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La stratégie de réinvestissement économique au cœur du mécanisme d’apport-cession

Apport-cession de titres

Au cours du 2e semestre de l’année 2020, le Comité d’abus de droit fiscal a émis plusieurs avis favorables à l’administration fiscale (Comité de l’abus de droit fiscal, séance du 15 octobre 2020 (CADF/AC n°5 2020), séance du 24 septembre 2020 (CADF/AC n°4-2 2020), séance du 24 septembre 2020 (CADF/AC n°4-1 2020), dans des affaires concernant la question classique du report d’imposition en présence d’une soulte dans le cadre de plus-values d’apports régies par les dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI.

Si ces avis constituent une parfaite occasion de revenir sur le contexte particulier qui a entouré les schémas d’apport-cession ces 10 dernières années, ils permettent également de se sensibiliser aux nouveaux enjeux entourant ce type de structuration et notamment à la question clé du réinvestissement comme condition sine qua non au maintien du report d’imposition.

Un lourd contentieux inhérent au régime du report d’imposition en présence d’opérations d’apport-cession

Pour rappel des faits, les situations présentaient des particuliers qui avaient réalisé – de façon analogue – un apport de droits sociaux à des sociétés qu’ils possédaient relevant de l’impôt sur les sociétés, en percevant dans ce cadre une soulte. Les soultes avaient été inscrites en compte courant d’associé des sociétés bénéficiaires.

Toutefois, l’administration fiscale, dans le cadre de la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, a considéré que l’inscription en compte courant desdites soultes était dépourvue de justification économique et avait pour seul objectif, l’appréhension des liquidités disponibles en franchise d’impôt. L’administration fiscale a de ce fait écarté la qualification de soulte et a remis en cause l’application, aux sommes versées sous ce libellé, du régime du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI.

L’Administration a, de plus, assorti les droits dus de la majoration pour abus de droit de 80 % en établissant que le contribuable concerné avait eu l’initiative principale des actes constitutifs de l’abus de droit et était le bénéficiaire principal de cette opération d’apport-cession dépourvue d’intérêt économique.

Il est à noter que ces avis concernent des opérations d’apport intervenues entre le 14 novembre 2012 et le 31 décembre 2016. Le régime en vigueur à ces dates permettait le report d’imposition de la totalité de la plus-value d’apport dès lors que le montant de la soulte appréhendée par le contribuable n’excédait pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

Le nombre de contentieux suscités par la rédaction antérieure de l’article 150-0 B ter du CGI et notamment au regard de la possibilité de bénéficier de l’exonération d’impôt sur la soulte au moment de l’apport a amené le législateur à modifier le régime à compter du 1er janvier 2017, mettant fin, de ce fait, à de nombreux contentieux.

La condition de réinvestissement au cœur des prochains contentieux avec l’administration fiscale

Ces avis n’apportent, dès lors, que peu de nouveautés ou d’indications quant aux opérations d’apport intervenues à compter du 1er janvier 2017. Cependant, ils présentent un certain nombre d’enseignements notamment en démontrant une nouvelle fois que ce type de dispositif continue à être scruté avec une grande attention par les autorités fiscales et si le lourd contentieux qui existait jusqu’alors sur l’imposition de la soulte deviendra de plus en plus marginal (puisqu’il ne s’appliquera qu’aux seules opérations d’apport-cession réalisées jusqu’au 1er janvier 2017),  il est fort probable qu’il soit remplacé par un contentieux inhérent à la notion de réinvestissement.

Dans la version actuelle de l’article 150-0 B ter du CGI, la plus-value d’apport est en effet, à concurrence du montant de la soulte reçue, immédiatement imposée ; le report d’imposition ne s’appliquant qu’au montant de la plus-value brute qui excède celui de la soulte reçue (sous réserve que le montant de la soulte reçue par l’apporteur soit inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres ;  dans le cas contraire, le report d’imposition ne peut s’appliquer ni à la soulte, ni à la plus-value d’apport). Ainsi, la plus‑value réalisée lors de l’apport de titres par un contribuable à une société qu’il contrôle bénéficie alors du report d’imposition et ce jusqu’à la survenance de certains évènements, tels que la cession, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres apportés ou des titres reçus en rémunération de l’apport.

Au regard de la soulte, celle-ci doit représenter un montant inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l’échange. Celle-ci reste imposable au moment de l’apport mais le respect du seuil de 10 % est une des conditions de l’éligibilité au mécanisme du report d’imposition de la plus‑value d’apport.

En cas de cession, rachat ou remboursement, annulation des titres apportés/ titres reçus en rémunération de l’apport, le bénéfice du report d’imposition peut demeurer sous réserve, pour la société bénéficiaire de l’apport, de réinvestir au minimum 60 % du montant de la plus-value de cession dans des activités « éligibles ». Mais encore faut-il s’entendre sur cette notion d’activités éligibles.

