Est jugé inconstitutionnel, sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques, le traitement fiscal de la prestation compensatoire mixte inférieure à 12 mois.
Cette décision est l’occasion de revenir sur les effets dans le temps des décisions d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel.
Déclaration d’inconstitutionnalité des prestations compensatoires mixtes inférieures à 12 mois
Pour mémoire, le traitement fiscal du versement de la prestation compensatoire obtenue dans le cadre d’un divorce dépend entre autres de ses modalités de versements :
- Les versements sous forme de capital effectués sur une période > à 12 mois, complétés ou non d’une rente, ⇒ déductibles du revenu global (CGI art. 156, II-2)
- Les versements en capital effectués uniquement sur une période < à 12 mois (CGI art. 199 octodecies, I) ⇒ ouvrent droit à réduction d’impôt
- Les versements de prestations compensatoires mixtes (partie en capital, partie en rente) effectués sur une période < à 12 mois (CGI art. 199 octodecies, II) ⇒ la partie en capital est exclue du bénéfice de la réduction d’impôt.
À la suite d’une QPC, le Conseil constitutionnel a considéré, le 31 janvier dernier, que les dispositions du II de l’article 199 octodecies du CGI, dans sa rédaction applicable depuis le 1er janvier 2005, sont contraires au principe d’égalité devant les charges publiques et par conséquent inconstitutionnelles. Il relève qu’elles privent le débiteur d’une prestation compensatoire du bénéfice de la réduction d’impôt sur les versements en capital intervenus sur une durée inférieure à 12 mois au seul motif que ces versements sont complétés d’une rente (Conseil constitutionnel n° 2019-824 QPC).
Une différence qui ne se justifie dès lors par aucun des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi.
Effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité
Par cette décision, le Conseil constitutionnel a donc censuré le dispositif, et précisé que :
- « En premier lieu, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée résultant de la loi du 26 mai 2004, ne sont plus en vigueur » [i.e. les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans la rédaction dans laquelle le Conseil les a examinées, ne sont plus en vigueur, ce qui ne permet donc pas leur abrogation]
- « En second lieu, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement. »
En effet, en application des dispositions de l’article 62 de la Constitution :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. »
Le Conseil constitutionnel dispose donc d’une grande latitude pour moduler les effets dans le temps de ses décisions.
En l’espèce, il juge que sa déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de la publication de sa décision (soit le 1er février 2020) et non jugées définitivement.
Une « formule » déjà utilisée à plusieurs reprises :
- A cet égard, le commentaire publié sur le site du Conseil constitutionnel sous la décision n° 2016-539 QPC du 10 mai 2016, Mme Eve G relative au Code des impôts de Nouvelle-Calédonie indiquait explicitement au titre de la décision rédigée dans les mêmes termes que : « […] les contribuables qui se sont vu appliquer les dispositions contestées pourront se prévaloir de la censure pour toutes les impositions pour lesquelles un recours contentieux peut encore être engagé ».
- De son côté, le Conseil d’État est venu expressément indiquer dans son avis du 6 février 2019 que : « [..] lorsque le Conseil constitutionnel précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d’imposition sur laquelle porte le litige. Elle peut l’être aussi à l’appui de toute réclamation encore susceptible d’être formée eu égard aux délais fixés par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du LPF » (CE avis 8e-3e ch. 6 février 2019 n° 425509 et 425511, SAS Bourgogne Primeurs).
Voir également les conclusions du rapporteur public, Karin Ciavaldini, relatives à l’avis et suivies par le Conseil d’État, selon lesquelles le fait d’exclure « la possibilité d’invoquer la déclaration d’inconstitutionnalité dans des affaires qui n’en sont pas encore au stade du pré-contentieux, mais pour lesquelles le contribuable n’est pas forclos, constitue une limitation du droit au recours garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789. Cette limitation doit être justifiée par un motif d’intérêt général, qui ne peut être présumé et n’existe d’ailleurs pas toujours. Il appartient au Conseil constitutionnel d’identifier, s’il y a lieu, un tel motif et d’en tirer les conséquences. »
Éclairés par ces lectures, et malgré certains débats qui subsistent encore en doctrine quant à l’interprétation que l’on peut donner à cette « formule » utilisée par le Conseil constitutionnel (pour les réclamations introduites postérieurement à sa décision), il semble donc raisonnable de penser que cette déclaration d’inconstitutionnalité relative au régime fiscal des prestations compensatoires mixtes inférieures à 12 mois peut être avancée à l’appui des nouvelles réclamations introduites après la présente décision, dans la mesure où elles sont déposées dans le délai de réclamation prévu à l’article R. 196-1 du LPF.
Au cas présent, sont donc visées les réclamations relatives à l’impôt sur les revenus de 2017, 2018 et 2019.