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Notion de prestations artistiques et retenue à la source de l’article 182 A bis du CGI : Le Conseil d’État va-t-il remettre en cause la pratique des sociétés de production ?

À première vue, la décision du Conseil d’État du 5 juillet dernier risque de créer un certain émoi dans le monde du spectacle vivant et des sociétés de production françaises. 

En effet, le Conseil d’État est venu affirmer que relèvent des dispositions de l’article 182 A bis non seulement les prestations artistiques mais aussi les prestations qui en constituent l’accessoire indissociable.

Pour mémoire, aux termes de l’article 182 A bis du code général des impôts : « Donnent lieu à l’application d’une retenue à la source les sommes payées, y compris les salaires, en contrepartie de prestations artistiques fournies ou utilisées en France, par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente ».

L’enjeu ici était de taille, car contrairement à la majorité des prestations de services soumises en droit interne à l’article 182 B du CGI et pour lesquelles les conventions fiscales bilatérales ne retiennent pas l’imposition dans le pays de la source, les prestations artistiques sont taxées dans le pays de réalisation des prestations. En effet, aux termes de l’article 17 de la convention modèle OCDE, les revenus d’activités qu’un artiste du spectacle exerce personnellement et en cette qualité sont imposables dans l’état où les prestations sont réalisées, que les revenus soient versés directement à l’artiste ou bien à une autre personne.

Ainsi, selon que les prestations de services sont qualifiées de prestations artistiques ou de prestations de services plus classiques (telles des prestations de production), elles sont soumises ou non en France à une retenue à la source en vertu des traités bilatéraux.

Dans cette affaire, une société de production française a conclu, pour la production en France d’un spectacle auquel a participé un artiste résident fiscal des États-Unis (le spectacle des « Vieilles Canailles » de 2014 au cas présent) , un contrat avec une société de droit américain, contrôlée par l’artiste. Ce contrat portait sur la prestation scénique elle-même mais aussi sur la concession des droits de propriété intellectuelle et des prestations de contrôle et de suivi (validation des différents aspects du spectacle, gestion du planning des représentations, engagement de la participation de l’artiste aux répétitions).

La société française s’est spontanément acquittée de la retenue à la source prévue à l’article 182 A bis, mais seulement à proportion des sommes correspondant aux « salaires » versés à l’artiste, considérant ces seules sommes comme la rémunération de prestations artistiques.

 À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a estimé que la retenue à la source devait être assise sur l’ensemble des sommes versées à la société américaine. Elle a donc mis à la charge de la société de production française un complément de retenue à la source, assorti de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.

Or, ce qui est reproché dans cette affaire à la société de production française est en réalité ce qui est pratiqué par toutes les sociétés de production françaises en pareil cas lorsqu’elles font appel à des sociétés de production d’artistes pour des spectacles réalisés en France : la rémunération de l’artiste est soumise à retenue à la source alors que la rémunération des autres services – qualifiés de services de « production déléguée » – rendus par la société de production ne l’est pas, laquelle tombant généralement dans le champ de l’article « bénéfices des entreprises » des conventions fiscales.

Il convient donc de se demander si c’est cette pratique qui doit être remise en cause ou bien si cette décision est motivée par la situation particulière en l’espèce.

A la lecture des conclusions du rapporteur public, on peut espérer que c’est la deuxième option qui doit être privilégiée.

En effet, dans cette affaire,

S’agissant en revanche de la concession de droits de propriété intellectuelle concédés concomitamment à une prestation scénique et pour les besoins d’un spectacle précis, il deviendra suite à cet arrêt de plus en plus difficile de vouloir les qualifier différemment de la prestation scénique elle-même.

En tout état de cause et suite à cet arrêt, on ne peut que conseiller aux sociétés de production françaises qui rémunèrent d’autres sociétés de production étrangères pour la réalisation en France de prestations artistiques ou scéniques de bien veiller à la rédaction du contrat lui-même et de prêter une attention particulière aux sociétés détenues par les artistes eux-mêmes !

Quant au caractère indissociable ou non de la prestation, il n’a certainement pas terminé de faire l’objet de discussions.

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