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Notion de régime fiscal privilégié : premiers effets collatéraux de la décision « Axa »

La CAA de Versailles tire les conséquences de la décision Axa, rendue par le Conseil d’Etat le 5 juillet 2022, s’agissant des modalités d’appréciation de la notion de régime fiscal privilégié pour l’application du dispositif de l’article 123 bis du CGI.

Eléments de contexte

L’article 123 bis du CGI prévoit que les personnes physiques domiciliées en France, qui détiennent directement ou indirectement au moins 10 % dans une entité étrangère à prépondérance financière et soumise à un « régime fiscal privilégié », sont imposées à raison de leurs droits sur les bénéfices ou revenus positifs dans cette entité au titre des RCM.

Ce dispositif n’est cependant pas applicable si l’entité est établie dans l’UE ou dans un État ayant signé une convention d’assistance avec la France et que la détention des titres ou des droits ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont l’objet serait de contourner la législation fiscale française (clause de sauvegarde).

La notion de « régime fiscal privilégié » est définie par renvoi à l’article 238 A du CGI. Dès lors, une personne est réputée soumise à un tel régime dans un État étranger lorsqu’elle n’y est pas imposable, ou lorsqu’elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices ou les revenus inférieurs de 50 % ou plus (dispositions applicables avant le 01.01.2020) ou 40 % ou plus (dispositions applicables à compter du 01.01.2020) à ceux dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France si elle y avait été domiciliée ou établie.

Cette comparaison entre l’impôt acquitté à l’étranger et celui qui aurait été acquitté en France doit s’effectuer in concreto (CE, 21 mars 1986, n°53002). En pratique, il y a donc lieu de comparer, au titre d’un exercice donné, la charge fiscale effectivement supportée, au titre de ses bénéfices ou de ses revenus, par la structure établie hors de France à celle que supporterait dans les conditions de droit commun cette même structure, à raison des mêmes bénéfices ou revenus, si elle était établie en France (BOI-IS-BASE-60-10-20-20-20140627, § 120).

Mais ces prises de position sont antérieures aux arrêts Air Liquide (CE, 15 novembre 2021, n°454105) et Axa (CE, 5 juillet 2022, n°463021), dans le cadre desquels le Conseil d’Etat a jugé, respectivement, que la QPFC de 12 % sur les PVLT prévue à l’article 219, I, a quinquies et la QPFC de 5 % sur dividendes ouvrant droit au régime mère-fille (dans une certaine mesure) ne peuvent être regardées comme des exonérations, mais comme des impositions – à taux réduit.

L’histoire

À l’issue d’un ESFP portant sur les exercices 2009 et 2010 et d’un contrôle sur pièces de l’exercice 2011, les 2 associés résidents fiscaux français d’une société luxembourgeoise ont fait l’objet de rehaussements d’IR et de prélèvements sociaux sur le fondement de l’article 123 bis du CGI à raison des bénéfices réalisés par cette dernière. La société luxembourgeoise est une société de participations financières (« SOPARFI ») qui perçoit des dividendes de sa filiale unique, une société de droit français.

L’Administration, dont le raisonnement a été confirmé par les juges du fond, a ainsi considéré que les 2 contribuables ne pouvaient se prévaloir du régime des sociétés mères et filiales défini aux article 145 et 216 du CGI pour apprécier le caractère « privilégié » du régime fiscal auquel était soumise la société localisée au Luxembourg.

Le Conseil d’Etat a alors été saisi, dans le cadre d’une 1re cassation, et a jugé qu’en se limitant, pour déterminer si la société luxembourgeoise bénéficiait d’un « régime fiscal privilégié », à relever que la société luxembourgeoise ne pouvait pas se prévaloir du régime des sociétés mères au motif que ce régime est optionnel et qu’il relèverait d’une décision de gestion et en omettant de rechercher si cette même société aurait rempli les conditions pour bénéficier du régime des sociétés mères si elle avait été établie en France, la CAA avait commis une erreur de droit (CE, 14 février 2022, n°442061).

Il a renvoyé l’affaire devant la CAA de Versailles.

La décision de la CAA de Versailles

La CAA de Versailles reprend in extenso le considérant de principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision Axa et rappelle ainsi que le régime mère-fille doit être regardé non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d’IS, mais comme visant à soumettre à l’IS, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

Au cas d’espèce, dès lors que le montant de la QPFC était supérieur aux frais et charges réellement exposés par la société luxembourgeoise, la Cour a considéré que la soumission à l’IS de la QPFC de 5 % devait s’analyser « comme une modalité d’imposition de l’ensemble des revenus en France ».

Les requérants arguaient que dans ces conditions, l’impôt dont la société luxembourgeoise aurait dû s’acquitter si elle avait été établie en France aurait été de seulement 1,65 % (- i.e. 5 % * 33,33 % – taux de l’IS en vigueur au moment des faits).

Il n’en demeure pas moins que ce taux est mathématiquement supérieur à plus de 50 % du taux zéro applicable aux revenus perçus par la société luxembourgeoise.

La CAA de Versailles confirme donc l’existence d’un régime fiscal privilégié.

Elle écarte néanmoins l’application de l’article 123 bis in fine, dans la mesure où la reconstitution des résultats de la société luxembourgeoise – en application des règles fiscales françaises – conduisait à la constatation de résultats déficitaires.

Il nous semble que cette décision devrait être étendue, à l’avenir, par le juge de l’impôt tant s’agissant de PVLT, que dans le cadre du dispositif de l’article 209 B.