Les vues exprimées sont de la seule responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue de la Commission européenne.
La question de la lutte contre la fraude n’est pas une question théorique : chaque euro soustrait à l’impôt se traduit par une pression fiscale accrue sur les autres contribuables. En outre, la fraude fiscale constitue une distorsion de concurrence au détriment des contribuables honnêtes et désorganise l’économie.
Par ailleurs, la préservation de l’Etat-providence ne peut être assurée que si chacun y apporte sa contribution ; une contribution qui doit être répartie équitablement. La situation budgétaire actuelle des Etats pose avec une plus grande acuité la nécessité de lutter plus efficacement contre la fraude.
Une lutte plus efficace contre la fraude soulève néanmoins certaines questions fondamentales, notamment en ce qui concerne les principes de base de l’Etat de droit. En d’autres termes, aussi noble soit-elle, la cause de la lutte contre la fraude justifie-t-elle que l’Etat mette en œuvre tous les moyens, au risque éventuellement de mettre en péril les droits fondamentaux des contribuables.
En France, la question a été largement débattue, le Parlement a adopté un dispositif dans le cadre du collectif budgétaire 2009 qui ouvre la possibilité de confier des pouvoirs judiciaires à des agents du fisc, mais seulement dans des hypothèses strictement encadrées.
Cette possibilité permet d’assouplir les procédures d’enquête, notamment pour tous les dossiers ayant trait à l’utilisation directe des comptes souscrits dans des paradis fiscaux, à l’usage de fausse identité et de faux documents. Les procédures judiciaires pourront ainsi être lancées sur la base d’une simple présomption, et non d’un dossier instruit. Les agents du fisc qui auront un pouvoir judiciaire seront hébergés au ministère de l’Intérieur, sous l’autorité d’un magistrat. Bien entendu ils ne pourront plus exercer aucun contrôle fiscal (administratif).
Il convient de rappeler que les pouvoirs de police confèrent des moyens d’enquête et des outils d’investigation (audition, perquisition, écoutes téléphoniques, entraide internationale…) dont ne disposent pas les agents du fisc dans le cadre de leur activité de contrôle fiscal.
Cette organisation permet, tout au moins formellement, de respecter le principe de séparation des pouvoirs qui distingue le rôle de l’administration fiscale d’une part, et de la justice, d’autre part. Apparemment il ne s’agirait que d’un début, l’objectif à terme étant la création d’une véritable ‘police fiscale ».
Le ministre du Budget, Eric Woerth n’a-t-il pas déclaré que « contre la grande fraude, il faut mettre des grands moyens ».
Cette question ne constitue pas une nouveauté dans l’Union européenne, d’autres Etats, notamment la Belgique, ont mis en œuvre depuis des années une telle organisation. En effet, la loi belge prévoit la désignation, pour assister les parquets (ministère public) de spécialistes fiscaux, la fonction n’étant accessible qu’aux seuls fonctionnaires du fisc détachés. Ceux-ci se voient ainsi attribuer la qualité d’officier de police judiciaire. En Belgique, certains juristes estiment qu’une telle organisation introduit une situation de confusion de pouvoir entre l’exécutif et le judiciaire, mettant particulièrement en péril les droits de contribuables.
En Italie, la Guardia di Finanza est l’organe principal de lutte contre la fraude fiscale. Elle agit sous l’autorité du ministre de l’Economie et des Finances alors qu’elle a aussi des pouvoirs de police judiciaire. Ses pouvoirs vont de la lutte contre la fraude à la défense des intérêts économiques du pays, en passant par le contrôle des mers, la sécurité sanitaire, le respect des règles de concurrence, la lutte contre le blanchiment d’argent ou le maintien de l’ordre public. Autant de domaines dans lesquels interviennent, en France, de multiples acteurs comme l’intelligence économique, les Douanes, la DGCCRF, le service de traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins de la police.
Son pouvoir de contrôle fiscal s’applique à tous les impôts, qu’ils soient de l’Etat, des régions, des collectivités locales ou de l’Union européenne. En outre, la Guardia di Finanza participe activement à la coopération internationale, en ayant des représentants dans les principales ambassades ainsi que dans les services de la Commission européenne.
