La Cour d’appel de Paris (CA Paris, 6 juin 2023, n°23/00062) a jugé, le 6 juin 2023, que la déclaration de confidentialité du compte de résultat doit être déposée au même moment que le dépôt dudit compte de résultat au greffe du tribunal de commerce. La position de la Cour d’appel de Paris n’est aucunement surprenante du fait de la clarté des dispositions en question.
Une société par actions simplifiée (SAS) saisi le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés par requête afin que ses comptes de résultats soient rendus confidentiels en invoquant l’article L. 123-16 du Code de commerce au titre de son statut de petite entreprise. Elle demande ainsi à bénéficier de la possibilité d’accompagner le dépôt de ses comptes de résultat d’une déclaration de confidentialité.
Le juge rejette cette demande. Sa position est notamment justifiée au motif que « la déclaration de confidentialité doit être effectuée concomitamment au dépôt des comptes », ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, la déclaration de confidentialité ayant été déposée postérieurement au dépôt desdits comptes de résultats
La SAS conteste cette ordonnance en appel.
Cadre légal de la confidentialité du compte de résultat pour les petites entreprises
Les sociétés par actions (dont font partie les SAS) ont l’obligation de déposer au greffe du tribunal de commerce les comptes annuels et divers documents, dans le mois suivant l’approbation des comptes annuels par l’assemblée générale ordinaire des associés ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique. Cette obligation s’applique aussi aux sociétés en nom collectif (article L. 232-21 du Code de commerce) et aux sociétés à responsabilité limitée (article L. 232-22 du Code de commerce).
Article L. 232-23 du Code de commerce L’obligation de déposer « 1° Les comptes annuels, le rapport de gestion, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels, le cas échéant, éventuellement complété de leurs observations sur les modifications apportées par l’assemblée aux comptes annuels qui ont été soumis à cette dernière ainsi que, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés et le rapport du conseil de surveillance ; 2° La proposition d’affectation du résultat soumise à l’assemblée et la résolution d’affectation votée. »
Les sociétés débitrices de l’obligation de dépôt des comptes annuels (sociétés par actions, sociétés en nom collectif, sociétés à responsabilité limitée), répondant à la définition des petites entreprises au sens de l’article L. 123-16, à l’exception des sociétés mentionnées à l’article L. 123-16-2, peuvent demander, « lors de ce même dépôt », que le compte de résultat demeure confidentiel (article L. 232-25 alinéa 2nd du Code de commerce).
La nécessaire concomitance entre le dépôt du compte de résultat et la déclaration de sa confidentialité
En l’espèce, la société soutenait que la loi, ne prévoyant aucune limite temporelle, laissait possible de rendre ses comptes sociaux confidentiels postérieurement à leur dépôt.
La Cour d’appel de Paris, non convaincue, a appliqué l’article L. 232-25 alinéa 2 du Code de commerce à la lettre, en jugeant que les termes « lors de ce même dépôt » impliquent que, pour bénéficier de la confidentialité du compte de résultat, la société doit effectuer la déclaration de confidentialité concomitamment au dépôt des comptes et qu’aucune régularisation n’est possible, tout en ajoutant qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne permet de différer dans le temps la déclaration de confidentialité.
C’est donc sans grande surprise que la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), le texte étant sans ambiguïté sur l’exigence de cette concomitance.
Une atteinte légitime et proportionnée à la liberté d’entreprise et au principe de libre concurrence
La société avançait par ailleurs que l’impossibilité de rendre confidentiel le compte de résultat postérieurement à son dépôt portait atteinte de manière injustifiée à la liberté d’entreprendre, en la privant d’un avantage concurrentiel légitime en violation de la réglementation de la concurrence.
La Cour d’appel répond qu’« il ne saurait être sérieusement soutenu que le fait de ne pas permettre de rendre confidentielle a posteriori une information rendue publique, à supposer cette confidentialité effective après une telle publicité, constitue une atteinte illégitime ou disproportionnée à la substance même de la liberté d’entreprendre ou au principe de libre concurrence, principes devant être conciliés avec l’objectif légitime de transparence de la vie des affaires ».
Pour les juges donc, la confidentialité est possible mais celle-ci obéit à une modalité bien précise : la concomitance. On ne saurait donc reprocher au législateur de consacrer ainsi une atteinte illégitime et disproportionnée à la liberté d’entreprendre ou au principe de libre concurrence.
Au demeurant, on relèvera qu’une telle critique, techniquement, ne peut pas être examinée par le juge judiciaire, mais uniquement par le Conseil constitutionnel au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Une potentielle application à d’autres documents de sociétés ?
Cette exigence de concomitance trouve-t-elle à s’appliquer aux autres hypothèses de confidentialité des documents de sociétés prévues par des textes distincts pour les micro-entreprises et les moyennes entreprises ?
Les sociétés débitrices de l’obligation de dépôt des comptes annuels (sociétés par actions, sociétés en nom collectif, sociétés à responsabilité limitée), qui répondent à la définition des micro-entreprises (article D. 123-200 du Code de commerce), à l’exception des sociétés mentionnées à l’article L. 123-16-2 et de celles dont l’activité consiste à gérer des titres de participations et de valeurs mobilières, peuvent déclarer, « lors du dépôt », que les comptes annuels (donc non seulement le compte de résultat mais aussi le bilan par exemple) déposés resteront confidentiels (article L. 232-25 alinéa 1 du Code de commerce).
Les sociétés répondant à la définition des moyennes entreprises (article D. 123-200 du Code de commerce), à l’exception des sociétés mentionnées à l’article L. 123-16-2, peuvent aussi demander, « lors de ce même dépôt », que ne soit rendue publique qu’une présentation simplifiée de leur bilan et annexe (article L. 232-25 alinéa 3 du Code de commerce).
Tout laisse à penser que la solution de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris s’appliquera aux micro et moyennes entreprises dans la mesure où la rédaction de l’alinéa 1er et 3e de l’article L. 232-25 du Code de commerce est sensiblement semblable à celle du 2nd alinéa du même article : l’alinéa 1er indique « lors du dépôt » et le second et troisième alinéa indiquent « Lors de ce même dépôt ».
Enfin, relevons que le raisonnement des juges porte sur l’article L. 232-25 du Code de commerce, texte applicable aux diverses sociétés commerciales (société anonyme, société à responsabilité limitée, SAS, société en nom collectif). Dès lors il ne fait aucun doute que la solution dégagée est transposable à l’ensemble des sociétés commerciales.
Les micro-entreprises, les petites entreprises et les moyennes entreprises devront donc être diligentes quand elles déposeront leur déclaration de confidentialité car aucune régularisation ne sera possible si cette déclaration n’est pas déposée concomitamment au dépôt du document en question (bilan, compte de résultat etc.). La solution a le mérite d’être explicite et simple, et même si l’exigence de concomitance est considérée comme une contrainte, celle-ci demeure très limitée.
En pratique d’ailleurs, comme cela a été relevé par la Cour d’appel, il est illusoire de réclamer la confidentialité de comptes qui ont déjà été rendus publics !