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Intérêts servis à un bénéficiaire soumis à un régime fiscal privilégié (CGI, art. 238 A) : Preuve de la normalité du taux

La CAA de Paris précise le régime de preuve applicable en cas de remise en cause par l’Administration du taux d’intérêt rémunérant un emprunt obligataire lorsque son bénéficiaire est soumis à un régime fiscal privilégié (par application des dispositions de l’article 238 A du CGI).

Rappel

Les dispositions de l’article 238 A du CGI viennent limiter la déductibilité de certains paiements effectués par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France en faveur de résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié.

Une personne est réputée soumise à un régime fiscal privilégié dans un Etat étranger lorsqu’elle n’y est pas imposable, ou lorsqu’elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices inférieurs de 40 % (ou 50 % antérieurement au 1er janvier 2020) à ceux dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France si elle y avait été établie.

C’est à l’Administration qu’il incombe de prouver que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié. Pour ce faire, il lui appartient d’apporter tout élément circonstancié, non seulement sur le taux d’imposition, mais encore sur l’ensemble des modalités selon lesquelles des activités du même type que celles qu’exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi (pour une illustration récente, voir CE 29 juin 2020, n°433937).

Si l’Administration parvient à apporter une telle preuve, alors la déduction de ces dépenses n’est admise qu’à la condition que le débiteur français puisse établir qu’elles correspondent à des opérations réelles, et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Précisons enfin que ces conditions de déduction sont encore durcies dans l’hypothèse où les sommes sont payées à des bénéficiaires établis dans des ETNC.

L’affaire

En 2013, une société française, ayant pour activité la gestion de participations, a émis un emprunt obligataire, souscrit par une société domiciliée aux Îles Vierges Britanniques.

Cet emprunt obligataire prévoyait un taux d’intérêt annuel fixe de 5 %, ensuite ramené à 3,5 %, intérêts payables sur un compte bancaire suisse.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2014 et 2015, l’Administration a remis en cause la déduction des intérêts versés par la société française sur le fondement de l’article 238 A du CGI.

La société ne conteste pas que la société prêteuse bénéficiait aux Îles Vierges Britanniques d’un régime fiscal privilégié. Elle considère, en revanche, que le taux d’intérêt de l’emprunt ne présentait pas un caractère anormal ou exagéré.

La décision de la CAA de Paris

Devant la Cour, la société française tentait de se prévaloir de l’avis rendu en sa faveur par la Commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, afin de renverser la charge de la preuve par application des dispositions de l’article L. 192 du LPF.

La Cour rappelle toutefois que la circonstance que la Commission ait rendu un avis favorable à la société, relativement à la déductibilité des intérêts consentis, est sans incidence sur le régime de charge de la preuve résultant des dispositions de l’article 238 A du CGI (dans le même sens, BOI-BIC-CHG-80-20, 2 septembre 2015, n°80 ; CAA Nantes, 30 mars 2005, n°01-1898).

C’est donc bien à la société requérante de démontrer que le taux d’intérêt rémunérant l’emprunt obligataire litigieux ne présentait pas un caractère anormal ou exagéré.

Afin d’établir que le taux de 3,5 % correspondait à un taux de marché, la société a produit un panel de 11 opérations d’émissions d’emprunts obligataires menées par des sociétés intervenant dans divers secteurs d’activités, de taille supérieure à la sienne et présentant, pour certaines d’entre elles, un risque inférieur au sien (période 2012-2014). Or, les taux accordés oscillaient entre 4,21 % et 6,5 %, soit une fourchette supérieure au taux appliqué.

La Cour accueille favorablement ces éléments et juge que le taux de 3,5 % correspondait bien au taux de marché.

A l’inverse, elle écarte les arguments soulevés par l’Administration (référence au taux de rémunération des comptes courants d’associés au sens de l’article 39,1,3° du CGI et au taux moyen des obligations – indicateur de rendement ne tenant pas compte du profil de risque).

On notera que dans ses conclusions (suivies) le rapporteur public indique que les éléments de preuve admis dans le cadre de la démonstration du « taux d’intérêt limite » (CGI, art. 39, 1, 3° et 212, I-a, voir notamment CE, 10 juillet 2019, avis n°429426 et 429428, SAS Wheelabrator ou CE, 22 décembre 2022, n°446669, SAS Willink), sont également applicables dans le cadre de « la mise en œuvre de l’article 238 A, puisque le même mécanisme de charge de la preuve s’applique ».

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