Dans le cadre de son pouvoir de contrôle fiscal « classique » (administratif), la Guadia di Finanza peut également procéder, si nécessaire, à des perquisitions personnelles et autres, mais pour ce faire elle doit obtenir une autorisation préalable de l’autorité judiciaire, ce qui ne semble pas constituer un réel obstacle.
La question qui se pose est de savoir si ses pouvoirs apparemment très étendus, notamment en ayant simultanément les pouvoirs de police fiscale et judiciaire, ne met pas en échec le principe de séparation des pouvoirs. La loi prévoit explicitement que si lors d’un contrôle fiscal (administratif) des éléments de preuves relatifs à des délits pénaux sont constatés, ceux-ci pour être valablement utilisés au plan pénal devront respecter les règles de la procédure pénale.
A contrario, si lors d’une activité de police judiciaire (par l’exemple lors d’une perquisition), la Guardia di Finanza recueille des informations susceptibles de constituer des infractions fiscales (fausse facture), ces informations pourront être utilisées dans la procédure administrative après accord de l’autorité judiciaire.
L’attribution des pouvoirs de contrôle fiscal et de police judiciaire à la même organisation semble constituer un atout d’efficacité :
- la « forma mentis » (police et fisc) des représentants de la Guardia semble constituer un avantage, ceux-ci pouvant juger plus efficacement de la pertinence des informations recueillies ;
- le fait d’avoir des patrouilles sur le terrain constitue un élément indéniable de visibilité (un simple contrôle sur route peut permettre d’acquérir des informations importantes sur le plan fiscal) ;
- si lors d’un contrôle fiscal, des indices de délit pénal sont relevés, même si l’enquête sera, par la suite, conduite sous l’autorité d’un juge, l’activité d’enquête sera poursuivie par la même personne ;
- un corps de police judiciaire a souvent accès à des informations et banques de données plus larges que celles normalement utilisées uniquement à de fins purement fiscales.
Il est vrai que formellement la loi italienne distingue clairement les pouvoirs de la Guardia di Finanza agissant comme police judiciaire ou en tant que contrôleur fiscal. Elle doit respecter les procédures y afférentes. Mais on peut néanmoins s’interroger sur le point de savoir s’il ne s’agit pas là d’une séparation purement formelle, car en réalité c’est le même agent qui fera le travail en changeant si nécessaire de casquette, avec la bénédiction quasi-automatique du magistrat.
Cette confusion entre le pénal et le fiscal pose question quant à la protection du contribuable. La solution adoptée par la France et la Belgique semble apparemment répondre à cette préoccupation, les agents du fisc ayant reçus des pouvoirs de police judiciaire dépendent du ministère de l’Intérieur et ne peuvent pas participer à des contrôles de nature purement fiscale.
Il est évident, encore faut-il le répéter, qu’il convient de respecter les équilibres prévus pour chaque procédure et éviter toute confusion entre les procédures administratives et pénales. Toute fraude qui constitue une infraction fiscale devrait être traitée par l’administration fiscale. A l’inverse, une fraude qui constitue un délit pénal devrait être traitée intégralement en suivant la procédure pénale. Encore faut-il définir des critères précis pour distinguer le délit pénal fiscal de la fraude fiscale « ordinaire ».
Les différentes situations évoquées montrent à l’évidence que les règles sont différentes d’un Etat à l’autre. Par ailleurs, on constate une dérive de plus en plus marquée de la part des Etats, l’objectif de lutter contre la fraude fiscale justifiant de plus en plus la mise en œuvre de « tous » les moyens. Il suffit de suivre le débat qui a lieu en Allemagne sur la question de la validité des informations recueillies par des moyens douteux. Dans l’ordre juridique de certains Etats européens, des informations volées ne peuvent pas constituer des preuves recevables en droit, cette situation s’apparentant à une forme de recel. En Belgique, la Cour d’appel d’Anvers, dans l’affaire KBC Luxembourg, a refusé de tenir compte d’informations qui avaient été acquises par l’administration fiscale après avoir été frauduleusement soustraites par d’anciens employés de la banque.
Il apparaît évident que les contribuables européens ne sont pas traités de la même façon pour des situations identiques. Les contribuables européens ne sont pas égaux devant le contrôle fiscal.
Il serait souhaitable que ces questions soient examinées au niveau européen en vue de rechercher des rapprochements entre les Etats membres de l’Union. A cet égard, l’idée d’une charte européenne du contribuable pourrait constituer une voie à explorer.