Avec la mise en place du nouveau régime de report d’imposition à compter de janvier 2017, il y a fort à parier que cette notion de réinvestissement donnera lieu à un abondant contentieux. En effet, l’administration fiscale entend garantir et appliquer l’intention du législateur, selon laquelle le réinvestissement doit s’inscrire dans une véritable stratégie patrimoniale à long terme. Le contribuable ne peut donc se borner, seulement, à obtenir le maintien du report d’imposition sans réflexion plus approfondie.

Ecueils à éviter pour bénéficier du maintien du report d’imposition

Parmi les écueils à éviter, il faudra donc notamment s’attacher à définir une véritable politique de réinvestissement éligible au dispositif, en s’assurant notamment de réinvestir le produit de cession dans une activité « éligible ». Toute la difficulté tenant au fait que l’article 150-0 B ter du CGI ne précise pas en pratique ce que recouvre cette notion de réinvestissement « éligible » mais se borne à identifier de façon exhaustive les 4 formes de réinvestissement possibles.

En août dernier, l’administration fiscale a néanmoins mis à jour sa doctrine (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20) apportant des précisions bienvenues sur la notion de réinvestissement, particulièrement dans le domaine immobilier et plus précisément concernant la notion d’activité de gestion immobilière.

Sur cette notion, le BOFIP confirme que sont notamment éligibles au remploi, les activités de marchand de biens et les activités de promotion immobilière. Sont en revanche exclues les activités de location d’immeubles meublés ou équipés.

Cette mise à jour fait suite à 2 décisions (CAA Marseille, 19 décembre 2019, n°18MA00235 et CAA Marseille, 19 décembre 2019, n°18MA00373) rendues sous l’empire de la législation ancienne (i.e. avant 2012) qui rejettent, sur le fondement de l’abus de droit, le bénéfice du sursis d’imposition au profit d’un frère et d’une sœur ayant réalisé simultanément des opérations d’apport-cession : pour lui, en l’absence de preuve d’un réinvestissement du produit de la cession dans une activité économique et, pour elle, en raison d’un réinvestissement dans une activité considérée comme patrimoniale par nature à savoir l’acquisition de chambres destinées à la location meublée. Ces décisions, bien que rendues sous l’égide du régime antérieur, demeurent pertinentes puisque l’exigence de réinvestissement existait déjà à cette date et était relativement proche du régime actuel, tel qu’édicté par l’article 150-0 B ter du CGI.

Concernant plus précisément les activités de location d’immeubles meublés, la Cour a constaté dans cet arrêt que ce type d’activité consistait en une simple mise à disposition de locaux au profit de la société d’exploitation qui les donnait en sous-location aux résidents et effectuait tous les actes de gestion nécessaires. Elle a dès lors considéré, que la société holding ne pouvait être regardée comme ayant procédé à un investissement dans une activité économique.

Autre nouvelle modification à mentionner : l’article 106 de la loi de finances pour 2020 (Loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019) prévoit un assouplissement des modalités de réinvestissement du produit de cession des titres apportés en cas de remploi indirect.

Ainsi, d’une part le législateur est venu préciser la notion de « souscription » de parts ou d’actions d’un véhicule de capital investissement, en indiquant que la souscription s’entend de la signature – par la société cédante – d’un ou de plusieurs engagements de souscription de parts ou actions auprès de structures éligibles ; engagement qui doit en outre mentionner un montant minimum que la société s’engage à verser. Cet engagement doit en outre intervenir dans les 2 ans de la cession des titres apportés.

D’autre part, la loi de finances pour 2020 est également venue assouplir les conditions de composition de l’actif des structures de capital investissement en supprimant le quota d’investissement de 50 % en titres de sociétés non cotées (sauf pour la SLP) et a également étendue les actifs éligibles au quota de 75 % en titres de sociétés opérationnelles que la structure de capital investissement doit respecter sous un certain délai.

Autre actualité plus récente à noter et qui va inéluctablement entrer en ligne de compte lors de l’élaboration de la stratégie de réinvestissement : le Brexit. Depuis le 1er janvier 2021, le réinvestissement ne peut plus s’opérer dans une société britannique opérationnelle, puisqu’aujourd’hui le Royaume-Uni ne fait plus parti de l’Espace Economique Européen. Il est à noter que les réinvestissements effectués antérieurement au Brexit demeurent néanmoins éligibles au régime de report d’imposition.

