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Les associés peuvent déroger aux dispositions statutaires d’une SAS

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt inédit du 16 novembre 2023 (Cour d’appel de Paris n° 22/10344, 16 novembre 2023), a préféré privilégier les modalités de révocation d’un dirigeant adoptées par une décision unanime des associés, au détriment des dispositions statutaires qui prévoyaient des modalités de révocation différentes, alors que la Cour de cassation avait, un an plus tôt, considéré que les actes extra-statutaires pouvaient compléter les statuts d’une SAS, sans pouvoir y déroger.

L’affaire

Les statuts d’une SAS prévoyaient que son directeur général pouvait être révoqué à tout moment, sans juste motif et sans indemnités, par décision du président de la société.

En dépit de ces dispositions statutaires, les associés, par décision collective unanime, ont nommé un directeur général et approuvé une convention comportant des conditions particulières d’exercice de son mandat, aux termes desquelles le directeur général pouvait être révoqué à tout moment, non pas par décision du président, mais par décision de la collectivité des associés, et uniquement dans trois hypothèses  : en cas de faute lourde ou grave ; en cas de non-atteinte des performances commerciales ou financières ; et en cas de mésentente ou de désaccord avec le président. Enfin, la révocation du directeur général ne donnait pas non plus droit au versement d’indemnités.

Quelques temps après cette nomination, le président de la société décidait de révoquer le directeur général, suivant la procédure de révocation statutaire au lieu de la procédure prévue au sein de la convention adoptée par décision collective des associés.

Ces circonstances posaient ainsi la question de savoir s’il fallait faire application des dispositions des statuts de la société ou faire prévaloir celles, différentes, de la convention adoptée par les associés.

La question était donc de savoir si les associés pouvaient déroger à leurs propres statuts, sans modification de ces derniers.

L’enjeu, pour le directeur général ainsi révoqué, n’était autre que la validité de sa révocation puisque celle-ci avait été décidée par le seul président , et non par les associés en dehors des trois hypothèses limitativement prévues par la convention conclue lors de sa nomination.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris

La Cour d’appel a considéré que les conditions de révocation s’agissant de l’organe décisionnaire n’avaient pas été respectées et que la révocation ne s’inscrivait dans aucune des trois hypothèses prévues. La révocation s’avérait donc infondée, justifiant la condamnation de la société à verser des dommages et intérêts au directeur général révoqué.

La Cour d’appel justifie sa décision comme ceci : « Cette décision (de nomination du directeur général et d’approbation de ladite convention) prise à l’unanimité des associés lors d’une assemblée générale démontre la volonté expresse des associés de déroger aux statuts par une décision collective prise aux conditions requises pour modifier les statuts. Sans que soit méconnu le principe de primauté des statuts sur un acte extra-statutaire en ce qu’ils établissent les règles de fonctionnement de la SAS, cette décision s’impose à la société quand bien même les statuts n’auraient pas fait l’objet d’une modification. »

La portée de l’arrêt de la cour d’appel de Paris

Tout en indiquant que les statuts primaient les actes extra-statutaires la Cour d’appel admet l’adoption, par une décision collective, de stipulations conventionnelles différentes des statuts, sans avoir à effectuer une modification statutaire préalable, sous réserve de respecter certaines conditions.

En effet, la solution suppose trois conditions :

  1. La décision est ponctuelle: la décision prise est personnelle et spécifique à une situation donnée. Dans cette affaire, les modalités de révocation n’auraient pas pu s’appliquer à tous les dirigeants de la société, sauf à adopter à nouveau une convention ad hoc.
  2. La décision n’est pas contraire à une disposition statutaire impérative.
  3. L’acte extra-statutaire est pris dans les mêmes conditions que celles qui permettent de modifier les statuts, étant précisé que, par prudence, nous comprenons qu’il soit préférable, dans ce cas, de prévoir une décision unanime des associés.

Cette décision d’appel se démarque frontalement de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 12 octobre 2022 (Cour de cassation n° 21-15.382, chambre commerciale, 12 octobre 2022), décidant, dans une affaire dont les faits étaient similaires, que les décisions collectives des associés ne peuvent que compléter les statuts d’une SAS, sans y déroger (c’est-à-dire sans adopter des dispositions contraires à celles des statuts). La Cour de cassation avait notamment justifié sa décision en relevant que de la combinaison des articles L 227-1 et L 227-5 du code de commerce, la loi pose en règle que ce sont les statuts de la société par actions simplifiée (SAS) qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment en ce qui concerne les modalités de révocation de son directeur général.

Sur le même sujet, la Cour de cassation a retenu une solution différente concernant d’autres formes sociales (sociétés à responsabilité limitée – Cour de cassation n° 01-03.496, chambre commerciale, 5 octobre 2004 ; et Cour de cassation n° 14-13.744, chambre commerciale, 12 mai 2015 – et sociétés en nom collectif – Cour de cassation n° 22-10.646, chambre commerciale, 11 octobre 2023) puisqu’elle avait alors admis la validité d’une décision prise à l’unanimité des associés qui dérogeait aux statuts.

Le raisonnement de la Cour de cassation peut sans doute s’expliquer par la nature de la SAS. Il s’agit, en effet, d’une société jouissant d’une forte liberté conventionnelle, comparativement aux autres formes sociales pour lesquelles le code de commerce régit plus en détail le fonctionnement.

Ainsi, si les statuts fixent les conditions de gouvernement de la société, c’est en raison de l’accord des associés (les statuts sont un contrat aux termes duquel les associés consentent). Alors, logiquement, si les associés décident, de manière ponctuelle, de déroger aux statuts, c’est toujours en application de leur consentement.

Certes, la société est également une institution, créée par un contrat, qui agit avec des tiers ; ses associés ont donc l’obligation, au nom de la sécurité juridique, de ne pas modifier son fonctionnement de manière « occulte ». Mais il est alors loisible aux associés de procéder à une modification statutaire.

Lorsque, en revanche, l’affaire ne concerne aucunement la situation des tiers, rien ne s’oppose à ce que les associés décident de déroger à leur convention initiale (ce que le consentement peut faire, il peut le défaire).

La Cour d’appel de Paris suit ce raisonnement dans l’affaire ici commentée. On ne peut, dès lors, que l’approuver qu’elle exige que cette dérogation soit adoptée aux mêmes conditions que celles requises pour modifier les statuts.

Si l’arrêt d’appel devait être frappé d’un pourvoi en cassation, on ne peut qu’espérer que la Cour régulatrice rejettera la critique (sur ce point) qui serait dirigé contre la décision de la Cour d’appel de Paris. Sa solution est, en effet, la plus fidèle à la nature libérale et conventionnelle de la SAS et elle mettrait fin à l’incohérence d’une plus grande permissivité reconnue pour des formes sociales pourtant plus contraignantes. Enfin, la solution circonscrite aux relations entre associés par les conditions posées à la validité de cette décision dérogeant aux statuts n’affecte pas les droits des tiers, et ne portent nullement atteinte à la volonté des associées… consentant à cette dérogation temporaire.