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Imputation des pertes « définitives » d’une filiale étrangère : application positive par la CAA de Paris

La CAA de Paris admet, dans deux affaires distinctes, l’imputation en France des pertes définitives de filiales étrangères « intégrables ».

Rappel 

La CJUE a jugé, il y a près d’une vingtaine d’années déjà, qu’un Etat membre peut s’opposer à la faculté pour une société de déduire des pertes subies par une filiale établie dans un autre Etat membre, sauf si ladite filiale a épuisé toute possibilité d’utiliser ses pertes sur ses bénéfices actuels ou antérieurs, et s’il n’existe pas de possibilités pour que ces pertes puissent être prises en compte au titre des exercices futurs, soit par elle-même, soit pas un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci (« exception Marks & Spencer », CJCE, 13 décembre 2005, aff. 446/03, Marks & Spencer, étendue aux établissements stables par CJUE, 15 mai 2008, aff. C-414/06, Lidl Belgium).

Le juge de l’impôt a d’abord fait échec à l’application en France de cette « exception Marks & Spencer » (CE, 15 avril 2015, n° 368135, Société Agapes), en se fondant sur la décision X Holding BV de la CJUE (CJUE, 25 février 2010, C-337/08), qui avait posé le principe selon lequel l’interdiction pour une filiale non-résidente d’appartenir à un groupe fiscal n’était pas contraire à la liberté d’établissement, sans prévoir de réserve applicable à des situations de pertes définitives, si bien que les pertes de la filiale non-résidente ne pouvaient être imputées sur le résultat d’ensemble d’un groupe fiscal.

Puis, pour tenir compte des évolutions de la jurisprudence européenne, des juridictions du fond ont admis de faire jouer l’« exception Marks & Spencer » (pour des pertes subies par une filiale, TA Montreuil 11 février 2021, n°1808706, Plastic Omnium, pour des pertes réalisées par une succursale étrangère, CAA Versailles, 9 juin 2022, n°19VE03130, SCA Financière SPI Batignolles).

Les affaires en cause

L’affaire Plastic Omnium

Dans la 1re affaire, une société belge en charge de la construction de pare-chocs automobiles, détenue à 100 % par une société française membre d’une intégration fiscale, a subi des pertes durant plusieurs exercices et les a reportées jusqu’à sa dissolution fin 2015.

La société mère intégrante a imputé ces déficits belges sur le résultat d’ensemble du groupe au titre de l’exercice 2015 (avec une mention expresse) en arguant de l’impossibilité d’utilisation de ces déficits en Belgique en raison de la liquidation de la société.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a remis en cause cette imputation et a corrélativement réduit le déficit d’ensemble du groupe.

L’affaire Société Générale

La 2e affaire concerne une société exerçant en Lettonie des activités dans le secteur du crédit à la consommation détenue à 100 % par une filiale française membre d’une intégration fiscale. Par voie de réclamation, la société mère du groupe d’intégration fiscale a demandé l’imputation sur le résultat d’ensemble du déficit définitif constaté lors de la dissolution de la filiale lettone en 2013, demande à laquelle l’Administration a refusé de faire droit.

Des décisions divergentes des juges de 1re instance

Le TA de Montreuil a admis, sur le plan des principes, la faculté d’imputer en France des pertes définitives constatées dans un autre Etat de l’Union européenne sur les résultats d’un groupe d’intégration fiscale.

C’est autour de la démonstration concrète du caractère définitif de ces pertes que les débats se sont cristallisés, le TA de Montreuil ayant repris à son compte la grille d’analyse dégagée par la CJUE dans les affaires Memira et Holmen (CJUE, 19 juin 2019, affaires C-607/17, Memira et C-608/17, Holmen).

Dans ces décisions, la CJUE avait jugé qu’aux fins d’appréciation du caractère définitif des pertes d’une filiale non-résidente, la circonstance que l’Etat membre dont relève la filiale ne permet pas de transférer des pertes d’une société à un autre assujetti l’année d’une liquidation (impossibilité « légale ») n’est pas déterminante, à moins que la société mère ne démontre qu’il lui est impossible de valoriser ces pertes en faisant en sorte, notamment au moyen d’une cession, qu’elles soient prises en compte par un tiers au titre d’exercices futurs (impossibilité « structurelle »).

