Recruter un salarié en France n’a jamais été une tâche facile pour une entreprise étrangère. Les exigences administratives, la gestion de la paie, les contraintes fiscales et, de manière générale, les obligations légales rendent cette démarche ardue pour des sociétés étrangères.
Face à cette complexité administrative et juridique, une « solution novatrice » a pu émerger ces dernières années : des sociétés dites Employers of Record (EOR) se sont présentées comme pouvant offrir aux sociétés étrangères un moyen plus simple de recruter des salariés en France, sans avoir à créer de société, de succursale ou d’établissement local, sans avoir à s’occuper de formalités d’embauche. Or, s’il est tout à fait possible de recruter un salarié en France sans présence de l’entreprise étrangère sur le territoire français, cela requiert néanmoins de s’immatriculer auprès des autorités de sécurité sociale françaises en qualité d’employeur étranger.
Employers of Record : une apparence de simplicité
La notion d’EOR fait référence à un service fourni par des sociétés tierces qui assument les responsabilités légales d’embauche de personnel pour le compte d’une autre société. Cela comprend la gestion de la paie, des impôts et des avantages sociaux des salariés.
En pratique, il s’avère que les EOR utilisent principalement le cadre juridique du portage salarial, dispositif permettant à une société étrangère de faire travailler un salarié « porté » en France, ce dernier étant officiellement employé par une entreprise de portage salarial française pour travailler pour le compte d’une société étrangère.
Compte tenu de l’objectif poursuivi par le mécanisme de portage salarial, il est permis de s’interroger sur la licéité du recours à ce dispositif par des sociétés étrangères désireuses d’éviter les formalités liées à l’embauche de salariés en France.
Le portage salarial : un mécanisme strictement encadré mis à mal par les Employers of Record
Le portage salarial est un mécanisme qui repose sur une relation triangulaire composée d’un contrat commercial entre l’entreprise de portage salarial et l’entreprise cliente (permettant une prestation de portage), d’une part, et un contrat de travail entre l’entreprise de portage et le salarié porté qui travaille pour l’entreprise cliente, d’autre part.
Il s’agit d’un mécanisme strictement encadré par le droit français, qui exige, notamment, la qualité d’entreprise de portage salarial pour être employeur d’un salarié porté. Si les prestataires peuvent respecter cette obligation, la conformité aux exigences légales encadrant les missions et la qualification des salariés portés peut poser de plus grandes difficultés.
En effet, le salarié porté doit être autonome dans la recherche de ses clients, la négociation de ses missions et de ses tarifs. Par ailleurs, le portage salarial est limité à une durée de 36 mois par mission et il est réservé aux tâches occasionnelles ne relevant pas de l’activité normale et permanente de l’entreprise cliente ou pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas.
Cependant, lorsqu’une entreprise étrangère utilise le cadre du portage salarial afin de faire recruter un salarié par un EOR, de nombreuses règles du droit du travail sont mises à mal.
D’abord, il sera difficile de justifier le fait que le salarié ait choisi de manière autonome l’entreprise étrangère comme « cliente » ou, encore, que la mission exercée par ce dernier ne relève pas de l’activité normale et permanente de l’entreprise et/ou relève d’une expertise dont elle ne dispose pas.
Dans le cas d’une entreprise étrangère ayant recours à un EOR pour un salarié français, c’est le plus souvent l’entreprise étrangère qui détermine en amont les missions et choisit le salarié, ce qui contredit l’exigence fondamentale selon laquelle le salarié porté doit agir de manière indépendante. Par ailleurs, dans une telle situation, la mission confiée relève en pratique de l’activité normale et permanente de l’entreprise, voire de son activité principale. Enfin, la limite à 36 mois par mission pose une difficulté supplémentaire puisqu’ a priori l’entreprise cliente ne saura ni que la durée du contrat ne peut excéder 36 mois, ni que seule l’embauche du salarié concerné par l’entreprise étrangère puisse régulariser la situation pour le futur.
Ainsi, si le portage salarial offre une solution encadrée et flexible, son utilisation croissante par les sociétés proposant des services d’EOR soulève de nombreux enjeux de conformité qui fragilisent ce mécanisme au détriment des entreprises étrangères qui y ont recours et des salariés concernés.
Le recours au portage salarial via un Employer of Record : un risque aux lourdes conséquences pénales
Lorsque les conditions strictes du portage salarial ne sont pas respectées, notamment lorsqu’une entreprise étrangère tente de contourner les règles du droit du travail, cela peut entraîner de graves conséquences. Un tel détournement des règles peut être qualifié de prêt de main-d’œuvre illicite à but lucratif, voire de délit de marchandage, deux délits prévus et sanctionnés par le code du travail.
Le prêt de main-d’œuvre illicite se caractérise par la mise à disposition d’un salarié au profit d’une entreprise utilisatrice, dans un but lucratif, sans que cette mise à disposition entre dans le cadre d’une activité autorisée (comme l’intérim, la sous-traitance ou le portage salarial). En l’espèce, l’objet de l’opération consiste exclusivement à fournir de la main d’œuvre.
Le délit de marchandage, quant à lui, désigne toute opération à but lucratif ayant pour effet de causer un préjudice au salarié ou de contourner les dispositions légales en matière de droit du travail, par exemple, en sous-évaluant ses droits ou en l’exploitant dans un cadre illégal. Cela pourrait être le cas si le salarié porté était en réalité salarié de l’entité étrangère et soumis à une convention collective différente de celle applicable aux entreprises de portage.
Les entreprises et leurs dirigeants reconnus coupables s’exposent alors à des amendes pouvant atteindre 30 000 € pour les personnes physiques et 150 000 € pour les personnes morales), ainsi qu’à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans. De surcroît, les conséquences en termes de responsabilité civile et d’image peuvent être également considérables.
L’avis de nos experts
En conclusion, le recours à un Employer of Record par une entreprise étrangère souhaitant éviter d’embaucher un salarié en France peut souvent constituer un contournement illégal du droit du travail français, exposant l’entreprise à des risques financiers et pénaux (prêt de main d’œuvre illicite, marchandage). Toutefois, il est utile de préciser que les conditions de recours au portage salarial peuvent tout à fait être remplies, notamment si le salarié français, en tant que salarié porté, est à l’origine de la mission avec un client étranger pour une activité temporaire qui ne relèverait pas de l’activité normale et permanente de l’entreprise. Ce sera donc une appréciation au cas par cas qui permettra de déterminer les risques à recourir au portage salarial par une entreprise étrangère.
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