Les éclaircissements apportés par la jurisprudence sur les conditions du réinvestissement

Si les arrêts rendus par le Conseil d’État sont encore peu nombreux pour nous permettre d’esquisser des critères clairs pour définir sa politique de réinvestissement, ils constituent néanmoins toujours une source d’enseignement salutaire, notamment en présence d’un dispositif dont les contours peuvent paraitre encore un peu flou. Mentionnons plus précisément ici 2 arrêts du Conseil d’État qui ont été rendus à l’occasion d’opérations mettant en œuvre un sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du CGI – c’est-à-dire en présence d’un apporteur qui ne contrôle pas la société bénéficiaire de l’apport.

Dans sa décision de juillet 2019, le Conseil d’État (CE, 10 juillet 2019, n°411474) écarte ainsi le bénéfice du report d’imposition lors de l’acquisition de biens appartenant à l’apporteur.

Plusieurs années auparavant, le Conseil d’État (CE, 24 août 2011, n°316928 Ciavatta) avait pu considérer que des avances en compte courant employées par la filiale au financement de travaux ou d’acquisition d’éléments d’actifs pouvaient être regardées comme des investissements dans une activité économique. Cette jurisprudence confirme une volonté des juges, comme l’indique les conclusions du rapporteur public, Julien Boucher, de considérer que « La notion d’investissement dans une activité économique s’oppose donc clairement, dans ce contexte, au placement à caractère patrimonial. »

Conformément à ce qui précède, la notion de réinvestissement semble aujourd’hui plus encadrée avec la modification du texte de loi listant les investissements éligibles et les précisions apportées au BOFIP concernant la notion d’activité de gestion immobilière. Un point d’attention est cependant nécessaire pour toute structuration à caractère patrimoniale.

À cet égard, le rapporteur public Émilie Bokdam-Tognetti (CE, 10 juillet 2019, n°411474) nous donne dans ses conclusions une définition du caractère patrimonial dans le cadre d’un réinvestissement : « L’investissement patrimonial apparaît comme une autre façon pour le contribuable qui contrôle la société de disposer du produit de la cession pour s’enrichir indirectement, non seulement sans servir le développement économique (en contrariété avec l’objectif du législateur), mais aussi sans que l’on identifie, compte tenu de cette utilisation du produit de la cession, le motif, autre que fiscal, pour lequel ces titres ont été apportés à la société. Mais il ne s’agit que d’une présomption simple. »

On notera que les juges ont néanmoins par le passé déjà écarté la constitution de l’abus de droit dans le cadre d’une vente à soi-même. Ces derniers avaient alors considéré que l’opération présentait une certaine rationalité économique (CE, 27 janvier 2011, n°320313). 

Un projet de réinvestissement inscrit dans la durée

Enfin, l’administration fiscale dans sa doctrine insiste sur la notion d’investissement à long terme. Cette condition est satisfaite lorsque les biens ou les titres, objet du réinvestissement, sont conservés pendant au moins 12 mois. Cette période est étendue à 5 ans dans le cadre d’un réinvestissement dans la souscription de parts ou actions de certains fonds ou de certaines sociétés de capital investissement.

Par l’instauration de délais minimums au réinvestissement, le législateur entend tout d’abord privilégier un investissement direct à un investissement intermédié à travers un fonds et entend consacrer le fait que le réinvestissement – en tant que seule stratégie patrimoniale en dehors de toute considération économique ou financière – ne sera pas suffisant et ne résistera pas en cas de contrôle.

C’est d’ailleurs cette notion d’investissement à long terme qui avait empêché le Comité d’abus de droit de considérer dans ses avis de septembre et octobre 2020 (mentionnés supra.) que les apports en compte courant étaient éligibles au réinvestissement dès lors qu’ils avaient été remboursés dans un délai d’un an suivant leur inscription en compte.

Conclusion et prospectives

En conclusion, dès lors qu’on entend se placer sous le dispositif de report d’imposition prévue à l’article 150-0 B ter du CGI, il convient d’anticiper le réinvestissement (notamment) en cas de cession des titres et définir, en amont, une véritable politique de réinvestissement durable sur le long terme et qui prêtera moins le flanc à une procédure de répression des abus de droit.

Il conviendrait de revoir les politiques de réinvestissement déjà mises en œuvre à la lumière des nouveaux éléments apportés par la jurisprudence afin d’éviter toute remise en cause par l’administration fiscale pouvant entraîner la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit fiscal (avec risque de pénalités significatives).

Partageons enfin une conviction tant dans les problématiques de réinvestissement que dans l’utilisation des plans d’épargne en actions : l’investissement des entrepreneurs mérite mieux que la suspicion autoentretenue de l’abus de droit systématique ; souhaitons que la jurisprudence fiscale permette de conforter les entrepreneurs dans leur rôle pivot d’accélérateur de l’économie réelle.

 

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