opérant en Hongrie dans le secteur des télécommunications sont assujetties à cet impôt et les taux d’imposition respectivement applicables aux différentes tranches du chiffre d’affaires définies par cette loi valent pour l’ensemble de ces entreprises. La Cour en conclut donc que la loi hongroise n’établit ainsi aucune discrimination directe.
Elle juge, par ailleurs, que la circonstance que la plus grande part d’un impôt spécial est supportée par des assujettis détenus par des personnes physiques ou morales d’autres États membres ne saurait être de nature à caractériser, à elle seule, une discrimination.
Une autre critique formulée à l’encontre de la taxe hongroise portait sur son éventuelle incompatibilité à la législation européenne en matière d’aides d’État. Des inquiétudes sur ce point avaient également été formulées, d’autant que la France n’a pas notifié la taxe sur les services numériques à la Commission européenne au regard de la législation relative aux aides d’État.
La CJUE rappelle que pour que l’on puisse considérer une taxe comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celui-ci. La Cour considère toutefois qu’un tel lien n’existe pas pour la taxe hongroise.
Si la décision ici rendue à propos de la taxe hongroise ne nous semble pas valider en tous points l’euro-compatibilité de la taxe française sur les services numériques, elle nous semble devoir remettre en cause pour partie la robustesse des arguments avancés par la doctrine.