Autrement dit, il faut que la société mère soit en mesure d’établir qu’il ne lui était pas possible de faire valoir économiquement ces pertes en les transférant à un tiers avant la clôture de la liquidation (notons que la CJUE ne semble pas exiger que ce critère soit satisfait lorsqu’il est question de pertes subies par une succursale, et non par une filiale, CJUE 12 juin 2018, aff. 650/16, A/S Bevola).

Le TA de Montreuil juge que cette démonstration est apportée dans l’affaire Plastic Omnium (TA Montreuil, 11 février 2021, n°1808706), la société française établissant l’impossibilité de céder les pertes de sa filiale belge, que ce soit par le biais :

En revanche, dans l’affaire Société Générale, le TA de Montreuil refuse de retenir la qualification de pertes définitives (TA Montreuil, 11 février 2021, n°1804038).

La société mère française arguait, à cet égard, qu’elle avait vainement tenté de céder les titres de sa filiale lettonne avant sa liquidation (mandat confié à cabinet spécialisé pour trouver un repreneur, sans succès), et qu’elle n’avait finalement pu céder que le portefeuille de crédit détenu par ladite filiale.

Le TA a toutefois jugé que la société française ne démontrait pas que la cession de la société et non du seul portefeuille n’aurait pas permis de valoriser localement l’ensemble des déficits fiscaux accumulés en Lettonie et qu’au contraire, la cession du portefeuille de crédit tendait à montrer que la poursuite de l’activité de crédit à la consommation restait possible en Lettonie, de sorte que la continuité d’exploitation était une option envisagée qui aurait permis, a minima, de limiter les pertes par rapport à la cession du portefeuille.

Les décisions favorables de la CAA de Paris

La CAA confirme, à son tour, la faculté, au plan des principes, d’imputer en France des pertes définitives constatées dans un autre Etat de l’Union européenne sur les résultats d’un groupe d’intégration fiscale, et rappelle les principes dégagés par la CJUE dans les affaires Memira et Holmen.

Elle rappelle également, en ligne avec la CAA de Versailles dans sa décision SCA Financière SPI Batignolles précitée que la circonstance que les pertes constatées lors de la liquidation d’une filiale trouveraient leur origine dans des exercices antérieurs est sans incidence sur leur caractère définitif ou non à la date de la liquidation et que l’Administration ne saurait se prévaloir de la prohibition de la prise en compte de déficits pré-intégration pour s’opposer à la prise en compte des pertes subies par une filiale étrangère.

Elle confirme ensuite le caractère définitif des pertes supportées par la filiale étrangère, tant dans l’affaire Plastic Omnium, que dans l’affaire Société Générale, en jugeant que l’Administration ne saurait exiger d’une société française qu’elle apporte la preuve de « l’impossibilité absolue » de valoriser les pertes de sa filiale étrangère en les cédant à un tiers.

A cet égard, elle juge, dans l’affaire Société Générale que :

Perspectives

Compte-tenu de la difficile lisibilité de la grille d’analyse dégagée par la CJUE et des positions divergentes retenues par les juridictions du fond, une confirmation de ces décisions par le Conseil d’État serait bienvenue.

On rappellera, à cet égard, que le Conseil d’État a refusé d’admettre un pourvoi formé dans l’affaire Groupe Lucien Barrière (CAA Versailles, 23 juin 2020, n°19VE01012, Groupe Lucien Barrière, CE, décision de non-admission du 7 octobre 2021), alors même que son rapporteur public militait en faveur de l’admission du pourvoi et, surtout, en faveur de la transmission à la CJUE d’une question préjudicielle sur la transposabilité de sa jurisprudence Marks & Spencer au régime français et sur la notion de « pertes définitives d’une loi fiscale étrangère limitant l’utilisation des pertes en cas de cession » et la date d’appréciation de cette condition.

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