« Guerre des prix », « Bras de fer », « David contre Goliath » : les coulisses des négociations commerciales annuelles entre producteurs et grandes enseignes de la distribution alimentaire (qui doivent être formalisées avant le 1er mars de chaque année) font régulièrement la une de la presse économique française. Une nouvelle proposition de loi, présentée en janvier, vise à renforcer l’encadrement des négociations afin de
« rééquilibrer les rapports de force ».
Des ambitions (renouvelées)
Alors que l’adoption des lois « Egalim I » et « Egalim II », au cours de ces dernières années, a permis d’accroître l’encadrement des négociations commerciales annuelles (mécanismes de formation des prix, transparence accrue des termes de la négociation, etc.), il est allégué qu’un déséquilibre structurel important persiste entre les acheteurs de la grande distribution d’une part (qui bénéficieraient d’une « position de force » lors des négociations) et les fabricants et fournisseurs d’autre part.
Les principaux objectifs de la proposition de loi n°870, visant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sont ainsi de :
- perfectionner le dispositif d’encadrement des négociations annuelles afin de corriger ce déséquilibre, dans un contexte d’inflation et de hausse généralisée des cours de certaines matières premières ;
- lutter contre une pratique dite « d’évasion juridique » qui consiste à « délocaliser la négociation commerciale afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français » (texte de la proposition de loi). Pour certains commentateurs, cette pratique serait utilisée par des enseignes de la grande distribution de produits de « grande consommation », qui achèteraient ainsi les produits destinés aux consommateurs français depuis d’autres pays européens en vue de contourner le dispositif déjà existant.
L’introduction de nouvelles mesures porteuses de possibles « conséquences explosives » sur l’inflation pour certains acteurs de la distribution
Le texte prévoit tout d’abord de prolonger les dispositions de la loi « Egalim I » concernant l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte (en première lecture de la proposition de loi, le Sénat a prolongé l’expérimentation des mesures de majoration du seuil de revente à perte jusqu’au 15 avril 2025 et celle des mesures d’encadrement des promotions jusqu’au 15 avril 2026).
Ce dispositif, qui a été adopté à l’automne 2018 et qui devait initialement expirer le 15 avril 2023, prévoit notamment :
- l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires et destinés aux animaux de compagnie dans les grandes surfaces à 34 % de leur valeur et à 25 % en volume (pour illustration, il est interdit de proposer de promotions du type « 1 produit offert pour 1 produit acheté », le taux de 34 % limitant une telle offre à « 1 produit offert pour 2 produits achetés ») et ;
- le maintien du relèvement du seuil de revente à perte à 10 % du prix d’achat effectif des produits, qui interdit aux distributeurs de vendre les produits alimentaires à prix coutant, à titre d’illustration, un produit alimentaire acheté par un distributeur à 1€ ne pourra plus être mis en rayon à moins de 1,10 €.
Pour en savoir plus sur ce dispositif, vous pouvez retrouver plus d’informations sur notre article dédié.
Une autre disposition, la plus critiquée, vise à prévoir les conséquences de l’absence d’accord entre fabricants et distributeurs à la date limite du 1er mars de chaque année. Actuellement, il est courant que les prix de l’année précédente soient maintenus durant plusieurs mois. Pour les députés à l’origine du texte, cette situation, dans un contexte d’inflation et de forte augmentation des coûts de production, est devenue intenable pour les fournisseurs. Il est ainsi proposé qu’en l’absence d’accord au 1er mars, un préavis d’un mois (contre plusieurs auparavant) sera laissé aux fournisseurs et aux distributeurs pour s’entendre sur les modalités, soit d’une rupture commerciale, soit d’un nouveau contrat. Au cours de ce mois de préavis, le tarif précédemment fixé sera prolongé, mais à défaut d’accord dans ce délai d’un mois, la relation commerciale sera rompue de façon automatique.
Enfin, il est proposé d’introduire un mécanisme permettant de lutter contre la pratique dite « d’évasion juridique » en reconnaissant expressément aux dispositions applicables aux négociations et relations commerciales le caractère de lois de police. En outre, les tribunaux français seront compétents pour traiter des litiges portant sur les relations commerciales dès lors que les produits ou services concernés seront commercialisés en France.
Une levée de boucliers des principaux distributeurs
La veille de l’examen de la proposition de la loi par les députés, les principales enseignes de distribution (Auchan, Carrefour, Groupe Casino (Enseignes Casino, Franprix, Monoprix), Cora, E. Leclerc, Intermarché, Lidl, Netto, Système U), ont exprimé leurs inquiétudes à l’égard de la présente proposition de loi, dans un communiqué de presse intitulé « Voulez-vous prendre la responsabilité d’une aggravation durable de l’inflation ? », ces distributeurs considèrent notamment que les dispositions de la proposition de loi permettront aux grands fournisseurs d’imposer unilatéralement leurs prix aux enseignes de la grande distribution et entraîneront in fine, si elles sont votées en l’état, une forte hausse des prix.
Dans ce contexte et face à l’inquiétude des acteurs économiques, le ministre de l’Economie et des Finances, Monsieur Bruno Le Maire, a annoncé que le texte serait retravaillé pour trouver un « équilibre » et concilier les intérêts tant des fournisseurs que des distributeurs.